Laurent Cantet : Donner une image plus humaine et plus partageable des enseignants
Nous revenons aujourd’hui sur le film Entre les murs, Palme d’Or à Cannes en 2008, qui est en concourt pour les Oscars 2009 dans la catégorie du meilleur film étranger. Ce film est sorti sur écrans en République tchèque depuis sa présentation au Festival du Film français à la fin du mois de novembre. Rappelons qu’Entre les murs est inspiré du livre écrit par un ancien professeur de Français, François Bégaudeau, qui joue dans le film son propre rôle. Le film a été tourné avec des élèves d’un collège du XXe arrondissement à Paris, un établissement considéré comme difficile. Je vous propose dans cette émission d’écouter l’intégralité de l’interview que le réalisateur Laurent Cantet a accordé à Radio Prague.
Je crois savoir que vous êtes fils d’enseignant et vous devez également être parent d’élève. Est-ce que le regard que porte François Bégaudeau sur l’école, c’est aussi le vôtre ? Deviez-vous vous identifier avec son discours pour réaliser ce film ?
« Oui, il y a une certaine sympathie vis-à-vis du personnage que François incarne et du personnage qu’il décrivait dans son livre. C’est ce qui m’a donné envie de travailler à partir de ce livre. J’ai l’impression que François représente assez bien le prof que je souhaite à mes enfants un jour parce que j’ai l’impression que c’est quelqu’un qui accepte par moments de prendre le risque d’une vraie discussion avec les élèves. Une discussion qui me semble essentielle même si elle paraît parfois un peu décousue, parfois tendue. Ce qui me semble nécessaire avant tout quand on veut enseigner, c’est de donner du sens à ce qu’on est en train d’enseigner. Des enfants de 14 ans ont besoin, pour trouver ce sens, de s’opposer un peu, de négocier la raison de leur présence ici, pourquoi ceci doit être appris. Ils ont besoin de mettre en forme une argumentation qui n’est pas encore très solide et que le professeur va les aider à former petit à petit. C’est un apprentissage à se penser dans le monde. »
Vous dites : apprendre à se penser dans le monde… Cette classe ont dirait une société en version réduite, une micro-société…
« C’est l’image que j’avais dès le départ, celle d’un microcosme qui allait nous décrire la société qui l’entoure. D’abord, l’école n’est pas coupée du monde, l’école est totalement perméable même si elle est souvent protégée par des murs effectivement. Elle est traversée par toutes les turbulences du monde. Et puis aussi parce que je pense qu’à cet âge-là, on est vraiment confronté aux questions qui par la suite deviennent des sortes d’automatismes. On les découvre à ce moment-là et on a un concentré de ce que par la suite on va vivre très naturellement. »
Les jeunes qui sont dans le film n’ont pas eu François Bégaudeau comme professeur. Ce sont des comédiens...
« Ce ne sont pas des comédiens... »
Enfin, ce sont des jeunes que vous avez fait jouer... Est-ce que vous avez rencontré des anciens élèves de François Bégaudeau ?
« Je n’ai jamais eu l’occasion de rencontrer les vrais élèves de François. En même temps, je pense connaître suffisamment François pour savoir que, dans tout ce qui est son rapport à la classe, il est assez sincère dans le film. Cette envie de provoquer toujours, à pousser les élèves à formuler des choses qu’ils n’auraient pas formulé sans lui, à les obliger à prendre conscience des limites de leur raisonnement. Tout ça c’est quelque chose qu’il fait naturellement et dans la vie aussi. Ce n’est pas quelqu’un qui entre dans une classe et adopte une posture de prof. C’est quelqu’un qui aime la discussion dans la vie, parce que c’est enrichissant et qui estime que c’est aussi une façon d’aborder une classe. »Vous disiez donc que ce ne sont pas vraiment des comédiens, ce sont de jeunes collégiens que vous avez formés sur le tas ?
