Retour sur les accords de Munich et leur « mythe »

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1938, c’est une autre date marquante de l’histoire tchèque finissant « en huit » et un anniversaire toujours douloureux pour les Tchèques. Le 30 septembre de cette année-là, les chefs de gouvernement britannique et français, Neville Chamberlain et Edouard Daladier, lors d’une conférence organisée à Munich avec Hitler et Mussolini, laissaient à l’Allemagne nazie les mains libres pour prendre possession de la région germanophone des Sudètes. Pensant sauvegarder la paix, Londres et Paris abandonnaient piteusement leur allié tchécoslovaque, lequel n’avait même pas été invité à la table des négociations et se voyait ainsi amputé d’une partie de son territoire. Pour en parler, Radio Prague a contacté l’historien Fritz Taubert, enseignant-chercheur à l’Université de Bourgogne, qui a consacré certains de ses travaux aux accords de Munich.

Un prétexte pour envahir la Tchécoslovaquie

Fritz Taubert,  photo: Academia / Université de Bourgogne
Fritz Taubert, vous avez dirigé un ouvrage collectif paru en 2002 et intitulé Le Mythe de Munich. Quel est ce mythe ?

« Ce mythe, il s’agit plutôt de la mémoire et de la réception ex-post des accords de Munich. J’évoque dans ce livre, et pas mal de mes collègues aussi, comment Munich est utilisé aujourd’hui, c’est-à-dire en France surtout, le ‘Munich agricole’ de Chirac, le ‘Munich pédagogique’ d’Antoine Prost pour parler de l’Education nationale, et beaucoup d’autres ‘Munich’ utilisés pour parler d’une défaite définitive dans un domaine. »

Avant ces mythes, il y a les accords de Munich en tant que tels, qui proviennent de la crise des Sudètes. Quand, en Allemagne, la question des Sudètes devient-elle un sujet de préoccupation ?

« On peut dire que les Sudètes deviennent un enjeu seulement pendant le nazisme. Les Sudètes ne sont pas liées à la défaite de l’Allemagne ou de l’Autriche-Hongrie, elles sont évidemment une partie de la Tchécoslovaquie nouvellement créée après la Première Guerre mondiale. Donc les Sudètes en tant que telles n’ont jamais été un enjeu du Reich allemand. C’est une question éventuellement de l’ancien Empire austro-hongrois. Les Sudètes sont en fait un prétexte des nazis, d’Hitler, pour attaquer la Tchécoslovaquie en 1938. »

Quand alors précisément les Sudètes deviennent-elles un problème ? Quand Hitler se penche-t-il sur les Sudètes ? Est-ce après l’Anschluss au début de l’année 1938 ?

Le conférence de Munich  (Neville Chamberlain,  Edouard Daladier,  Adolf Hitler,  Benito Mussolini) | Photo: Bundesarchiv 183-R69173/Wikimedia Commons,  CC BY-SA 4.0 DEED
« Je pense que, officiellement, c’est après l’Anschluss. Mais évidemment, ce genre de choses se prépare avant. Je n’ai pas consulté les archives de l'Auswärtiges Amt (Office des Affaires étrangères) sur le sujet, mais je pense que cela a été préparé auparavant. »

Et au cours de cette année 1938, comment aboutit-on à cette conférence de Munich ? Est-ce une stratégie délibérée des dirigeants nazis ?

« La conférence de Munich a été arrachée à Hitler par les puissances française et britannique, avec l’aide de Mussolini. Hitler ne voulait pas de conférence. Il voulait déjà la guerre à cette époque à mon avis, et je ne suis pas le seul à le penser. Il voulait définitivement envahir la Tchécoslovaquie et les Sudètes étaient le prétexte. »

La conférence de Munich a eu lieu du 29 au 30 septembre 1938 et elle a abouti au fait que les Français et les Britanniques ont laissé l’Allemagne nazie annexer la région des Sudètes, sans que les Tchécoslovaques n’aient été invités à la table des négociations. Pourquoi les Français et les Britanniques ont-ils laissé tomber leur allié tchécoslovaque ?

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« C’est une véritable tragédie avec des côtés de temps en temps presque cocasses. Les Français et les Britanniques voulaient absolument la paix. Ils ne voulaient surtout pas la guerre. Puisque de toute façon la victime était la Tchécoslovaquie, on craignait que la délégation tchécoslovaque pousserait éventuellement à la guerre. C’est pour cela, à mon avis, qu’on les a écartés. Une façon plus qu’impolie de la part des Britanniques et des Français parce que la victime n’avait même pas l’occasion de protester. »

La seule considération était donc d’éviter à tout prix la guerre du côté de Londres et de Paris ?

