Centropa : documenter la vie juive en République tchèque et dans toute l’Europe centrale et orientale
Documenter la vie des communautés juives en Europe centrale jusqu’à la Turquie en passant par la Roumanie : c’est l’objectif de l’organisation à but non lucratif appelée Centropa, basée à Vienne. Ouriel Morgensztern travaille pour Centropa depuis quelques années et il était récemment de passage à Prague, où nous l’avons rencontré pour lui demander de parler de son organisation et de ses activités.
Centropa est basée et Vienne et ces interviews ont été menées dans plus d’une dizaine de pays dont la République tchèque.
« Oui, le projet a commencé en 2000 et a été initié par un ancien reporter de la chaîne américaine ABC Edward Serotta. Nous avons travaillé dans quinze pays simultanément, dont la République tchèque, où nous avons interviewé une soixantaine de personnes, surtout à Prague mais aussi en province. »Quel est le but de ces séminaires destinés aux enseignants ?
« Le but de tout ça est de documenter la vie juive d’une manière qui n’a pas été faite jusqu’à présent : on se base sur les photos de famille et sur leur description pour montrer comment les gens vivaient, comment ils ont survécu pendant la guerre, et comment ils vivent aujourd’hui. Notre institut mêle les nouvelles technologies à l’histoire pour pouvoir enseigner à la jeune génération la vie juive d’une autre façon. On connaît tous les programmes qui insistent sur la période de l’Holocauste mais on s’est aussi rendu compte qu’il y avait un petit peu une ‘suroffre’ de ce type de programmes donc on a essayé d’aborder la jeune génération d’une manière différente, en lui montrant comment les gens vivaient, au moyen de petits films. Ces petits films sont créés à partir des photos de famille scannées et de leur histoire. Ces films font entre cinq et quinze minutes – on peut les voir sur notre site internet – et ils s’attachent à un sujet particulier comme une histoire d’amour, une fête juive particulière, ou des thèmes plus sensibles comme la Shoah ou les transports d’enfants. »C’est donc pour décrire la vie telle qu’elle était et pas seulement la disparition ? Les personnes âgées que vous avez rencontrées ont décrit leur jeunesse et leur vie avant la guerre, avant la Shoah, et peut-être parfois après ?« Exactement, on documente leur vie avant, pendant et après. Une petite anecdote pour vous situer un petit peu le propos : on a interviewé une personne, pas en Tchéquie mais en Ukraine, qui nous a dit qu’elle avait déjà vu cinq organismes et que nous étions les premiers à lui avoir demandé comment elle avait vécu.
Alors que les autres s’attachaient à documenter quelque chose qui était aussi important – et heureusement que ça a été fait parce que les survivants sont de moins en moins nombreux – à savoir ce qui s’était passé pendant l’Holocauste, des histoires de mort. Nous, on s’attache à documenter la manière dont les gens vivaient et vivent. »Depuis peu, la base de données de la Fondation pour la Shoah est disponible à Prague et je crois que vous avez en projet un échange de bases de données.
« Oui, nous sommes une organisation à but non lucratif et l’intérêt est que nos recherches profitent à tout le monde, à la jeune génération mais aussi aux historiens. Donc les coopérations avec les musées nationaux, en Tchéquie et dans les autres pays, sont primordiales puisqu’on veut toucher le plus de personnes possibles. On documente quelque chose qui n’existe plus. La vie telle qu’elle était à l’époque n’est plus la même maintenant, mais la manière dont on la propose à notre public – à travers notre site Internet, nos films et des expositions – est un peu un témoignage de cette vie qui n’est plus présente en Europe, la population juive ayant été décimée. Même si les communautés revivent et sont extrêmement dynamiques dans certains pays, il reste beaucoup moins de Juifs qu’à l’époque et leur organisation est complètement différente. Leur langue aussi d’ailleurs, par exemple. Le vivier des communautés juives d’avant-guerre était la Pologne, avec comme langue principal le yiddish. C’est aussi quelque chose qu’on a essayé de préserver, mais la langue est en train de disparaître un petit peu.Comment financez-vous vos projets ?
« Le financement est maintenant assuré à 50% par des donateurs privés aux Etats-Unis, des personnes privées ou des fondations, et localement, dans chaque pays on travaille avec les ministères de l’Education, des Affaires sociales, de l’Intérieur, les ambassades… Avec des petits financements locaux on arrive à financer des séminaires comme aujourd’hui à Prague ou des choses un peu plus importantes comme des expositions. Il va sans dire que la crise économique dont tout le monde a souffert et souffre encore nous a aussi touchés, mais nous sommes toujours là… et on continue ! »