Régimes totalitaires : depuis 20 ans, les archives tchèques « Paměť národa » entretiennent la mémoire du passé

Mémoire de la nation

La République tchèque possède la troisième plus grande collection de récits de témoins des régimes totalitaires au monde. Appelée « Paměť národa » (Mémoire de la nation), elle contient des milliers de témoignages audiovisuels recueillis par des journalistes, historiens, documentaristes et étudiants dans une trentaine de pays et accessibles sur Internet. Jusqu’à fin novembre, l’ONG Post Bellum, qui organise le projet depuis 2001, célèbre ses vingt ans d’activités par des concerts, expositions, visites, débats et rencontres.

Alois Vocásek | Photo: Martina Mašková/Paměť národa

L’histoire du projet « Mémoire de la nation » commence avec Alois Vocásek, âgé de 105 ans en 2001. Dernier membre des anciennes légions tchécoslovaques encore en vie à l’époque, Alois Vocásek est devenu la première personnalité à raconter son parcours au micro du jeune journaliste Mikuláš Kroupa. Aujourd’hui directeur de l’association Post Bellum, Mikuláš Kroupa se souvient :

« Le projet est né il y a vingt ans, dans un appartement pragois. Nous étions trois étudiants en journalisme et en histoire. Nous nous rencontrions et discutions de ce qu’allait devenir la société tchèque lorsque les anciens combattants de la guerre 14-18, ceux qui étaient, comme Alois Vocásek, membre des unités tchécoslovaques à l’étranger, allaient disparaître. Nous nous demandions aussi ce qu’allait devenir la génération de nos enfants lorsque les anciens combattants de la Seconde Guerre mondiale ne seraient plus là. La même question se pose quant aux opposants au régime communiste. »

Photo: Kateřina Ayzpurvit,  Radio Prague Int.

Depuis 2001, l’équipe de Post Bellum a recueilli près de 10 000 témoignages de personnes qui ont fait l’expérience d’un régime totalitaire. De par leur ampleur, les archives « Mémoire de la nation » sont comparables à celles de la fondation Shoah, créée par le cinéaste Steven Spielberg ou encore à celles de la collection du Musée commémoratif de l’Holocauste des Etats-Unis.

On écoute Vít Makarius, l’un des trois fondateurs des archives :

Une exposition de Paměť národa | Photo: Miloš Turek,  Radio Prague Int.

« Les débuts de ce projet étaient assez périlleux, nous étions trois, n’avions qu’un seul dictaphone et étions très occupés à chercher les adresses des vétérans de la Seconde Guerre mondiale. Dans un premier temps, nous avons réussi à interviewer une centaine d’anciens combattants ce qui était un énorme succès pour nous à l’époque. Notre objectif était de rassembler le plus de témoignages possible et de les mettre à disposition des historiens et journalistes notamment. »

Témoignages des héros de la résistance et des gens inconnus

Accessibles en ligne, les archives tchèques contiennent des enregistrements audiovisuels, des photographies et documents. Nous y trouvons les témoignages de survivants de l’Holocauste, des soldats, des prisonniers politiques de l’époque communiste, des représentants de la dissidence et de la culture underground. « Mémoire de la nation » propose également les confessions de quelques-uns des représentants du pouvoir communiste, par exemple d’anciens agents de la police secrète.

Photo: Paměť národa

Ces témoignages inédits offrent une précieuse contribution à l’histoire de la République tchèque, comme nous l’explique Vít Makarius :

Photo: Martina Schneibergová,  Radio Prague Int.

« Aujourd’hui, nous avons des moyens techniques incomparables avec nos débuts et notre équipe s’est considérablement agrandie. Mais notre mission reste la même qu’il y a vingt ans : c’est-à-dire conserver les souvenirs intéressants de personnes  qui ont vécu les moments majeurs de l’histoire tchèque du XXe siècle et en même temps leur donner satisfaction, reconnaître publiquement leurs mérites, les remercier pour le courage dont ils ont fait preuve dans les moments difficiles. Car tout le monde connaissait les grands personnages de la résistance tchécoslovaque, les pilotes de la Royal Air Force britannique František Fajtl et František Peřina par exemple que nous avons également interviewés, mais notre but était aussi de donner la parole à d’autres personnes courageuses, inconnues du grand public. »

L’organisation Post Bellum s’attache à collecter des témoignages également à l’étranger : à Cuba ou en Biélorussie. Les activités des journalistes et historiens tchèques ont incité leurs collègues à lancer des projets similaires dans des dizaines de pays à travers le monde.

Photo: Miloš Turek,  Radio Prague Int.

En République tchèque, Post Bellum exerce diverses activités : publie des livres, CD et DVD, prépare des émissions radio, organise des projets éducatifs pour les écoles, des expositions, débats et autres manifestations encore, tout cela en coopération avec l’Institut des régimes totalitaires, la Radio et la Télévision tchèques. Martin Kroupa est le responsable du développement régional de Post Bellum. Il reste attaché au projet « Mémoire de la nation » qu’il connaît depuis ses débuts :

Photo: ČT

« Près d’un tiers de nos interlocuteurs, avec qui nous avons réalisé des heures et des heures d’enregistrements, sont maintenant décédés. Nous sommes peut-être les seuls qui ont recueilli leurs témoignages, leurs réflexions personnelles. A quoi sert ce projet ? Ce sera aux générations futures de répondre à cette question. Je crois que nos activités ont grandement contribué au fait que le Parti communiste ne soit désormais plus représenté au Parlement. Enfin, les histoires que nous rassemblons inspirent et interpellent. Elles nous montrent ce que nous-mêmes pouvons devenir : des gens courageux et honnêtes ou alors des personnes qui ne le sont pas. »

Photo: Paměť Národa

A Pardubice, le premier Institut tchèque de la mémoire

Mikuláš Kroupa | Photo: ČRo Plus

Depuis vingt ans, l’ONG s’est implantée dans huit villes tchèques. Elle a ses succursales à Hradec Králové, Pardubice, Olomouc, Zlín, Brno, Liberec, Plzeň et České Budějovice. Mais ses ambitions vont plus loin, explique le directeur Mikuláš Kroupa.

« Nous voulons fonder dans chaque chef-lieu de région un Institut de la mémoire. Ces institutions qui permettent une réflexion historique à travers des moyens modernes existent dans de nombreux pays d’Europe centrale et occidentale, mais pas encore en République tchèque. Fin novembre, notre association va inaugurer un premier Institut de la mémoire à Pardubice. Si nous sommes soutenus dans notre démarche par l’Etat, nous sommes prêts à ouvrir, dès l’année prochaine, d’autres instituts à Brno, Olomouc et ailleurs. »

Les archives « Mémoire de la nation » sont disponibles en tchèque et en anglais sur le site www.pametnaroda.cz (www.memoryofnations.eu/en). Ceux qui connaissent dans leur entourage une personne intéressante dont le témoignage pourrait alimenter le fond, peuvent contacter par mail l’équipe de Post Bellum ([email protected]), ouverte à toute initiative du grand public.

Auteurs: Magdalena Hrozínková , Mikuláš Kroupa
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