Emission spéciale 28 septembre

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Aujourd'hui, une émission spéciale 28 septembre, à l'occasion de la fête nationale de la Saint-Venceslas. Et plutôt que d'évoquer une énième fois l'histoire du patron de la Bohême, Radio Prague vous propose d'aller à la rencontre de Vlasta Cepkova-Lavalova. Lavalova... ou bien plutôt Laval, oui, cette vieille dame pétillante de 82 ans porte un nom français, celui de son mari, qu'elle a rencontré dans les circonstances exceptionnelles de la Deuxième Guerre mondiale, alors que celui-ci était prisonnier de guerre et travaillait comme jardinier avec la jeune Vlasta Cepkova.

La rengaine tchèque archi-connue « Skoda lasky » qui fit florès pendant la guerre de 39-45 et est plus connue dans les pays francophones sous le titre de Rosamonde ne s'applique donc guère à Vlasta et Louis, puisque ses paroles en version originale sont celles d'un amour décu.

Sur les hauteurs de Prague, dans son petit appartement d'une des villas très Première république situées entre le parc de Letna et le Château, madame Laval reçoit à bras ouverts. Elle est immédiatement reconnaissable : quand on a vu les photos de sa jeunesse dans le livre publié qui rassemble ses écrits de jeune fille pendant la Deuxième Guerre mondiale, on est même étonné de voir que les années ont à peine altéré ses traits.

« Aujourd'hui, ils n'ont annoncé aucune exécution », c'est le titre qui a été choisi par les éditions Prostor pour cet ouvrage de la collection « Mémoire tchèque » (Ceska pamet) qui rassemble l'essentiel des journaux intimes de Vlasta Cepkova, née en 1924. L'ouvrage s'ouvre sur son journal de 1938, année de l'annexion d'une partie de la Tchécoslovaquie par les nazis, et reprend en 1942, couvrant les trois années suivantes, jusqu'à la Libération.

Cette rencontre part de votre livre qui a été publié en 2004. Il s'agit de vos journaux intimes pendant la guerre et un peu auparavant aussi si je ne me trompe pas ?

Vlasta Cepkova
« Oui, j'ai commencé en 1938, j'avais alors pas tout à fait quatorze ans. J'avais été très touchée par l'arrivée des Allemands, de l'armée allemande dans les Sudètes. Mais ce qui m'a surtout touchée et qui m'a semblé intéressant, c'est qu'avant la guerre, enfants tchèques et allemands jouaient ensemble - c'était tout-à-fait normal. Moi je parlais indifféremment allemand ou tchèque. C'était plus une question de savoir si on s'aimait ou pas entre enfants, mais on ne faisait pas de différence. »

Vous voulez dire que ce n'était pas une question de nationalité ?

« Oui, c'est cela. Et d'un seul coup, ça a changé. Il y a plusieurs choses qui ont joué. Par exemple la Grande Crise. »

La Grande Crise de 1929...

« Elle a surtout touché les Sudètes parce qu'il y avait des gens qui travaillaient dans l'industrie du tissu, le tissage... Et c'était des Allemands. La grande présence des Allemands dans cette région a à faire avec notre histoire. Cela a été très germanisé. Il y avait des noms tout-à-fait tchèques mais c'était des Allemands. Et soudain, ils voyaient qu'en Allemagne, les gens avaient du travail ; ils ne se rendaient pas compte que c'était juste à cause de l'industrie de l'armement et l'armée. A côté de cela, chez nous, c'était horrible avec 1 million de chômeurs. Je pense que c'est ce qui explique cette terrible haine. Bien sûr, il y avait des gens qui venaient attiser cette haine, depuis l'Allemagne, et puis ceux qui se trouvaient parmi les Allemands de chez nous, comme Henlein. Soudain Allemands et Tchèques ont arrêté de parler ensemble. Les gens ont commencé à nous haïr. »

En plus vous ne veniez pas d'une famille ouvrière, vous veniez d'une famille bourgeoise. Est-ce que cela a pu jouer aussi ?

Château de Ulice
« Non, à ce moment-là, c'était vraiment une question de nationalité. Je le décris d'ailleurs dans mon livre. Parce qu'il a été écrit au moment où ça s'est passé, et qu'on oublie beaucoup, je sais qu'aujourd'hui je ne pourrais plus l'écrire ainsi, décrire à retardement. Mais c'est resté comme je l'ai écrit, à l'âge de quatorze ans : on ressent cette terrible peur que l'on avait. Je me souviens par exemple d'un événement. Nous habitions dans un petit château, et les Tchèques du village venaient se cacher chez nous, car il y avait des émeutes provoquées par des gens qui écoutaient dans les gasthaus les discours d'Hitler. L'alcool aidant, ils sont sortis en hurlant qu'ils allaient tués tous les Tchèques. Les Tchèques sont venus se cacher chez nous. Je me souviens que j'avais une peur bleue. Je me demandais où je pourrais bien me cacher, dans la cheminée par exemple. J'entends encore comme on casait les fenêtres... »

C'est frappant en effet dans votre récit : la violence de ces rapports, et quand avec le recul, nos générations apprennent ou lisent l'histoire, on sait que c'est violent, mais on ne se s'en rend pas forcément compte, alors que votre témoignage est vraiment pris sur le vif...

