Luxe, distraction et sécurité pour les Russes à Prague
Karlovy Vary, la célèbre ville d’eau située en Bohême de l’ouest, ne semble plus être la seule destination privilégiée des Russes, comme ce fut le cas dans les années quatre-vingt-dix. C’est dorénavant Prague qui aurait le plus d’attrait pour les Russes aisés, ainsi que pour ceux un peu moins aisés et qui ont décidé de quitter leur pays d’origine pour s’établir en Tchéquie. Nous avons lu pour vous un article publié dans l’hebdomadaire Tyden qui consacre plusieurs pages à ce thème et vous proposerons également le témoignage d’une ressortissante de l’un des pays ayant appartenu à l’ancienne Union soviétique.
« Karlovy Vary n’est plus tellement en vogue. C’est Prague que les Russes privilégient. On trouve dans la capitale tchèque plus de Russes que de Vietnamiens, deux fois plus qu’il y a cinq ans, soit près de 13 000. Les entrepreneurs russes cherchent les principaux défis professionnels ailleurs, il est vrai, mais ils aiment y installer leurs familles. Il y a tout ce dont la classe moyenne russe a besoin : des clubs de tennis, des écoles internationales et, surtout, de la sécurité », écrit le journal et constate :
« La classe moyenne russe se porte mieux que jamais. Ses heureux représentants qui sont de plus en plus nombreux à Prague ne le cachent nullement et leur progéniture veut surtout s’amuser : dans des boîtes de nuit de luxe qui sont situés sur la place Venceslas ou ailleurs au centre-ville. Dans quelques mois, un premier club conçu dans le style moscovite exubérant sera ouvert sur la place de la République ».
L’hebdomadaire cite un certain Alexandr, 22 ans qui s’est fixé à Prague, avec ses parents, il y a sept ans, et qui dit :
« On voudrait ici plus de distraction, plus de clubs, plus d’éclat, bref, on voudrait faire de Prague une plus grande ville… Je me rends plusieurs fois par an à Moscou, mais c’est ici, à Prague, que je suis chez moi. La vie ici est cool ».
S’amuser ne paraît pas être la principale ambition de la journaliste Katsiarina Prakofyeva qui vit à Prague depuis cinq ans. Elle n’est pas venue de Russie, mais de Minsk en Biélorussie pour accompagner son fiancé.« J’ai été prête comme toutes les filles qui ont été formées par la littérature russe à suivre mon fiancé jusqu’à la Sibérie. Mais ce n’était pas finalement la Sibérie, c’était Prague. Au début, c’était un peu pénible, car je ne connaissais pas le tchèque, mais maintenant, tout se passe bien. »
Vous êtes établie à Prague pour de bon ?
« Je ne pense pas. Cela dépend de mon mari et de ses activités professionnelles. Il étudie et fait du business. Au début, j’ai travaillé comme journaliste et interprète et maintenant je suis journaliste. La vie à Prague me plaît, c’est une ville tendre et lente, différente de Minsk et de Paris qui sont des villes assez rigides et sévères. »
Avez-vous des amis tchèques ?
« Je suis surtout en contacts avec les Russes qui sont principalement à la radio Liberté, malheureusement je n’ai pas beaucoup de contacts avec les Tchèques ».
Un retour aux racines. C’est ainsi que l’hebdomadaire Tyden décrit, parmi d’autres histoires, le parcours d’un jeune violoniste russe, Sasha Shonert, 35 ans qui est venu à Prague après avoir abandonné avec sa mère, il y a neuf ans, la ville d’Irkutsk.
« Le grand-père de Sasha Shonert avait vécu avant la Deuxième Guerre mondiale à Vienne. Pour se sauver et fuir Hitler, il s’est réfugié, naïf, en Union Soviétique. Venu d’Occident, Juif et non communiste, il s’est vu immédiatement transférer dans un camp du goulag sibérien. Libéré, il est resté en Sibérie, s’y est marié et allait mourir deux ans plus tard. C’est là que sont nés son fils et son petit-fils. La décision de déménager à Prague est tombée après la mort du père de Sasha ».
Les débuts de la famille à Prague ont été on ne peut plus difficiles, car elle s’était fait voler au départ et priver de tous ses moyens par les gens qui devaient servir de médiateurs. Sasha Shonert se souvient :
« C’était une très mauvaise période. En plus, l’atmosphère en Tchéquie à l’égard des Russes était à l’époque beaucoup plus hostile qu’elle ne l’est aujourd’hui. On ne parlait que de mafias russes… Finalement, ce sont des amis tchèques qui m’ont aidé ».
Aujourd’hui, Sasha Shonert est un violoniste très sollicité qui se fait inviter par les meilleurs interprètes, se produit en concert dans le pays et à l’étranger. Il habite avec sa mère dans un quartier périphérique de Prague, donne des cours de violon. Il dit : « Plutôt que Russe ou Juif, je me sens avant tout Européen ».
Le russe est une langue que l’on peut aujourd’hui couramment entendre dans les rues de la ville, dans les magasins, dans le métro. Pour toute une génération des Tchèques, cette langue évoque toujours les événements du mois d’août 1968 liés à l’écrasement du fameux Printemps de Prague par les chars soviétiques. L’hebdomadaire Tyden cite la Russe Maria Zukova qui prétend pourtant n’avoir jamais connu d’animosité de la part des Tchèques lesquels, à la différence des Moscovites, seraient « des gens gentils et bienveillants». En outre, pas mal de Tchèques ont toujours tendance à voir dans la présence russe dans le pays le danger d’intrusion des mafias. On écoute encore une fois Katsiarina Prakofyeva.
« Je ne peux pas dire que les gens qui appartiennent à la mafia n’existent pas. Bien sûr, ils existent. Il y a beaucoup de gens riches, beaucoup de gens qui contrôlent le business…Moi personnellement, j’ai plutôt des contacts avec les Ukrainiens et les Biélorusses, car il me semble que certains Russes ont le complexe de supériorité, souvent ils ne sont pas vraiment agréables à contacter et à communiquer. Dans ce contexte, je peux comprendre les Tchèques qui ne les aiment pas tellement. Mais dire que tous sont de la mafia comme j’ai entendu le dire beaucoup de Tchèques, n’est pas vrai ».L’hebdomadaire Tyden cite à la fin de son article intitulé « U nás v Práge », (Chez nous, à Prague), qui est consacré à la présence russe à Prague, Josef Hausar, secrétaire de l’Eglise orthodoxe, qui affirme que les Russes les plus riches sont absents à Prague.
« Ceux-ci essaient d’être le plus loin possible de leur patrie. Les Russes n’oublient pas leur propre histoire et l’histoire des immigrés russes en Tchécoslovaquie après 1945. L’Armée russe avait alors déporté dans des goulags soviétiques près de quatre cents Russes qui vivaient à Prague, avec le soutien des autorités de la ville ».
Dans cette logique, certains Russes semblent craindre que la Tchéquie puisse de nouveau dépendre de la Russie et que les choses puissent se répéter.