L'idylle franco-tchèque

Munich 1938
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La francophilie des Tchèques sous la 1ère République est bien connue. Au plan géostratégique, les relations franco-tchèques n'ont pourtant pas toujours été synonymes d'idylle ! De l'âge classique jusqu'à la 1ère guerre mondiale, les Tchèques sont intégrés, parfois malgré eux, dans un ensemble géopolitique aux intérêts opposés à ceux de la France. Intenses à partir de la fin du XIXe siècle, les relations franco-tchèques se doublent de l'affirmation d'un ennemi commun, la Prusse. Un âge d'or qui s'achèvera sur la grande désillusion de Munich, en 1938.

Turenne
Pour la noblesse tchèque, les Français pourraient être vus, du XVIe au XVIIIe siècle, comme des alliés potentiels contre la domination autrichienne. Ils apparaîtront surtout comme des partenaires potentiellemement inconstants !

On n'a pas oublié, dans cette région, l'alliance entre François Ier et Soliman en 1536, dirigée contre Charles Quint. Un acte qui avait alors choqué le monde chrétien en Europe.

Preuve de la mauvaise réputation des Français, cette anecdote, qui se déroule à Prague à l'époque des guerres franco-allemandes du XVIIe siècle. En 1689, la Vieille-Ville subit un grave incendie, qui détruit également une grande partie du quartier juif. On accuse arbitrairement des marchands français d'être à l'origine de l'accident. Rappelons qu'en 1674, Turenne, maréchal de Louis XIV, avait ordonné l'incendie du Palatinat, en Allemagne, afin de protéger l'Alsace de l'avancée des troupes ennemies.

En 1713, l'empereur autrichien Charles VI promulge sa pragmatique sanction, autorisant la transmission des pouvoirs par la femme. En 1717, est née sa fille Marie-Thérèse et le roi est soucieux d'assurer l'avenir de la couronne. La France elle-même reconnaît la pragmatique sanction. Ce qui ne l'empêche pas, à la mort de Charles VI en 1740, de s'engager dans une alliance avec la Bavière, dirigée contre les possessions héréditaires de l'Autriche.

Marie-Thérèse
Une armée française, commandée par le maréchal de Belle-Isle, entre en Bohême avec un régiment bavarois. Le 26 novembre 1741, elle occupe Prague. L'intérêt, pour Louis XIV, est clair : il ne s'agit pas de s'emparer du royaume de Bohême mais de diviser, par une alliance de revers, le domaine autrichien.

C'est d'ailleurs encore avec l'aide de la France que l'Electeur de Bavière est déclaré empereur en 1742, sous le nom de Charles VII. En août, l'armée autrichienne attaque les 30 000 hommes de l'armée franco-bavaroise. Le combat se soldera par la victoire des Habsbourg et Marie-Thérèse recouvrira l'hommage de la noblesse tchèque à Prague.

Le bilan de ces affrontements est désastreux pour des Tchèques, qui ne sont pourtant pas directement concernés. Les villages proches de Prague ont été pillés et détruits, comme Holesovice, Bubenec et Dejvice, aujourd'hui des quartiers de Prague. L'armée française s'est rendue impopulaire en levant de lourds impôts de guerre. Les prix des denrées alimentaires connaissent une brusque flambée. Soulignons qu'à leur entrée dans Prague, les troupes impériales, victorieuses, se livreront à leur tour à un pillage en règle de la ville !

Bataille à Slavkov
Cinquante ans plus tard, l'Autriche apparaît toujours comme l'ennemi numéro un d'une France devenue, entre-temps, révolutionnaire. L'adversaire géostratégique s'est doublé d'un ennemi idéologique, les Habsbourg représentant une dynastie de l'Ancien Régime, "réactionnaire" et conservatrice. Ne voit-on d'ailleurs pas participer, lors du couronnement de Léopold II à Prague en 1791, la fine fleur de la contre-révolution française, avec le comte Alex Fersen, le prince de Polignac et le marquis de Bouillé ?

En août 1792, la France déclare la guerre au "roi de Bohême et de Hongrie". Lors des guerres napoléoniennes, Prague ne sera pas touchée et c'est près de Brno, à Slavkov (Austerlitz) qu'auront lieu les combats décisifs. Mis à part quelques gestes isolés de sympathie, les idéaux révolutionnaires ont un impact assez limité en Bohême. Sans doute certains nobles y voient-ils une menace pour leur propre pouvoir.

Il faut attendre la naissance d'un ennemi commun, incarné par l'Allemange, pour voir une solide convergence d'intérêts entre Français et Tchèques. Après la défaite de Sedan en 1870, l'ennemi à abattre, pour la France, n'est plus l'Autriche mais l'Allemagne. En Bohême, le mouvement de l'Eveil national est appuyé par une nouvelle élite. Issue des milieux bourgeois et roturiers, elle est réceptive aux principes de la République de Gambetta et de Clémenceau. En 1897, la France ouvre un consulat à Prague.

Munich 1938 | Photo: Bundesarchiv,  Bild 183-R69173/Wikimedia Commons,  CC BY-SA 1.0
La 1ère guerre mondiale donnera l'occasion à cette francophilie de s'exprimer par les actes. Le Conseil National, fondé en exil par Masaryk, forme les Légions tchèques, qui s'illustrent, entre autres, sur le front français. Et c'est symboliquement à Paris que la déclaration de Washington sur la naissance de la Tchécoslovaquie est rendue publique le 18 octobre 1918.

L'alliance franco-tchèque est à son apogée et il faut peut-être voir l'influence de la France dans la politique de laïcité de la 1ère République tchécoslovaque. La trahison de Munich, en 1938, sonnera le glas de cet âge d'or. On le sait, les premiers ministres anglais et français, Chamberlain et Daladier, cèdent alors à Hitler les "Sudètes", régions frontalières avec l'Allemagne. Ce faisant, la France trahit les engagements formulés envers l'allié tchèque dans le traité de 1925.

Un abandon que justifieront sommairement les tenants français de la collaboration avec les nazis, en niant les droits historiques de la nation tchèque, qu'ils relèguent volontiers au rang de territoire à coloniser. Ce faisant, ils renient également les affinités d'une IIIe République, qu'ils détestent tant.

1938 cristallisera une solide déception. La France restera perçue comme un allié naturel voire un modèle culturel mais rien ne sera peut-être plus comme avant.