Manifestation des agriculteurs à Prague : faible mobilisation et récupération politique

Plusieurs milliers d’agriculteurs se sont rassemblés à Prague, ce lundi, pour exprimer leur mécontentement contre tout à la fois la politique du gouvernement, le Pacte vert pour l’Europe, la répartition injuste des subventions européennes ou encore le poids croissant de la bureaucratie dans leur activité. Un peu plus de 500 tracteurs ont notamment ralenti la circulation automobile. Dans l’ensemble, cependant, la mobilisation a été faible, les principales organisations syndicales agricoles s’étant distanciées de la manifestation.

Photo: Anton Kajmakov,  Radio Prague Int.

Les Tchèques et les manifs, ce n’est décidément pas ça. Ou alors, rarement. Moins de trois mois après une grève dans les écoles et une autre des syndicats contre le plan de consolidation budgétaire du gouvernement restées sans lendemain, la manifestation tant redoutée ces derniers jours des agriculteurs a davantage ressemblé, ce lundi, à un coup d’épée dans l’eau qu’elle n’a rassemblé de mécontents. Des slogans tels que « Sais-tu à quoi ressemble une vache ? » ou « Fais quelque chose pour les gens » lancés à l’adresse du ministre de l’Agriculture ont eu beau retentir devant le siège du ministère, force est de constater que la colère a été très relative.

Photo: Štěpánka Budková,  Radio Prague Int.

Cette colère, le gouvernement en a d’ailleurs fait peu de cas. Sorti sans crainte de son bureau pour échanger avec les quelques centaines de manifestants présents et répondre aux questions des médias, le ministre Marek Výborný a ainsi déclaré que s’il comprenait les préoccupations des agriculteurs et souhaitaient les aider, les organisateurs de la manifestation se préoccupaient, eux, davantage de leurs propres objectifs politiques que des intérêts des agriculteurs :

Marek Výborný | Photo: René Volfík,  iROZHLAS.cz

« Je m’efforce de discuter de manière raisonnable avec tout le monde et pour ce qui est des protestations aujourd’hui, de faire la part des choses, de distinguer les revendications en fonction de leur légitimité et de dissocier les organisateurs, car il est évident que certains d’entre eux, à travers leurs déclarations publiques, profitent de cette manifestation pour servir leurs propres intérêts politiques. »

La manifestation de ce lundi était organisée par Bohumír Dufek, président à la fois du Syndicat des travailleurs de l’agriculture et de l’alimentation et de l’Association des syndicats libres, et Zdeněk Jandejsek, ancien président de la Chambre d’agriculture de République tchèque. Deux figures très controversées qui ont fait dire au Premier ministre, Petr Fiala, que la manifestation était dominée par la « scène de désinformation pro-russe ».

Photo: Štěpánka Budková,  Radio Prague Int.

Surtout, la participation à la manifestation n’a pas été recommandée par la Chambre d’agriculture, l’Union agricole et l’Association de l’agriculture privée, les trois grandes organisations syndicales avec lesquelles discute le ministre pour améliorer les conditions notamment des petites et moyennes exploitations agricoles dans le pays.

Fondateur de la société Naše Rajče (Nos Tomates), qui est l’un des plus grands producteurs et distributeurs de tomates sur le marché tchèque, et figure respectée du petit monde agricole tchèque, Lukáš Rázl expliquait, lui aussi, en fin de semaine dernière, les raisons pour lesquelles il ne voyait pas d’un bon oeil l’organisation de cette manifestation dans un secteur dominé très majoritairement par les grandes exploitations :

Lukáš Rázl | Photo: ČT24

« Je ne suis moi non plus pas satisfait de l’état de l’agriculture en Tchéquie et je respecte mes collègues qui se rendront à Prague pour exprimer leur mécontement. Mais je crains que leur participation à la manifestation soit exploitée à leur détriment. D’abord par certains politiques qui feront de grands discours mais n’ont jamais rien fait et ne feront jamais rien pour les agriculteurs. L’autre problème est qu’il existe en Tchéquie un nombre important de très grands groupes agricoles qui font la pluie et le beau temps et une famille de plus en plus réduite de petits et moyens exploitants dont les intérêts sont diamiétralement opposés. Et puis disons les choses clairement : ce type de manifestations sert rarement les intérêts des agriculteurs qui, au contraire, à cause de quelques imbéciles, sont le plus souvent tournés en ridicule, ce qu’ils ne méritent pourtant absolument pas. »

Photo: Štěpánka Budková,  Radio Prague Int.

Comme dans d’autres pays en Europe, une autre manifestation se tiendra également ce jeudi. À la différence de celle de ce lundi, qui visait essentiellement à critiquer le gouvernement de Petr Fiala, elle servira cette fois à protester davantage contre les politiques de l’Union européenne, qu’il s’agisse du « Grean Deal » ou des importations de produits ukrainiens que, comme leurs collègues polonais ou hongrois, beaucoup d'agriculteurs tchèques considèrent comme une concurrence déloyale.