Fallait-il interdire le parti communiste, après novembre 1989 ?
Vingt ans après la révolution de Velours, les étudiants de la même faculté de Lettres de l’Université Charles qui en était l’un de ses foyers, en 1989, ont rédigé une pétition « Inventaire de la démocratie » : sorte de bilan de ce dont souffre selon eux la société tchèque aujourd’hui : absence d’une réflexion sur le passé communiste, mise en cause de la liberté des médias publics, mauvaise image de la République tchèque à l’étranger. Beaucoup de questions à ce sujet dont notamment celle de savoir s’il ne fallait pas interdire le parti communiste, après la chute du régime, ont été posées par eux aux participants à un récent colloque organisé à l’occasion du 20e anniversaire de la révolution de Velours par Václav Havel.
Première question posée à Václav Havel auquel certains reprochaient une attitude trop douce à l’égard du parti communiste : ne pense-t-il pas qu’un procès analogue à celui de Nuremberg devait être intenté contre les principaux responsables de la dictature communiste en Tchécoslovaquie ? Car, d’après les étudiants, il est très difficile de s’acquitter du passé totalitaire, de parler et d’enseigner le communisme, si les députés de ce parti siègent toujours au parlement et si l’existence de ce parti est un fait généralement admis. Václav Havel :
« Ici, dans ce pays, autant que je sache, plus de 7 millions de personnes sont passées depuis 1948 par les rangs du parti communiste. Dans sa condamnation du communisme, la société tchèque ne voulait probablement pas aller plus loin, car si telle était sa volonté elle l’aurait sûrement fait. Même si cela poserait un problème technique du fait qu’il serait impossible d’appliquer des lois rétroactives. Un autre obstacle – les juges : qui étaient-ils ? Des cadres systématiques formés et contrôlés par le parti. Qui d’entre eux aurait pu juger, après 1989, les dirigeants communistes ? Un pareil tribunal ne pourrait finir autrement que par une série d’acquittements… »« Les causes de cet état de choses sont certainement beaucoup plus profondes, elles résident avant tout dans le caractère de notre société et il n’est pas possible d’en accuser un seul homme – que ce soit moi-même ou les députés de l’ancienne Assemblée fédérale. La société n’y était pas prête, on peut discuter pourquoi il en était ainsi, la réponse ne sera sûrement pas facile. »
Plus loin dans son intervention, Václav Havel a fait un parallèle entre le syndrome de psychose après la prison et l’état de la société aujourd’hui, où les communistes jouissent d’un appui constant de 15% des électeurs potentiels, d’après les sondages :« Ce soutien relativement élevé des communistes, on peut l’expliquer par les soi-disantes certitudes, les solutions simples qu’ils offrent, alors que la liberté de choix dans un régime démocratique est parfois bien difficile et désagréable. Cela explique, métaphoriquement, pourquoi certains d’entre nous souhaitent rentrer dans la prison. Il suffit d’écouter leurs slogans comme celui qui est le plus typique : ‘Le calme au travail’ : vous pouvez vivre dans le calme en nous laissant toutes vos préoccupations et toutes les décisions, car nous comprenons le mieux vos besoins, vous ne devrez plus vous occuper de rien - des propositions certes séduisantes pour certains… »
Jan Sokol est philosophe, anthropologue et disciple de Jan Patočka. A la même question des étudiants demandant s’il ne fallait pas intenter un procès contre les responsables de la dictature communiste, il a répondu :
« Par rapport à la situation du procès de Nuremberg, un élément essentiel a fait défaut ici : l’armée d’occupation. Le procès de Nuremberg n’a pas été intenté par la société allemande, mais par l’armée d’occupation. C’est pourquoi j’ai déclaré – et cela vous fera rire – en décembre 1989, sur le plateau de la télévision publique que ce qui nous manquait le plus, c’était une armée d’occupation. Eu égards à 1968, c’était évidemment une provocation … »
Le journaliste et ancien dissident Jan Urban, qui étudie depuis les 20 dernières années les sociétés en situation post-conflit, est univoque sur la question du parti communiste :
« Le plus grand désir de chaque société post-conflit, indépendamment de sa situation culturelle, religieuse ou géographique, c’est d’avoir un sentiment de justice. Ce sentiment passe bien avant la réforme économique, pour le moins au début… Ce n’est pas de punition dont il retournait dans cette affaire : c’est de vérité. Dire à voix haute ce qui s’était passé dans ce pays. Toute révolution qui ne parvient pas à redéfinir les notions du bien et du mal et appeler les choses par leur vrai nom, manque l’opportunité. Quant à moi, je le considère personnellement comme le plus grand échec de novembre 1989. »
La direction communiste avec à sa tête Milouš Jakeš a donné sa démission il y a tout juste 20 ans, le 24 novembre 1989. Elle l’a fait dans l’espoir que de nouveaux visages qui la remplaceront puissent être acceptables pour la société. Pour un mois, un cadre méconnu, Karel Urbánek s’est retrouvé à la tête du Comité central du PCT. En décembre 1989, cette fonction a été supprimée, ainsi que l’article de la constitution sur le rôle dirigeant du PCT, mais pas le parti communiste en tant que tel…