Art Prague : la crise épargne le marché de l’art
Retour sur la foire d’art contemporain Art Prague qui se déroule jusqu’au 23 juin. Cette foire a été créée il y a huit ans déjà, et son initiatrice est une galeriste pragoise, Iva Nesvadbová. Elle évoque les relations entre galeries, le profil des acheteurs tchèques, la crise économique.
« Tout est lié avec la taille de la République tchèque et de Prague donc notre foire appartient aux foires plus petites. C’est évident. Comme Start à Strasbourg, Vienna Art. C’est lié aussi au nombre d’habitants. »
Vous avez parlé de collégialité entre les galeristes pragois et vous avez dit que cette foire est l’occasion d’exprimer cette collégialité. Est-ce qu’elle existe également entre les foires ?
« Entre les foires je ne sais pas. Quand je me rends dans d’autres foires en Europe, j’y vais en tant que visiteur et pas en tant que représentante d’Art Prague. On peut parler surtout de collégialité entre les galeristes qui participent à Art Prague. Il y a une ambiance très amicale, très ouverte. Nous nous réjouissons à chaque fois à l’approche de l’événement. Parce que chacun travaille toute l’année en solitaire. En tant que galeriste, vous êtes dans votre galerie, vous organisez dix expositions par an, il y a un vernissage où il y a une centaine de personnes mais le reste du temps, c’est un travail en solitaire. »
Difficile de ne pas vous poser la question avec la crise économique : est-ce que vous la ressentez, est-ce que les galeristes pragois, tchèques la ressentent et avez-vous des craintes pour Artprague ?
« Tous les galeristes sont plus positifs que négatifs. C’est important. De part mon expérience, j’ai organisé une exposition d’une peintre tchèque il y a deux mois, et nous avons tout vendu ! Ce qui n’arrive pas toujours... Je me suis tant mieux, la crise est quelque part mais pas chez nous. Ou bien c’est le contraire : les gens se sont décidés à investir dans des oeuvres d’art. Nous avons cet espoir pour Artprague. »
Cela fait huit ans que vous organisez cette foire et que cette foire existe. Cela fait aussi vingt ans depuis la chute du rideau de fer. L’art contemporain a pu renaître dans ce pays, et les gens acheter. Comment caractériseriez-vous l’acheteur tchèque typique ?
« Je crois que j’ai déjà vécu trois générations de gens intéressés par l’achat d’oeuvres d’art. Au début c’était surtout des gens d’avant la chute du mur qui étaient habitués à acheter des tableaux, sculptures etc. par amour de l’art. C’est ce groupe-là qui est tout de suite venu visiter ma galerie. Mais comme les prix ont brusquement changé, c’est devenu trop cher pour ce groupe de collectionneurs. Il y a eu un autre ensemble de personnes qui tout d’un coup a commencé à acheter, à collectionner. C’était des personnes qui ont bénéficié des restitutions après 1989 et avaient assez d’argent pour acheter de l’art, ou bien c’était des gens qui ont gagné tout de suite de l’argent, au début des années 1990. Il y a environ cinq ans, un autre type de personnes est apparu. Ce sont des gens entre 30 et 45 ans, les gens qui étaient tout jeunes pendant la révolution de velours, qui viennent de terminer leurs études et ont un bon poste, bien rémunéré. »
Peut-on dire qu’ils ressemblent aux acheteurs à l’Ouest ?
« Oui, c’est exactement ça. Une fois que vous commencez à aimer l’art, vous commencez à voyager, à voir des expositions à l’étranger, vous avez des points de comparaison. Je trouve qu’ils ressemblent beaucoup aux collectionneurs occidentaux. »
Qu’est-ce qui les intéresse dans l’art contemporain ? Vers quoi vont-ils plus volontiers ?
« C’est beaucoup la peinture. Au début c’était des noms très connus dans notre pays, même si pas forcément à l’étranger. Il y a de nouvelles galeries qui offre des oeuvres d’art de l’étranger comme Koons. Du coup, les gens commencent à acheter des objets d’art de l’étranger. »
Geneviève Mathieu est galeriste à Lyon et collectionne depuis 30 ans les artistes tchèques et slovaques. Elle est une fidèle de la foire de Prague :
« Ici, j’ai par exemple des oeuvres de Wilfried Prager, un français même s’il a un nom autrichien. Je lui ai fait une exposition au mois de janvier qui a eu beaucoup de succès. Sur ses tableaux, on est en Autriche, c’est très romantique, ça rappele Caspar David Friedrich. Ce n’est pas la première fois que je le présente ici, mais cette mouture-là est la première. J’ai aussi Pierre Mabille que j’avais déjà l’an dernier. »
Comment va le marché de l’art ? Ressentez-vous les conséquences de la crise ?
« On sent une morosité, c’est clair. Les gens hésitent, attendent. Mais globalement c’est pas dramatique du tout. Je ne sais pas vous répondre comment les choses vont se passer à Prague. En France, on en parle beaucoup mais les gens n’ont pas spécialement réduit leur train de vie, leur budget. En tout cas pour l’instant. Donc les galeries ne sont pas trop touchées. »
Vous avez bien vendu l’an dernier à la foire ?
« Oui, ici, j’ai beaucoup vendu. Mais je travaille toujours très bien ici ! Ici, j’ai des Milan Grygar. Il y a deux ans c’était Boštík. En ce moment, tout le monde veut des Grygar. Comme j’ai des dessins anciens parce que je l’ai exposé dans les années 1980 à Lyon, ça marche bien. J’ai vendu un grand Pierre Mabille l’an dernier, Miloslav Moucha bien sûr. Ça marche bien, c’est une très bonne foire pour moi. »