« C'est cela, je pense que c'est ce qui fait d'ailleurs la valeur du livre, qu'il a été écrit à l'époque. Moi, bien sûr, je ne comptais pas du tout le publier. Il a été écrit comme je l'ai vécu sur le moment. »

C'est d'ailleurs aussi à la lenteur du récit, à la valeur de quotidienneté des journaux qu'a été sensible l'écrivaine Alena Wagnerova, comme elle le révèle dans son introduction pour expliquer ce qui lui a donné envie de faire publier ce témoignage. Cette spécialiste des questions nationales ayant trait aux Sudètes a été frappée par le contraste que suscitait la lecture des journaux : la tension dramatique, que l'on croit absente à première vue, se fait sentir de l'intérieur, elle s'échappe paraxodalement des journées monotones et des petits événements sans importance sur lesquels se greffe la guerre et ses conséquences.

Les employés du jardin à Ulice,  Vlasta Cepkova est la troisième de gauche
A Ulice, le 17 juin 1942

Dehors il fait beau. Le blé ondule au vent, le seigle est en fleur ainsi que les acacias et le jasmin. Les enfants ne viennent plus me voir pour jouer au ballon prisonnier et au volley-ball. Ils n'ont plus le droit, le parti l'a interdit. Bozena vient parfois le soir en catimini, Spito aussi. Ils bégayent déjà quand ils parlent tchèque. De toutes les façons, je n'ai pas grand'chose à leur dire.

Nous avons planté du chou et des choux-raves et Anda m'a félicitée. (...) Ensuite, cet imbécile de Seidl est arrivé. Il allait avec moi à l'école tchèque, mais maintenant il est du côté des Allemands. Il a dit qu'il y aurait beaucoup de gens qui mériteraient d'être fusillé dans le village. C'était un chic garçon autrefois.

Le soir, j'étais assise près de la cheminée avec mon oncle et j'ai reprisé des chaussettes. Nous avons écouté le concert pour violoncelle de Dvorak et les informations. Ils n'ont annoncé aucune exécution. Une belle journée en somme.

Nous sommes donc en 1942. Depuis 1939, Vlasta Cepova et ses frères et soeurs vivent à Prague : sa mère a été chassée du petit château familial d'Ulice, près de Plzen, dans les Sudètes, à cause de ses activités dans l'oganisation gymnique et patriotique des Sokols. Lorsqu'en cette année 1942, Vlasta, qui a la santé fragile, tombe encore une fois malade, sa mère décide de l'envoyer à Ulice où son oncle, qui n'a jamais affiché aucune opinion politique, a pu rester pour s'occuper du domaine. Elle va faire ses armes de jardinière en travaillant avec d'autres ouvriers. C'est aussi là, qu'elle recommence à écrire ses journaux... et qu'elle va faire la connaissance d'un Français, Louis Laval...

Vlasta Cepkova et Louis Laval
« On s'est retrouvés dans cette grande maison, avec juste mon oncle, qui n'était pas trop bavard, et moi. J'avais dix-sept ans à ce moment-là et je n'avais personne à qui parler. Il y avait quand même un Français. »

Qu'est-ce qu'il faisait ?

« Il était employé au jardin. Il y avait des prisonniers de guerre. D'abord ils ont travaillé dans les bois. Ils vivaient tous dans une bergerie : les conditions étaient très difficiles au début parce qu'ils ne recevaient pas de paquets ni rien. Plus tard, ça s'est amélioré, mais en attendant, ils étaient très mal habillés : je sais même qu'ils n'avaient pas de chaussures, ils n'avaient que des bouts d'étoffes qu'ils portaient l'hiver et marchaient comme cela - c'était affreux. Dans cette bergerie, ils étaient une trentaine. Puis les Allemands ont commencé à tomber au front, c'était déjà le moment de la campagne de Russie et ils ont manqué soudain de main-d'oeuvre. Ils ont dû réorganiser : ils ont fait de petits « lager », des petits camps où les prisonniers étaient enfermés, mais ils allaient quand même travailler chez les femmes des cultivateurs puisque les hommes étaient au front en tant que soldats. Ils les ont remplacés. Mais ils étaient gardés, le soir, ils devaient rentrer et le gardien les enfermait. »

Quand j'ai lu vos journaux, je me suis dit : c'est fou, votre histoire, on dirait un film ! Non, en fait, je pense que si on le voyait dans un film, on se dirait que ce n'est pas réaliste, que cela ne se passe jamais comme cela dans la 'vraie vie', mais ça s'est passé pour vous...

