L’Année Klostermann
Expositions, conférences, débats, rencontres, randonnées touristiques, fêtes, parution d’une dizaine d’ouvrages et programmes d’enseignement spéciaux – toutes ces manifestations sont et seront organisées cette année en hommage à Karel Klostermann. Ce romancier dont le nom est lié à jamais avec le massif de la Šumava, belle contrée romantique située aux confins de la Bohême et de la Bavière, est né il y a 160 ans. L’Année Klostermann permettra d’attirer l’attention du large public sur l’œuvre de cet écrivain et aussi de faire revivre le passé de la Šumava, ses beautés disparues et les vieilles coutumes de ses habitants.
La plus grande partie de la vie de Karel Klostermann s’est déroulée au XIXe siècle mais il est un des rares écrivains tchèques de cette époque à ne pas avoir été oublié et qui est même capable de mobiliser les gens. Plus encore, son personnage dépasse même le cadre strictement littéraire. Il personnifie en quelque sorte la région de la Šumava qu’il a immortalisée dans ses romans et il est également le symbole de la coexistence pacifique et fructueuse des ethnies tchèque et allemande dans cette région. Tout le prédestinait à devenir écrivain de langue allemande et pourtant c’est en tchèque qu’il a finalement rédigé la majorité de ses œuvres littéraires. Václav Vaněk de l’Institut de Littérature tchèque de l’Université Charles rappelle que Karel Klostermann n’a pris la décision d’écrire en tchèque que relativement tard :
«Klostermann s’est toujours considéré comme un écrivain tchèque et il le souligne beaucoup dans ses souvenirs. D’autre part, il est vrai que l’origine de cet écrivain est un peu particulière. Ses parents étaient d’origine allemande et il a été élevé par une gouvernante allemande qui ne parlait pas tchèque. Il a essentiellement fréquenté des écoles allemandes. Et même les premières œuvres qu’il a publiées étaient écrites en allemand. Il ne s’est reconverti à la littérature tchèque qu’à l’âge de 40 ans lorsque l’écrivain Václav Vlček l’a appelé à écrire en tchèque.»
Karel Klostermann est né pendant l’année révolutionnaire de 1848 à Haag en Autriche. Son père est médecin, descendant d’une vieille famille de fermier de la Šumava, sa mère provient d’une famille de verriers qui descend des Huguenots français. Peu après la naissance de Karel, la famille s’établit à Sušice, au pied de la Šumava et c’est dès ce moment-là que commence la longue histoire d’amour entre l’écrivain et sa région.Le jeune Karel veut devenir médecin comme son père mais n’achève pas ses études de médecine à Vienne, se lance pour quelque temps dans le journalisme et finit par devenir d’abord suppléant puis professeur d’allemand et de français au lycée de Plzeň. Après la disparition de sa première femme, il se remarie avec une riche veuve ce qui le met à l’abris des soucis matériels et lui permet de se consacrer entièrement, à partir de 1908, à la grande passion de sa vie – la littérature. Son œuvre et sa vie s’achèvent en 1923, cinq ans après la création de la nouvelle République tchécoslovaque.
Déjà la liste des œuvres de Karel Klostermann éveille le respect. Ses œuvres complètes parues entre 1904 et 1940 comptent 40 volumes. Pour écrire ses romans et ses nouvelles, il s’inspire de sa propre vie, de la vie des émigrés tchèques à Vienne, de ses voyages mais surtout de la vie des habitants de la Šumava. Ce pays de montagnes, de forêts, de lacs et de marécages ressurgit dans ses livres dans toute sa sombre beauté.
Le romancier dépeint les forestiers, bûcherons, braconniers, flotteurs de bois et verriers qui peuplent la Šumava mais il est loin de donner une image idyllique de la vie de ces montagnards. Les héros de ses romans connaissent bien le revers de cette belle contrée, la nature rude et les dangers des travaux forestiers, la solitude désolante de la forêt profonde, les hivers terribles pendant lesquels les montagnards se retrouvent complètement isolés du reste du monde par la neige. Et ce sont les vies dramatiques et souvent tragiques de ces habitants des montagnes qui lui inspirent ces romans les plus célèbres, œuvres dans lesquelles, comme le constate Václav Vaněk, il déploie cependant aussi sa fantaisie de romancier:
« Ses romans ne donnent pas une image tout à fait réaliste du monde de la Šumava. Et même lorsqu’il choisit les personnages et les événements dont il parlera dans ses livres, il le fait en tenant compte de l’intérêt qu’ils peuvent susciter chez le lecteur et les aspects dramatiques de leurs existences. Klostermann voulait rendre ses livres captivants et c’est en cela qu’il s’apparente aux auteurs néoromantiques dont Brett Harte, Jack London ou, en Russie, Maxime Gorki.»
Une partie de la critique littéraire reproche à Karel Klostermann que ses romans sont trop descriptifs et que les caractères de leurs personnages manquent de profondeur. D’autres cherchent à le réduire au niveau d’un auteur régional. Pour Václav Vaněk cela ne diminue nullement l'importance de cet écrivain:
«Je pense que l’importance des auteurs régionaux n’est pas négligeable. Pratiquement toute cette pléiade des auteurs qui entraient dans la littérature tchèque dans les années 1880 et 1890, dont Antal Stašek, Karel Václav Rais et Josef Holeček, est liée avec certaines régions, et c’est grâce à eux que certaines régions se sont faites connaître à l’ensemble de la population. Le milieu que ces auteurs décrivent dans leurs œuvres est agrandi comme sous une loupe, et cela leur permet de montrer aussi les problèmes de portée générale.»
L’Année Klostermann sera célébrée des deux côtés de la frontière tchéco-allemande. 160 ans après sa naissance, l’écrivain poursuit encore son influence bénéfique. Il continue à concilier et à réunir Tchèques et Allemands qui s’associent pour lui rendre hommage. Et s’il peut exercer cette influence encore aujourd’hui, c’est sans doute grâce aux qualités indéniables de son œuvre littéraire. C’est son talent de grand narrateur qui lui permet d’échapper au sort de ces écrivains dont les noms figurent dans les manuels scolaires mais qu’on ne lit plus. Václav Vaněk:
«Karel Klostermann est aujourd’hui un auteur populaire. C’est même étonnant. Il suffit de se rendre compte de l’importance des festivités organisées pour le 160e anniversaire de sa naissance. Plus de 80 manifestations seront organisées à cette occasion. Une bière spéciale qui porte son nom a été fabriquée, un timbre poste avec son portrait a été émis, etc. Klostermann convient au monde actuel par le caractère dramatique des faits qu’il décrit. Il convient au monde actuel aussi parce qu’il ne cherche pas, comme on le faisait parfois au XIXe siècle, à concilier les antagonismes. Il dit ouvertement que la vie est difficile. »