«Sur les ailes d’un moulin à vent », une biographie romancée de Zdenka Braunerová
« Sentimentale jusqu’à l’ardeur. Chaste jusqu’à la pruderie. Elle tient à la propriété. Elle condamne avec sévérité. Elle est contente d’être au monde. Elle n’aime pas qu’on lui rappelle son âge. Une féminité toute particulière.» Ces quelques remarques ont été inscrites dans son journal au début du XXe siècle par l’écrivain tchèque Jaroslav Maria lors de son voyage en Italie en compagnie de son amie, le peintre Zdenka Braunerová, artiste dont nous fêtons ces jours-ci le 150e anniversaire de la naissance. Dans son journal, Jaroslav Maria a tenté de brosser en quelques traits rapides le portrait de Zdenka. Beaucoup plus tard, un demi-siècle après la mort de Zdenka, un autre écrivain tchèque, František Kožík, lui consacrera un grand roman en deux tomes intitulés „Sur les ailes d’un moulin à vent“ et „Une fin d’été turbulante“. Ni Jaroslav Maria ni František Kožík ne cachent leur admiration pour cette femme, qui a choisi un métier d’homme, sans renoncer à sa féminité.
Le roman de František Kožík illustre aussi le rapport profond qui liait Zdenka Braunerová à la France et à sa culture. Pendant toute sa vie, elle est une ambassadrice non officielle de la culture tchèque en France et de la culture française en Bohême. Elle lutte contre le provincialisme des milieux artistiques tchèques, ouvre les fenêtres sur le monde. En France, sa tâche est facilitée par sa connaissance de la langue et de la culture françaises, mais surtout par son intelligence et son charme qui lui ouvrent les portes et ne laissent pas indifférents les coeurs masculins. Ses rapports avec Joris-Karl Huysmans sont plus qu’une simple amitié et elle est souvent invitée aussi dans la famille du peintre Odilon Redon.
Lorsqu’on organise à Prague, en 1902, une grande exposition des oeuvres d’Auguste Rodin, c’est aussi grâce à elle que le voyage du célèbre sculpteur en Bohême et en Moravie se transforme en une véritable manifestation de l’amitié franco-tchèque. Elle surveille l’installation de ses oeuvres dans un pavillon construit spécialement pour l’occasion, accueille le sculpteur, le reçoit dans sa maison de Roztoky et lui tient compagnie pendant tout son séjour. Elle l’accompagne aussi en Slovaquie morave pour lui montrer les arts et les coutumes charmantes du peuple de cette région. Le séjour de Rodin en Moravie est une perpétuelle fête populaire. Le sculpteur, ému et admiratif, compare la Slovaquie morave à la Hellade ressuscitée. Il remercie longuement Zdenka, il n’arrive pas à se séparer d’elle et lui offre son aquarelle „Une femme se baignant dans la mer“. Dès que Zdenka reçoit le billet lui annonçant ce cadeau, elle court à l’exposition Rodin pour savourer son bonheur. Elle en parlera ensuite dans une lettre :
«…là, avec un petit billet de vous, je me suis tout doucement installée sur une chaise devant cette admirable baigneuse. Elle est donc vraiment à moi, cette admirable femme dans la mer bleue. Ce n’est pas un rêve comme ce n’est pas un rêve que je vous aime. »
De retour à Paris, Rodin enverra des lettres à celle qu’il appelle „ma grande amie“, lettres pleines de métaphores poétiques dans lesquelles il la compare aux fleurs et aux étoiles et célèbre les beautés de son âme, mais aussi sa force mystique et sensuelle.
Un autre chapitre franco-tchèque dans la vie de Zdenka Braunerová est son amitié pour Paul Claudel. Le poète est nommé consul de France à Prague en 1909. Zdenka trouve pour lui et sa jeune femme enceinte un appartement à Prague et elle devient aussi parraine de sa fille, baptisée Reine-Amélie-Zdenka et surnommée dans la famille Zdenkette. Claudel est assez isolé dans un pays dont il ne connaît pas la langue. C’est grâce à Zdenka et à son ami Miloš Marten qu’il peut sortir un peu de cet isolement et connaître aussi les beautés cachées de Prague et de Bohême. Souvent, il rend visite à Zdenka dans sa maison de Roztoky, il se rend avec elle à Turnov et visite en sa compagnie les ruines du château de Trosky dans lesquelles il croit découvrir la matérialisation de ce qu’il a imaginé dans sa pièce „L’Annonce faite à Marie“. Leur amitié s’approfondit de jour en jour. Zdenka lui parle de l’histoire tchèque et cherche à expliquer et à défendre le patriotisme de son peuple. Elle orne les livres de Claudel de ses illustrations. En 1910, Claudel envoie à Zdenka un recueil de ses poèmes, Cinq Grandes Odes. Zdenka remercie le poète dans une lettre :«Je l’ai lu, relu, et je relirai toujours votre admirable livre, car dans les heures de tristesse et de découragement, il me sera un refuge ; je viendrai me réchauffer à sa flamme : je viendrai admirer l’art immense de vos vers dont le rythme est beau et travaillé avec art, comme la plus belle sculpture grecque, ces vers sonores et métalliques comme la source sortante de terre couverte de sapins. Les Odes seront mon refuge car elles réveillent la conscience et la forcent à une sévérité terrible vis-à-vis de moi-même, elles me montrent l’immense échelle qu’il faut grimper encore, pour oser dire un jour : j’aime Dieu de toute ma force. Merci donc, cher Monsieur et précieux ami, qui avez apporté dans ma vie tant de bonheur. »Lorsque Claudel est affecté au consulat de Francfort, Zdenka, contrainte de se séparer de lui, fond en larmes. Eloigné, Claudel continuera dans ses lettres de lui parler de son amitié et évoquera la lumière miraculeuse qui émanait d’elle.
Le peintre Jan Zrzavý écrira dans ses Mémoires :
« Zdenka Braunerová était une femme extraordinaire, spirituelle, cultivée et originale. Elle avait un goût excellent, un esprit pénétrant et une grâce particulière. Quand je l’ai connue, elle avait soixante ans. Elle ne mâchait pas ses mots. Elle avait plus de gaîté et d’optimisme que les jeunes. Elle me donnait la foi et le plaisir de vivre. »