La galanterie - un phénomène social, un art, une politique
Qu’est-ce que la galanterie, ce phénomène qui peut sembler artificiel et superficiel, mais qui n’en fait pas moins partie de notre civilisation ? C’est une réponse originale à cette question qu’apporte le livre «La galanterie française» de Claude Habib, professeur à l’Université Lille III. Le livre traduit en tchèque par Lena Arava vient de paraître chez la maison d’édition Academia. A cette occasion Claude Habib est venue présenter son ouvrage aux lecteurs tchèques. Elle a évoqué au micro de Radio Prague l’histoire de la galanterie et aussi les divers aspects du phénomène dont l’aspect politique. A son avis, la galanterie à servi à Louis XIV de moyen de propagande monarchique:
«Je crois que Louis XIV a fait de cette manière spéciale de traiter le mieux possible les femmes une vitrine de son pouvoir. Après tout il est roi absolu. Il aurait pu être totalement despotique, or il s’agit de donner une autre image, l’image à la fois d’un prince chrétien et d’un prince soumis au charme, je ne dirais pas au pouvoir, au charme des femmes. Un roi qui s’agenouille devant la beauté. C’est une décision du jeune roi de mettre les femmes sur un piédestal, de leur donner cette importance, cette visibilité … et puis cette importance politique. A la fin de son règne Mme de Maintenon assiste au Conseil et donne son avis.»
Dans votre livre vous évoquez d’abord et surtout le XVIIe siècle. Cette époque est-elle vraiment l’apogée de la galanterie française ?
«Je crois que c’est un moment de relative stabilité, c’est-à-dire que, par la suite, le phénomène demeure dans les mots mais dans l’esprit ça change beaucoup puisqu’il y a le libertinage même dans les hautes sphères, libertinage qui touche même les dames très haut titrées dans l’entourage du régent. Des femmes comme la future Mme de Luxembourg, Mme du Deffend sont les maîtresses du régent. Il y a quelque chose qui change après la mort de Louis XIV, il y a vraiment un basculement dans la joie de vivre et le libertinage qui fait que ça ressemble dans les formes mais dans l’esprit c’est déjà beaucoup plus sexualisé, beaucoup plus instable. Donc oui, s’il y a un âge d’or, c’est sans doute le XVIIe siècle.»
Et comment la galanterie a évolué au XVIIIe, XIXe et même au XXe siècle?
«Elle s’est certainement fossilisée. C’est-à-dire pour le XIXe siècle c’est une série de tours, d’hommages qui sont très fossilisés, comme le baisemain. Il y a une manière de s’adresser aux femmes qui est assez codée. Ce qui me frappe au XVIIe siècle c’est le moment de l’invention. Dans le moment de l’invention tout est possible. Vous savez, au XVIIe siècle on a voulu faire entrer une femme, Mlle de Scudéry, à l’Académie française. C’est elle qui a refusé. Trois siècles avant Margueritte Yourcenar, on demande à Mlle de Scudéry d’entrer à l’Académie. Donc il y a une ouverture vraiment prodigieuse de la France aristocratique au féminin, je ne parle pas de ce qui se passe dans les campagnes ou dans les bourgs. C’est une ouverture au féminin absolument inédite et soudaine qui rend les femmes très heureuses. Voilà c’est le moment dont je voulais parler.»
Vous parlez de ce que la galanterie a apporté aux femmes. Qu’est-ce qu’elle a apporté aux hommes?
«Je crois qu’on gagne toujours à se civiliser. Elle a apporté aux hommes d’abord une joie de vivre avec les femmes, une mixité qui n’est pas une mixité d’individus, une mixité égoïste, chacun pour soi, mais une mixité joueuse, érotique, stylée. Je crois que c’est toujours agréable d’avoir un comportement inventif et civil. Je crois que les hommes ont gagné en joie dans cette approche de femmes. Et puis, rendre une femme heureuse ça donne la tonicité, ça donne un humour érotique que vous trouverez en France même tard. Quand vous regarder les films de Sacha Guitry, la galanterie est là. On est trois siècles après, mais la galanterie est toujours là, toujours joueuse, qui fait des clins d’œil et qui s’amuse.»
(Nous vous présenterons la version intégrale de cet entretien samedi dans la rubrique Rencontre littéraire.)