Jean-Christophe Maillot : "Roméo et Juliette ? C’est une histoire d’adolescents avec toute la fougue, l’innocence et la bêtise de la jeunesse."
Le public de Prague a frénétiquement applaudi, ce week-end, trois représentions du ballet « Roméo et Juliette » de Sergei Prokofiev présentées sur la scène du Théâtre national par la compagnie des Ballets de Monte-Carlo. La chorégraphie du spectacle est signée du directeur de l’ensemble Jean-Christophe Maillot. Au début du XXe siècle le théâtre de Monte-Carlo était l’établissement qui accueillait les célèbres Ballets russes et la compagnie actuelle prolonge en quelque sorte cette glorieuse tradition. Dans un entretien accordé à Radio Prague Jean-Christophe Maillot a avoué que c’est une responsabilité un peu lourde à assumer :
« Oui, c’est une tradition un peu effrayante pour tout individu. La concentration de génies et d’hommes de talent était tellement forte que j’ai envie de dire que c’est une très lourde responsabilité que d’avoir ces fantômes sur les épaules. Mais par contre il y a une chose qui m’est très proche: c’est cette idée de la véritable collaboration entre les gens, ce besoin que j’ai, de lier dans la danse les arts plastiques et la musique et aussi cette relation humaine qui, je crois, était aussi forte chez Diaghilev, cette capacité de mesurer la bonne entente dans le travail artistique (...) »
Je crois que chaque chorégraphe moderne doit se poser la question quelle est son attitude vis-à-vis de la danse classique. Quelle est votre réponse à cette question ?
« Je suis issu de cette école-là. Elle fait partie de moi. Dans ma danse j’ai eu toujours à faire face à l’histoire du ballet. Par contre, en tant que chorégraphe, je crois qu’il est très important d’avoir l’ambition de réécrire une partition chorégraphique déjà existante. D’avoir au moins un point de vue différent ou un angle de vue différent sur ce qu’on a déjà connu. Donc moi, je suis de ceux qui pensent qu’il n’y a pas d’évolution artistique sans respect d’une tradition, sans connaissance d’une tradition. Par contre il n’y pas d’évolution artistique si l’on n’a pas, à un moment, l’ambition de la casser ou au moins de la remettre en question. »
Vous présentez à Prague le ballet de Serguei Prokofiev « Roméo et Juliette ». Quels aspects de l’histoire des amants de Vérone voulez vous souligner ?
Qu’est-ce que la danse peut raconter ? Elle peut raconter la dimension amoureuse, la dimension adolescente de ces gens. C’est une bande d’enfants. Ils n’ont que seize ou dix-sept ans et tournent mal, par arrogance, par prétention, par stupidité tout d’un coup, ils vont frôler, vont toucher la mort. Ce que je voulais faire ressortir avant tout c’est cette dimension de l’homme et de la femme dans une relation amoureuse, cette dimension qui a à voir avec la chaire, avec le sang, avec l’impulsion amoureuse. Donc c’est avant tout pour moi une histoire d’adolescents avec toute la fougue, l’innocence et la bêtise de la jeunesse. »
Beaucoup de chorégraphes dans le passé ont déjà travaillé sur ce ballet. Vous êtes-vous inspiré de leur travail ?
« (…) L’inspiration a été plus forte pour moi avec le film ‘Roméo et Juliette’ de Zeffirelli que j’ai trouvé extraordinaire parce que tout le texte de Shakespeare a été entièrement respecté et pourtant il y avait cette capacité de le transposer à la vraie vie. On arrivait à comprendre que les gens pouvaient parler comme Shakespeare tout en vivant comme nous vivons. C’est peut-être ce qui m’a le plus touché. C’est pour ça que le spectacle est conçu d’ailleurs un peu comme un film. Dans le spectacle j’utilise le ralenti, l’accéléré, l’arrêt sur image, le « flash-back », donc les méthodes propres au cinéma et je trouvais intéressant de voir comment on pouvait les transposer au théâtre. »
Votre ensemble est très international. Avez-vous déjà travaillé avec des danseurs tchèques ?
(…) Une compagnie de danse comme celle-là, c’est passionnant à partir d’un certain moment où l’on s’aperçoit qu’on a une passion commune qui en l’occurrence est la danse (cela pourrait être la vie, l’économie ou la politique). On arrive à oublier les particularités de chacun au service d’un propos qui est le spectacle. Donc, ce que je veux dire par là, c’est que moi, je ne fais pas face à un danseur tchèque, en tant Tchèque, mais à un danseur remarquable qui, humainement, est une personne qui est sans doute assez passionnante et il se trouve par ailleurs qu’il est Tchèque. C’est un plus que lui peut apporter, un plus qu’il porte. Voilà. »
Vous avez déjà collaboré avec des ensembles de grands théâtres européens et américains. Aimeriez-vous travaillez aussi avec la compagnie du Théâtre national tchèque ?
« Sur le principe je n’ai absolument aucune objection. Après cela dépend de deux choses. Cela dépend évidement du souhait du directeur de la compagnie (Petr Zuska) qui est un homme que j’apprécie beaucoup, un homme courageux qui fait un beau travail. Et puis ça dépend aussi de la façon dont je vais recevoir la compagnie d’ici, comment je vais l’appréhender, comment je vais la comprendre et si je peux avoir une relation affective avec ces danseurs, Parce que pour moi ça reste la chose la plus importante. Si je sens qu’il y a une volonté, un désir de leur part, et moi, j’ai le sentiment que je peux humblement leur apporter quelque chose ou cela peut leur permettre de vivre quelque chose d’intéressant, à ce moment-là je le ferai. »