Rodrigue Norman : « La scène, le plus grand espace de liberté »

Le festival Afrique en création qui s’est achevé samedi a entre autres accueilli le dramaturge togolais Rodrigue Norman dont une des pièces « Allo, l’Afrique » vient de sortir en tchèque. Une autre de ses pièces a été jouée dans le cadre du festival. Tout cela se déroulait également dans le cadre des Journées de la francophonie. Avant de revenir sur l’origine de sa passion pour l’écriture, Rodrigue Norman a évoqué le petit opus qu’il a joué dans le cadre du festival, première pièce d’un triptyque autour du thème de la maison.

Rodrigue Norman
« La pièce parle des maison litigieuses à Lomé. En Europe il est courant de voir sur des maisons l’affiche ‘A vendre’. Mais au Togo, il n’est pas rare, il est même très fréquent de voir sur des maisons l’inscription ‘Maison à ne pas vendre’. En général ce sont des maisons qui font objet de litige entre les membres d’une même famille à cause de problèmes de succession, d’héritage. Il m’a plu de m’interroger sur problème. En plus de cela il y a un thème sous-jacent : celui de l’inflation des prix des maisons à Lomé. On a l’impression que les maisons ne peuvent être achetées que par des Togolais qui vivent à l’étranger qui utilisent une devise plus forte. Les prix sont fixés pour ceux qui vivent aux Etats-Unis ou en Europe. C’es un peu cette situation que j’essaye de tourner en dérision. »

Vous êtes un jeune auteur, j’aimerais savoir comment vous êtes venu à l’écriture...

« J’ai commencé à écrire il y a de cela quinze ans. J’ai écrit une dizaine de pièces dont quatre sont publiées. Je suis venu à l’écriture par curiosité et aussi par complexe par rapport à la langue française. Je suis issu d’un milieu assez modeste et pour mon émancipation j’avais besoin d’apprendre la langue française, parce qu’elle est un signe distinctif d’une certaine classe. Je crois que j’ai commencé à écrire à cause de mon complexe vis-à-vis de ceux qui parlaient français. Je voulais en avoir une maîtrise totale d’où l’exercice à l’âge de 12 ans : j’écrivais à la manière des auteurs que j’aimais bien. Petit à petit j’ai essayé de trouver ma propre liberté. Aujourd’hui, ce n’est plus par complexe que j’écris mais par nécessité. Mon objectif n’a plus été de maîtriser la langue française mais d’inventer ma propre langue qui n’est certainement plus la langue française mais une langue finalement francophone, avec un fond mina, ma langue maternelle. »

Avez-vous déjà songé à écrire dans votre langue maternelle ou l’avez-vous déjà fait ?

« Jamais, car c’est une langue orale. Mais il y a des gens de la génération avant la mienne qui ont appris à écrire, à transcrire cette langue mais je n’ai jamais eu cette science-là. Je sais la parler, mais pas l’écrire. »

Quels sont les emprunts que vous faites à la langue mina pour votre écriture ?

« J’aime parler de ‘copulation’ entre la langue française et la langue mina. Effectivement je m’exprime en français mais on oublie que mon imaginaire est peuplé de réalités de mon village, de la ville où je réside (Lomé, ndlr), la capitale des odeurs, et finalement j’essaye, à travers mon écriture à dominante française, de rendre compte de toutes ces images-là, de mon imaginaire, en langue française. Cela donne effectivement quelque chose de bizarre, des formulations pas tout à fait françaises. Des Français qui lisent mes pièces se heurtent parfois à la difficulté de prononciation des phrases... Ils trouvent que l’agencement n’est pas celui qu’on rencontre normalement. C’est dû au fait que j’ai envie de rendre compte d’une réalité qui n’est pas forcément française, mais qui résulte de mon histoire personnelle, de mes voyages etc. »

Vous faites donc des va-et-vient entre ces deux langues, vous faites également des va-et-vient entre les continents. Vous avez fait des résidences d’écrivains à l’étranger grâce au programme Ecritures vagabondes, dont le président Mohamed Kacimi était récemment à Prague. Qu’est-ce que ces échanges vous ont apporté à vous et à votre écriture ?

« Je pense que ça a été pendant longtemps des moments de formation pour ma carrière. Parce que je me suis confronté à plusieurs écrivains majeurs venus d’un peu partout, chacun avec son bagage. Ca a été de vrais moments d’échange de formation et de retrouvailles avec moi-même aussi. Effectivement, le Liban, la Syrie, le Mali, ce sont des univers totalement différents. Je crois qu’il y a une grande vérité dans cette expression qui dit : ‘les voyages forment la jeunesse’. »

Vous avez également vécu à Bruxelles. Vous avez eu l’occasion de découvrir les scènes européennes, bruxelloise en tout cas. Quel est votre regard sur le théâtre européen par rapport au théâtre africain ?

« Effectivement j’ai vécu en Belgique pendant cinq ans et j’ai parcouru quelque villes européennes : Paris, Saint-Etienne, Anvers, Londres... Je crois que le théâtre est fondamentalement né en Europe, plus précisément en Grèce. Moi je dis les choses comme elles sont : le théâtre n’est pas africain, il est grec. Si on parle du théâtre africain il faut dire qu’il est relativement jeune. Il a peut-être cinquante ans d’âge alors que le théâtre européen a 2600 ans. Ce théâtre se construit au jour le jour, il est fragile encore. Il existe sans doute encore d’autres formes de spectacle en Afrique, mais pas de théâtre. Donc qui veut apprendre le théâtre, à mon avis, doit se référer à l’origine de cet art. C’est-à-dire la Grèce. Moi, mes voyages en Europe m’ont permis d’aller à la source, de voir comment est né le théâtre. C’est très important si on veut inventer un théâtre un jour en Afrique. Ces cinq ans en Europe m’ont permis de voir pas mal de choses, maintenant que je suis revenu au Togo, il n’est évidemment pas question de transposer le théâtre occidental. Mais d’en utiliser les techniques pour raconter nos propres histoires : au niveau de la mise en scène, de l’écriture, de la scénographie. Tous ces éléments doivent être au service de nos propres histoires. C’est ce que j’essaye de faire au travers de ma compagnie au Togo, les 3C. J’ai ouvert également une petite école de théâtre. Il n’est pas question de parler de professionalisation du métier d’acteur comme on l’entend en Europe, tout cela est lié à la situation socio-économique et culturelle de notre pays et du continent en général qui est très fragile. L’économie n’est pas assez forte pour qu’on puisse se dire qu’on va vivre de ce métier. L’école est là pour aider ceux qui veulent s’adonner à cet art et bien le pratiquer. »

Que représente pour vous l’espace du théâtre ? Que ressentez-vous quand vous jouez ?

« La scène est pour moi le plus grand espace de liberté qui puisse exister. Pour moi la vie n’est pas comédie mais effectivement sur une scène de théâtre je peux m’embarquer dans toutes sortes de folie. Au départ, j’étais quelqu’un d’excessivement timide. La scène a été pour moi libératrice. Ce n’est que sur scène que j’arrive à m’exprimer véritablement sans garde-fous, sans retenue. »