Les « comanches » au temps des bolchéviques ou quelques vestiges du vocabulaire communiste aujourd’hui
Salut à tous les tchécophiles de Radio Prague – Ahoj vám všem, milovníkům češtiny Radia Praha ! Puisque nous sommes en plein dans les commémorations du Printemps de Prague et de son écrasement en août 1968, nous allons aujourd’hui donner un caractère historique à cette nouvelle rubrique du tchèque du bout de la langue en mettant l’accent sur le vocabulaire typiquement communiste et sur les expressions qui ont survécu au changement de régime.
Le 21 août 1968, les chars soviétiques entrent dans la capitale tchécoslovaque; c’est l’invasion de 1968, - invaze, qui va préfigurer la période de normalisation, - normalizace. La normalisation exprime l’idée d’un « retour à la normale » mais ce n’est pas vraiment le ressenti de la plupart des Tchèques et des Slovaques, pour qui le pays est occupé par des armées étrangères, et notamment par les armées russes. C’est la raison pour laquelle des surnoms ont été attribués à ces nouveaux envahisseurs. Certaines personnes, notamment les personnes les plus âgées, auraient utilisé le terme de Švédi, littéralement les Suédois, pour désigner les soldats russes, sans se faire remarquer. Une des hypothèses qui explique le choix de cette nationalité plutôt qu’une autre remonterait à un épisode historique de la guerre de Trente ans où les armées suédoises ont occupé la capitale de la Bohême. Parfois, le subterfuge serait encore utilisé de nos jours pour signifier discrètement la présence de nombreux Russes dans un lieu, comme dans un hôtel ou dans une ville telle que Karlovy Vary qui est une des villes de prédilection pour les villégiatures de riches Russes en République tchèque. Beaucoup plus courant est le terme de Rusák, également aujourd’hui encore utilisé, qui désigne simplement de façon péjorative les ressortissants de nationalité russe, et qui correspondrait en français au terme de « Ruskov ».
La période communiste aujourd’hui terminée est elle-aussi désignée de façon quelque peu sarcastique puisque l’on peut entendre régulièrement des Tchèques faisant faire référence à la période des bolchévique, - za doby bolševiků, ou - za bolševiků. Quant à l’ancienne nomenklatura communiste, elle est également mentionnée avec des surnoms peu flatteurs. On peut aussi parfois entendre parler des komouši, la terminaison « ouš » en tchèque étant souvent péjorative, ou encore des komanči, soit des Comanches, du nom d’une tribu d’indiens d’Amérique. Dans ce cas, il semble que seule la proximité phonétique avec les komunisti, les communistes, explique l’utilisation de ce surnom.Le régime a beau s’être effondré depuis bientôt 20 ans, on peut entendre parfois parler de certains lieux sous leurs anciennes appellations communistes. L’allusion à la ville de Gottwaldov, qui vient de Klement Gottwald, président tchécoslovaque de 1948 à 1953, et qui avait donné temporairement son nom à la ville de Zlín, est généralement faite de façon humoristique ou par dérision. Cependant, il peut arriver d’écouter de jeunes skateboarders se donner rendez-vous u Stalina. Cela voudra dire qu’ils doivent se retrouver sur l’esplanade de Letná, un des lieux préférés des amateurs de sport « à roulettes », à proximité du grand métronome qui a justement remplacé la statue monumentale de l’ancien dictateur soviétique. A noter que l’histoire de cette statue est particulièrement intéressante. Construite à la toute fin des années 40, elle a été durant sa courte période de vie une des plus grandes sculptures de groupe à la gloire du « petit père des peuples ». Inaugurée en 1955, soit deux ans à peine après la mort de Staline, elle a été finalement été détruite en 1962, en pleine période de déstalinisation.
Les Français qui découvrent la langue tchèque apprennent rapidement que le mot ami ou copain se traduit par kamarád, ce qui renvoie chez eux naturellement à un vocabulaire communiste. Ce n’est cependant pas le cas en tchèque ; à ne pas confondre donc, c’était bien le terme soudruh qui était utilisé pour interpeller un collègue ou un confrère communiste.
Aujourd’hui, le système démocratique est profondément implanté en République tchèque. Néanmoins, la scène politique tchèque a la particularité de compter parme ses différents partis politiques un parti communiste qui assume et même parfois revendique l’héritage de l’ancien parti unique tchécoslovaque. Sans rentrer dans des considérations partisanes, il est assez cocasse de remarquer que le siège du parti est situé dans la rue des prisonniers politiques - ulice Politických vězňů.
C’est la fin de cette rubrique du tchèque au bout de la langue. « Děkujeme za spolupráci mezi národy »– « nous vous remercions de la coopération entre les peuples » comme on disait alors. Aujourd’hui, on prefère dire portez-vous donc du mieux possible – mějte se co nejlíp !, portez le soleil en vous – slunce v duši, salut et à bientôt – zatím ahoj !