« Ce n’est pas encore tout à fait cela. Très tôt, au début de l’écriture du scénario, j’ai organisé un atelier d’improvisation dans un collège parisien. Il était ouvert à tous les volontaires de classes de 4e et 3e, donc les 14-15 ans. Ils sont venus au départ à une cinquantaine, chaque mercredi après-midi pendant trois heures. On proposait des thèmes de départ, ils improvisaient, François était face à eux et jouait le rôle du prof et était déjà le personnage qu’il incarne dans le film. Très vite, les moins intéressés sont partis faire mille autres choses, 25 sont restés et ce sont les 25 qui sont dans le film. Je n’ai pas formé des acteurs, j’ai eu l’impression, dès le premier jour, qu’ils étaient aussi vifs et bons acteurs que ce qu’ils sont dans le film. Le travail a été surtout de créer des personnages, de tester des situations, même si on prenait garde à ne pas leur proposer des situations que le film allait rejouer par la suite, de peur de les user. Ca a été un moyen d’apprendre à nous connaître. Moi, ça me permettait de savoir ce que je pouvais attendre de chacun d’entre eux. On a créé des personnages, qui leur ressemblent un peu pour certains. Ou alors carrément avec certains autres on a créé de toutes pièces des personnages opposés à ce qu’ils sont dans la vie, mais parce que j’ai senti que c’était des adolescents qui aimaient jouer la comédie. Souleiman qui dans le film est le petit caïd, le petit dur de la classe, est joué par un garçon qui s’appelle Franck Keïta, un des garçons les plus doux et les plus sympathiques de la terre. A l’époque où on s’est rencontré, il était même timide, en retrait. Il m’intéressait justement parce que je sentais qu’il avait envie de jouer et parce que je suis intéressé par les personnages à plusieurs facettes. Un simple petit dur m’aurait vite désintéressé. Alors que quand j’arrive à sentir la fragilité et la douceur derrière la façade, j’ai l’impression que la personne existe plus. »Quelles ont été les réactions du monde professoral ? On voit bien déjà dans le film que la méthode et la façon d’envisager les choses divergent entre François et ses collègues...«C’est vrai que le film a divisé le monde enseignant en France, certains y retrouvant des expériences personnelles assez puissantes, et à l’opposé il y a un certain nombre de profs qui n’ont pas voulu se reconnaître dans cette école que je présente. Je pense qu’ils ont vu ce film comme un documentaire or ce n’en est pas un. C’est vraiment l’histoire de ce prof là, face à cette classe là, composée de ces enfants là. Ce qu’on essaye de montrer c’est les relations qui peuvent se nouer dans un contexte particulier. Moi je n’ai jamais cherché l’exemplarité.
Je n’ai jamais cherché à créer un prof modèle. Il ne l’est pas, il est toujours confronté à ses limites, ses erreurs, au fait qu’il faut toujours répondre et que dans l’improvisation on peut déraper, que quand on prend des risques, on risque de se planter. Certains profs ont eu du mal à accepter ce personnage. Je pense qu’à l’origine il y a avant tout un quiproquo. C’est le sentiment que ce film est un documentaire. Ce n’est pas le cas, et il n’est pas exhaustif : il montre quelques moments de la vie d’une classe, ce moment où le prof décide qu’on va discuter. Ce dialogue devient une espèce de négociation sur l’intérêt d’apprendre ceci ou cela. »Et la réaction des élèves qui ont vu ce film ?
« Les adolescents de manière générale sont beaucoup venus voir le film. Ca a été une très bonne surprise pour nous. Je pense que s’ils sont venus c’est aussi parce qu’ils ont senti que le film leur rendait justice, qu’il ne les juge pas, alors qu’ils sont habitués à être jugés, montrés du doigt, à être traités de crétins, de brûleurs de voiture. Finalement, c’est une tranche d’âge dont on a peur, parce qu’elle est incontrôlable, qu’elle a cette énergie incontrôlable qu’on lui voit dans le film. Sauf que là, on les regarde assez précisément pour déceler chez eux une vraie intelligence, une envie de comprendre le monde. Ils ont été assez sensibles à cette image là. Ils ont aussi découvert les coulisses de leur univers : l’image du prof qu’ils ont eux, c’est juste une fonction. C’est le prof devant eux, qui sait. Ils sont à un âge où on se définit par rapport au modèle de l’adulte donc le prof devient un personnage contre lequel on va aller. Ils m’ont quand même tous dit : quand même on a compris que les profs ne faisaient pas ce boulot par hasard, qu’ils le faisaient pour nous et puis quand ils sont entre eux, ils parlent de nous ! Il y a eu toute une série de témoignages d’adolescents qui m’a fait comprendre qu’on donnait à travers ce film une image plus humaine et plus partageable des profs. On voit qu’ils doutent et que ce n’est pas des super adultes qu’ils ont l’impression d’avoir en face d’eux. »