« C’était évident. Et puis, il faut bien le dire, les deux délégations avaient derrière elles deux peuples qui ne voulaient surtout pas marcher à la guerre. C’est certain, aussi bien Daladier que Chamberlain savaient que leurs peuples n’étaient pas pour la guerre et marcheraient avec très peu d’enthousiasme. »

Vous l’avez mentionné, Mussolini a aussi insisté pour avoir cette conférence. Quel rôle a joué l’Italie, pour laquelle on peut penser que cette question des Sudètes était secondaire ?

« Il est vrai que Mussolini avait encore beaucoup de choses à faire en Ethiopie et ailleurs. Son problème n’était franchement pas les Sudètes. Il avait permis l’Anschluss, qu’il avait refusé en 1934, et il avait certainement en tête que, pour l’instant, cela suffisait comme concession à Hitler. Il y a ensuite presque la certitude, même si l’on n'a jamais mis la main sur l’archive : apparemment à l’Office des Affaires étrangères, sous la direction de Ernst von Weizsäcker, on ne voulait pas la guerre non plus et on a mis entre les mains de Mussolini la proposition finale qui a été acceptée par Hitler, entre autres, parce qu’elle venait de Mussolini. Il y a un jeu de dupes tragico-comique, où tout le monde croyait qu’il roulerait l’autre dans la farine. Finalement, les seuls qui ont été roulés dans la farine ont été les Tchécoslovaques. »

Comment Hitler a-t-il vécu le résultat des accords, lui qui voulait une résolution militaire de ce différend avec la Tchécoslovaquie ?

« Il était très mécontent. Il y a plusieurs sources là-dessus. Albert Speer n’est pas une source fiable mais il écrit que plusieurs semaines, et même plusieurs mois après Munich, Hitler était constamment de mauvaise humeur et disait que c’était une défaite de sa politique et que Chamberlain et Daladier lui avaient extorqué l’accord qu’il ne voulait pas. »

Des troupes hitlériennes au Château de Prague le 15 mars 1939 | Photo: public domain
D’ailleurs, le Troisième Reich envahit finalement la Tchécoslovaquie en mars 1939. Est-ce lié à ce qui est perçu comme une défaite par Hitler et pourquoi les puissances occidentales, le Royaume-Uni et la France, ne réagissent-elles pas ?

« Elles n’avaient pas réagi à Munich, donc elles ne le pouvaient pas à ce moment. A cette époque, il y avait quand même la séparation entre la Tchéquie et la Slovaquie. L’invasion de Prague n’était pas, à mon avis, considérée comme le début de la guerre, qui a eu lieu quelques mois après. »

Il y a des mémoires différenciées autour de ces accords de Munich. On sait qu’en Tchéquie, c’est une mémoire très douloureuse. Qu’en est-il en Allemagne ?

« Il y a le mythe de Munich en France, mais on l’utilise aussi en Grande-Bretagne et également aux Etats-Unis dans la littérature : Munich est le symbole de la défaite diplomatique en pleine paix. Il faut dire que pour les Allemands, Munich n’était pas forcément une défaite. C’était une défaite éventuellement pour Hitler, mais pas pour le peuple allemand, si on peut le dire ainsi. Donc l’utilisation du terme Munich en Allemagne n’était absolument pas courante après 1945. Le premier, qui a utilisé Munich dans le même sens que les Français et les Britanniques, c’était, si je me souviens bien, c’était peut-être Daniel Cohn-Bendit autour de Sarajevo, c’est-à-dire très tardivement. »

Et en France et au Royaume-Uni, comment a évolué la mémoire de Munich ? Jusqu’à aujourd’hui, il y a cette expression ‘esprit munichois’ qui est très péjoratif.

À son retour à Londres le 30 septembre 1938,  Neville Chamberlain brandissant devant la foule le document qui atteste de l'accord de Munich.,  photo: public domain
« Oui, c’est toujours le même problème. Munich était une défaite et est devenu le symbole d’une défaite de quelque sorte qu’elle soit. Munich est d’ailleurs, surtout en France, utilisé très couramment et toujours de façon erronée. »

Du point de vue historiographique, quelles sont les questions que se posent encore les historiens à propos de ces accords ?

« Il y a beaucoup de choses qui sont très claires. Ce qui est toujours un peu en question, c’est le rôle concret de l’Italie et de Mussolini. Là on n’a pas encore tout éclairé, mais peut-être qu’on n’éclairera jamais cela. Et puis, il y a une question qui n’est pas historiographique mais c’est un problème qui subsiste toujours entre l’Allemagne et la Tchéquie. Les accords de Munich étaient-ils des accords qui n’étaient pas valables dès leurs origines ou bien étaient-ils valides en 1938 ? La question n’a toujours pas été résolue entre les deux Etats. »