Micmacs à tire-larigot : Jean-Pierre Jeunet, l’œil et Julie Ferrier, la môme-caoutchouc
Un Panorama un peu spécial, une rubrique toute en culture, puisqu’il sera question, une fois de la 12e édition du Festival du Film Français. Les invités de cette rubrique hebdomadaire sont le réalisateur français Jean-Pierre Jeunet, qui évoquera son dernier film, Micmacs à tire-larigot qui sortira sur les écrans tchèques le 3 décembre prochain sous le titre de Galimatyáš, ainsi qu’une des comédiennes du film Julie Ferrier. Mais c’est Jean-Pierre Jeunet qui commence par nous décypter le titre de son film:
Est-ce qu’on vous a un peu expliqué la version tchèque du titre tchèque ? Galimatyáš. Est-ce que ça vous plaît?
«Galimatias, oui. Ça veut dire qu’il y a un peu tempête sous un crâne! Je donne mon aval!»
Ça doit quand même être dur de traduire le titre dans d’autres langues...
«Non, les gens gardent ‘Micmacs’. Ce qui ne veut pas dire grand-chose mais c’est rigolo.»
Vous truffez votre film de références cinématographiques. Lesquelles?
«Le film est plein de clins d’œil pour les cinéphiles mais on n’est pas obligé de les voir. Les gamins adorent le film, et eux ne les voient pas. J’y ai mis tout ce que j’aime : Sergio Leone, Buster Keaton, les cartoons de Pixar, Tex Avery, c’est Chaplin, Pierre Etaix...»
J’allais vous en parler, Pierre Etaix apparaît en effet dans le générique. C’était un collaborateur de Jacques Tati...«Oui, c’est quelqu’un qui a beaucoup travaillé avec Jacques Tati, c’est quelqu’un de brillantissime. J’ai revu un de ses films sur Internet récemment...»
Je croyais qu’il y avait des problèmes justement autour des droits de ses films...
«Oui, il est en train de récupérer ses droits. Pendant des années on ne pouvait pas voir ses films. Il a 80 ans. C’était une vraie pitié parce qu’il allait partir un jour sans qu’on ait pu revoir ses films. C’est un gagman génial, un peu Buster Keaton : il ne parle pas, c’est extraordinaire. Dans le film, c’est lui qui invente les histoires drôles. C’est juste une photo animée dans lequel on le voit. C’est un petit hommage.»
Les autres animations font penser aux Monty Python...
«Exactement. C’est le même genre de technique. Je suis très ami avec Terry Gilliam.»
Et de manière différente certes, vous avez le même genre de mondes...
«On a chacun une vision forte. Qui fait l’admiration du monde entier (rires), et qui nous vaut des reproches quand on n’aime pas ce genre d’univers. Mais en effet on a une vision spécifique. On reconnaît un film de Terry Gilliam, comme on reconnaît un film de Tim Burton, David Lynch, Kusturica ou de moi en dix secondes.»D’où vous vient ce goût du rétro dans vos films?
«C’est plus une question d’esthétisme. Parfois on me dit que c’est nostalgique etc, mais moi je vis dans le présent, j’utilise les toutes dernières technologies en terme d’images, d’effets spéciaux. Esthétiquement, il faut bien admettre que les objets présents sont plus charmants que ceux du passé. Mais dans ce film-là j’ai mixé : il y a un appartement très moderne et j’ai mélangé un Paris traditionnel et un Paris nouveau pour changer un peu.»
D’où vient ce personnage avec une balle dans le crâne? Je crois savoir que c’est un peu une histoire vraie...
«Oui, je connais quelqu’un qui vit à Montmartre avec une balle dans la tête. Il n’est pas le seul évidemment dans le monde. C’était un bon prétexte pour donner de l’imaginaire au personnage.»
Et pourquoi Dany Boon dans ce rôle?
«Au départ c’était écrit pour Djamel Debouzze qui a laissé tomber deux mois avant le tournage. Ca m’a donné l’opportunité, comme pour Amélie Poulain où j’avais écrit le rôle pour quelqu’un d’autre, d’avoir une belle histoire avec Dany Boon.»
Ce n’est pas la première fois que vous venez en République tchèque...
«On avait enregistré la musique de La cité des enfants perdus à Prague parce qu’il y a un orchestre très fameux et moins cher évidemment. On avait fait des repérages pour Un long dimanche de fiançailles, on avait visité Barrandov, la gare notamment. J’adore les tramways et leur ambiance, donc un jour je viendrais ici filmer des tramways!»
Julie Ferrier est une comique française, mais aussi comédienne, dans le dernier film de Jean-Pierre Jeunet, elle interprète le rôle de la môme caoutchouc...
«La ‘môme’, parce que c’est une femme-enfant. Avec Jean-Pierre on a beaucoup travaillé sur le côté femme-enfant et sur le côté garçon manqué. Elle est contorsionniste et fait partie de la bande des chiffonniers qui vivent dans le repère ‘A tire-larigot’.»
Vous n’êtes pas contorsionniste à la base. Il y a eu quelques montages avec une contorsionniste qui a fait les scènes de contorsion...
«En fait, c’est une vraie contorsionniste mais qui n’a pas fait toutes les contorsions. Il y en a où c’était moi, comme j’étais danseuse pendant dix ans. Il y a des plans où c’est moi. Il y a des plans où c’est son corps et ma tête donc c’est un travail très précis d’effets spéciaux. Et il y a des moments où je rattrape les contorsions. Les fins de mouvement c’est moi. Mais sinon c’est elle oui. Déjà que c’était dur ce qu’on lui demandait alors moi ça aurait été impossible.»Comment est-ce que vous définissez les films de Jean-Pierre Jeunet? Sont-ils oniriques? ...
«Oui, oniriques. C’est l’enfance, la créativité. S’il y a bien un cinéaste créatif c’est lui.»
Vous y êtes sensible?
«Carrément. Moi j’ai fait l’Ecole Jacques Lecoq, l’école qui développe la créativité dans n’importe quel art. De cette école sortent des acteurs, des chorégraphes, des metteurs en scène. Pour moi, Jean-Pierre, c’est exactement le genre de travail que j’ai fait au théâtre pendant des années qui d’un coup se concrétise au cinéma. Pour moi c’est la créativité au service du septième art. Car qui est plus créatif que cette homme-là à l’heure actuelle ? Avec ses histoires décalées de la réalité, abracadabrantes... J’adore le cinéma réaliste, j’adore Ken Loach, ce qui n’a rien à voir. Mais en France, c’est comme ça : ou tu aimes Ken Loach, ou tu aimes Jean-Pierre Jeunet. Mais moi j’aime les deux. Sauf qu’en France des critiques spécialisés dans le cinéma réaliste ne sauront pas apprécier un cinéma comme celui de Jeunet. C’est dommage pour eux. En tout cas je pense son cinéma est très créatif. Ensuite il y a autre chose : au niveau technicité, c’est la perfection même, il a sa patte, son oeil. Sur le tournage on l’appelait L’Oeil, parce qu’il voit tout!»
Photo: www.festivalff.cz