Penser le développement urbain
Le développement urbain, à Prague et ailleurs, est le thème de l’entretien que nous avons réalisé avec l’architecte français, Dominique Lyon, qui a participé à la Semaine de l’architecture que Prague accueillait la semaine dernière.
« Le principal danger, c’est le manque d’organisation, à un niveau politique. Il faut qu’une ville comme Prague, avec plus d’un million d’habitants, sache se doter d’outils d’analyses urbaines. La pire chose qui puisse arriver à une ville, c’est de manquer de ces outils et de laisser la main à des opérateurs privés qui quand ils voient qu’il n’y a pas de volonté politique et urbaine, font finalement n’importe quoi et arrivent, parce qu’ils ont l’argent, parce qu’ils ont le temps, à contrevenir aux règles et à faire des opérations qui sont contraires à l’architecture urbaine. La première chose c’est qu’il faut que les municipalités arrivent à sortir de vieilles habitudes de services d’urbanisme et arrivent avec la société civique à créer des cellules de recherche prospectives et qui arrivent à faire sur un certain nombre de quartiers des études qui permettent d’aider à la décision. Je pense que les maires doivent s’occuper aujourd’hui d’une manière beaucoup plus directe de leur développement urbain pour arriver à une maîtrise des décisions urbaines et à une culture urbaine qui n’y était pas au cours des dernières années.
Avez-vous suivi « l’affaire » du projet de la Bibliothèque nationale de Jan Kaplický ?
« De loin. J’étais au courant du concours. Le choix de Kaplický n’est pas surprenant, parce que c’est un peu l’enfant du pays. Son projet, je ne le connais pas très bien, j’ai vu quelques photos et quelques dessins, alors je n’ai pas une opinion architecturale sur le bâtiment. Je sais qu’il y avait certaines polémiques, mais je ne peux pas m’avancer plus… Le gros problème, c’est le problème de décision du pouvoir politique. Quand on invite Kaplický qui fait une architecture qui ressemble à Kaplický, tout est normal. On ne peut pas demander à Jan Kaplický une architecture qui contrevienne à son œuvre, à son imaginaire, à sa manière dont il envisage son travail. Je trouve en revanche que les hommes politiques devraient assumer et expliquer un peu plus la nature de leur choix. Maintenant on peut débattre pendant des années de savoir si c’est un bon bâtiment ou pas un bon bâtiment, on peut débattre de savoir si l’on veut la bibliothèque ici ou là, mais je pense que le concours en soit n’a pas été assez sérieusement organisé et je trouve que c’est dommage qu’il y ait des concours de cette nature, il doit y avoir un jury qui fait autorité et auquel le politique quand il y a des doutes sur la qualité de l’architecture puisse se référer, un jury constitué de personnalités qui ont un rayonnement international et une autorité acquise dans le pays et que le politique écoute les experts. Là, j’ai l’impression d’un louvoiement qui n’est pas très sérieux et c’est dommage pour tout le monde. Pour l’architecte, pour la population et pour les utilisateurs de la bibliothèque. »
En ce qui concerne le développement urbain, peut-on tirer des leçons des erreurs commises ?
« Bien sûr, on peut tirer des leçons des erreurs du passé, ce qui ne veut pas dire qu’il faut revenir à un stade de développement et de conception de la ville qui était antérieur à ses erreurs. Si l’on veut parler des développements des années 1960 et 1970 qui sont nos erreurs les plus récentes - mais on a continué à faire des erreurs dans les années 1980 et 1990 et on continue encore à faire des erreurs - je crois que ça pose deux problèmes. D’abord il y a le problème d’histoire. Il faut reconsidérer l’histoire et voir ce qui constituait vraiment une erreur architecturale et urbaine de l’époque de construire ces villes sur des théories modernes, ça a correspondu à un besoin, à un état de la pensée sur la ville qui était certes trop radicale, mais il faut considérer que l’on n’a pas remplacé, on a beaucoup de mal à remplacer ces théories par d’autres idées qui valent. Ensuite, il faut considérer que ces quartiers-là sont des quartiers qui sont habités. Alors la critique que l’on peut en faire ne doit pas conduire à ostraciser les gens qui y habitent, à les isoler, à leur donner le sentiment qu’ils sont absolument des parias. Il y a une manière de revitaliser la ville moderne, je pense qu’il y a des moyens qui ne sont pas seulement ceux de la destruction et sur lesquels il faut réfléchir ».