Louis Laval  (au milieu) au camp de prisonnier
« Ca s'est passé, en effet. Et pourtant tout était contre nous. Tout. Parce que je voyais bien comme ça ne marchait pas les mariages de deux nationalités, j'avais l'exemple des Tchèques et des Allemands. Je voyais les drames que cela provoquait, surtout après l'arrivée d'Hitler. C'était affreux ce qu'il pouvait se passer dans ces mariages mixtes. Alors je disais toujours : je me marierais avec n'importe qui, mais jamais au grand jamais avec un étranger ! On ne doit jamais dire cela, jamais. Moi, je voulais toujours le mettre sur le compte de l'amitié, je disais toujours que je n'avais aucun autre ami aussi bon que lui etc. Mais c'est petit à petit, comme cela, que nous sommes tombés amoureux. »

C'est vrai que tout au long de votre journal, vous y allez à reculons : vous vous défendez sans cesse d'être amoureuse. Les gens autour de vous lancent des ragots, disent que passez tout votre temps ensemble et vous, vous remettez toujours cela sur le compte de l'amitié...

Louis Laval au camp de prisonnier
« Je pense que c'est surtout parce que je voyais que les mariages mixtes ne marchaient pas. Et encore maintenant, il y a des gens qui viennent me voir et me demander si je leur conseillerais de se marier avec un Français, ou une Française etc. Et je leur dis toujours non. Je ne peux pas. S'ils me le demandent, ça veut déjà dire quelque chose. Si l'on est vraiment amoureux, on ne demande à personne. Mais si vous me le demandez, je dis non, car se marier, c'est toujours un risque, on ne peut jamais savoir si on sera tout-à-fait heureux. Mais ça, c'est un double-risque. J'ai une amie tchèque qui s'est mariée avec un Suédois, elle a divorcé plus tard, et elle me disait toujours : on n'avait pas vu les mêmes histoires pour enfants à la télé, les 'vecernicky'. »

Un manque de repères communs...

« Des repères, oui. Et ça doit jouer un peu aussi. Il faut vraiment bien se connaître. »

Et Vlasta Cepova et Louis Laval ont eu le temps de se découvrir... Les trois années de la guerre, ils vont les passer à partager leurs solitudes respectives.

Ulice, le 17 novembre 1943

Je suis arrivée au jardin la première ; Louis est arrivé en saluant timidement et il a préféré ne même pas m'adresser un regard. Nous avons attendu que le jardinier s'en aille, nous n'arrêtions pas de l'observer tant et si bien que j'avais peur que ce soit trop évident. Il est parti au bout de quelques minutes, et Louis a pu me dire qu'il était désolé de s'être confié et qu'il avait tout gâché. Je lui est dit que non, et que ce serait encore plus beau. Mais toute la journée, nous nous sommes regardés tristement. Le soir, en coupant les oignons, il y avait un silence gêné, mais ensuite, nous avons recommencé à parler livres, religion, des hommes, d'expéditions polaires, de la Corée et de tout et n'importe quoi. Il m'a apporté une petite ellébore en fleur qu'il avait trouvée sur un rocher. Il paraît qu'elle résistera à l'hiver, tout comme notre amitié. J'ai du mal à savoir ce que je pense. Je l'aime vraiment beaucoup. Il est généreux et sincère, d'une pureté presque enfantine, et je me sens si bien avec lui. Il me rassure et me donne des forces, je sais qu'il s'occuperait toujours de moi. Mais c'est un Français ! Je vais dormir maintenant.

Vlasta Cepkova et Louis Laval  (Prague,  à peu près 1953)
« C'était un hasard formidable qu'on ait fait connaissance, car il y avait une douzaine de prisonniers français, qui étaient bien gentils, mais sans plus. Mais je ne pouvais parler avec personne d'autre comme avec Louis : avec lui, on pouvait parler de tout. C'était toujours amusant. Quand on se connaissait déjà bien, un jour, on a dû préparer des couches de terre pour planter les légumes. Il fallait mettre du fumier et le taper avec les pieds. C'était un peu comme une danse ! Avec Louis, on faisait des petits pas, l'un contre l'autre, pour tasser le fumier, et en même temps, on parlait de Voltaire ! (rires) Louis était instruit, bien qu'il n'ait été que très peu à l'école, mais il lisait beaucoup. Je pouvais parler avec lui des choses qui m'intéressaient. »

Vlasta Cepkova a fini par vaincre ses craintes et ses réticences vis-à-vis d'une union qu'elle redoutait au départ, pour les raisons de nationalité qu'elle a elle-même évoquées. Entre son service militaire et ses années passées comme prisonnier de guerre, Louis Laval passa près de 8 ans loin de la France : à son retour, il ne lui resta que sa soeur, veuve de guerre, qui vivait toujours dans leur région d'origine, non loin de Toulouse. Après une année de séparation après la fin de la Deuxième Guerre, Vlasta et Louis se sont enfin mariés et ont vécu deux années en France, avant de rentrer en Tchécoslovaquie, car Vlasta souhaitait être auprès de sa mère. Louis et Vlasta ont eu deux enfants, Daniel et Roland, quatre petits-enfants et trois arrière-petits-enfants. Vlasta Laval est seule aujourd'hui, dans son petit appartement de Letna : Louis Laval est décédé en 1998.

Photo: Le livre: Vlasta Lavalova - Dnes nehlasili zadne popravy