Dans l’agriculture, « cinquante ans de communisme ou cinquante ans de productivisme capitaliste ont abouti au même résultat »
Une autre façon d’envisager l’agriculture et la relation entre le paysan et les consommateurs : c’est ce que propose un système, inventé au Japon et lancé en France sous le sigle AMAP (Association pour le maintien de l’agriculture paysanne). En décembre 2008, Sabine Leray, productrice en Ariège de porcs noirs gascons et de vaches gasconnes en élevage herbager, productrice depuis 2003 de la première AMAP de Midi-Pyrénées et Annie Weidknnet, responsable du réseau AMAP de cette région, étaient déjà venues en République tchèque pour partager leurs expériences avec les paysans tchèques. Un an et demi plus tard, elles sont revenues à l’occasion d’une deuxième mission dite d’essaimage.
En France, on appelle cela le système des paniers bio…
Annie : « Non, ce n’est pas ce système. Ce sont des associations pour le maintien de l’agriculture paysanne. C’est un projet commun entre les paysans et les personnes qu’elles nourrissent »
Sabine : « Parce que l’objectif pour les gens qui se sont réunis en AMAP n’est pas de recueillir un panier bio avec des légumes bio qui vont satisfaire leur assiette. Ce n’est pas que ça et c’est même loin d’être ça. C’est au contraire de soutenir un producteur, pour pérenniser son activité et que l’année suivante, il puisse encore être là parce que les moyens économiques le lui permettent. »
Comment ça marche concrètement ?
Annie : « Un groupe de consommateurs se constitue et chacun d’eux va s’engager, par un contrat, ou d’autres les formes d’engagement. Chez nous, c’est un contrat tout simple où chacun dit ses obligations vis-à-vis d’un paysan. Alors le paysan s’engage à produire de façon saine, sans produits chimiques de synthèse, et à partager la récolte équitablement entre les personnes. Et les personnes vont s’engager à prendre globalement toute la récolte, telle qu’elle sera, c’est-à-dire en acceptant qu’il puisse y avoir des aléas de la production, que les choses poussent plus ou moins vite. Et on partage à la fois des moments de pénurie tout comme les moments d’abondance. Le paysan, c’est comme si c’était notre jardinier personnel. C’est comme si on avait son jardin, on prend les choses comme elles viennent. »Vous êtes ici en République tchèque pour la deuxième fois. Vous êtes venues l’année pour commencer à présenter aux paysans tchèques ce système des AMAP. Qu’avez-vous vu, qui avez-vous rencontré, que font les fermiers que vous avez rencontrés ici en République tchèque ?
Annie : « On a rencontré des petits fermiers qui souvent avaient repris des fermes au moment des restitutions, et qui ont un peu tout à reconstruire. On a trouvé qu’ils avaient beaucoup de courage parce que vendre leur production directement au consommateur, en vente directe, ce n’est déjà pas facile en France. Mais en République tchèque, cela semble encore plus compliqué. En particulier pour ceux qui font de l’élevage parce que la République tchèque a perdu les possibilités pour les petits producteurs de faire abattre, de découper leurs bêtes et ensuite de récupérer la viande pour la vendre eux-mêmes directement. Ils n’ont pas à disposition les outils d’abatage et de transformation. Ça semble donc vraiment difficile et il faudra vraiment que les pouvoirs publics fassent l’effort de reconstituer ce réseau d’outils à la disposition des petits paysans. »Vous parlez de ces problèmes d’abatage et d’abattoirs qui sont un des symptômes de l’histoire agricole de la République tchèque, qui a connu cinquante années de communisme. Avec ce passé particulier, avez-vous repéré des caractéristiques de l’agriculture tchèque ?
Annie : « Ce que je constate surtout, c’est que cinquante ans de communisme ou cinquante ans de productivisme capitaliste aboutit à peu près au même résultat, c’est-à-dire à une concentration des terres dans les mains de peu de personnes, et souvent avec des capitaux qui ne sont même pas des capitaux de la campagne. Il y a aussi une difficulté grandissante pour vivre des petits paysans nourriciers, c’est-à-dire une difficulté pour la population d’accéder à des produits locaux de qualité. C’est une restriction du choix des consommateurs. »Avez-vous rencontré les mêmes personnes que lorsque vous êtes venues l’année dernière et comment a avancé cette idée de ce système des AMAP en République tchèque ?
Annie : « Je crois que nous devons avouer que nous étions parties l’an dernier un peu découragées, en disant que c’est tellement difficile et sans savoir ce que les paysans tchèques pourraient faire. Mais on a été quand même très heureuses de voir que l’idée a fait son chemin et qu’il y a déjà un groupe qui fonctionne comme ça à Prague, et un autre qui est en train de se monter. Cette année, nous sommes allées en Moravie, et je pense aussi que ça a donné des idées et de l’espoir de pouvoir s’organiser autrement et trouver une solution à ces problèmes. »En France, il y a une grande variété de fruits et de légumes dans l’agriculture. La production maraichère tchèque est plus réduite. Cela ne peut-il pas être une entrave à l’adaptation de ce système, notamment pour les consommateurs qui ont envie d’un peu de variété ?
Annie : « Si les consommateurs sont prêts à soutenir un paysan qui sera en expérimentation pour de nouveaux légumes, de nouvelles façons de travailler, si les consommateurs le soutiennent, le paysan va pouvoir prendre ce risque et innover, s’améliorer. Je pense que ça peut changer comme ça, mais ça va dépendre aussi du soutien qu’ils rencontrent. Les paysans doivent être sûrs que s’ils font des choses nouvelles, ils vont trouver des consommateurs qui voudront les manger. »Avez-vous parlé concrètement avec certains paysans qui vous auraient dit être prêts à cultiver de nouveaux produits?
Annie : « Il ne faut pas croire. Nous en avons rencontré qui nous ont dit qu’effectivement, ils étaient limités en semences, mais qui cherchent d’autres semences, et qui sont déjà en essai de diversification. Mais je crois qu’il faut du temps et surtout créer les conditions de sécurité économique, sociale et humaine pour que les paysans puissent s’engager dans autre chose que la survie quotidienne. »Vous avez parlé de Paris en disant que c’est en région parisienne qu’il y a le moins de fermes en système AMAP. N’y-a-t-il pas un problème d’adaptation pour les grandes villes, à cause du rythme de vie des citadins qui parfois ne savent jamais ce qu’ils vont faire le lendemain et sont moins disponibles ?
Annie : « Je peux témoigner d’une ville qui tourne pratiquement au million d’habitants, avec des embouteillages tous les soirs et les gens qui travaillent. Et pourtant, les AMAP se développent très vite. Sur l’agglomération de Toulouse, il doit en avoir quarante ou cinquante, avec une demande non satisfaite parce qu’il n’y a plus assez de paysans. Et au contraire, on perd moins de temps pour se procurer des produits alimentaires en y allant un soir par semaine, entre 18 h et 20 h plutôt que d’aller passer le samedi après-midi au supermarché. C’est plutôt du temps gagné. Et ça se développe beaucoup en ville.
Simplement, si dans la région parisienne, et peut-être à Prague, ça va être difficile, ce n’est pas parce que les consommateurs auraient des difficultés pour participer à ces groupes, mais c’est parce qu’il n’y a pas assez de producteurs pour nourrir ces villes. Dans notre ville, il doit rester une vingtaine de maraichers produisant des légumes alors qu’il y en avait plus de 1000 en 1970. Les villes ont construit à la place de leur ceinture verte de maraichers, et aujourd’hui, il n’y a plus assez de paysans. Le problème est là, il n’est pas du côté des consommateurs. »