Trois photographes tchèques dans la « zone morte » de Tchernobyl
Une poupée et quelques petits jouets encore couverts de poussière, d'une poussière radioactive vieille de vingt ans. Cette image d'une école maternelle de la région de Tchernobyl, où le temps s'est arrêté, figure sur l'affiche de l'exposition « Modlitba za Cernobyl » (« Prière pour Tchernobyl ») qui est à voir jusqu'au 6 mai prochain à la galerie du couvent des franciscains, Jungmannovo namesti, à Prague 1.
L'exposition rassemble les travaux de trois photographes tchèques. Vaclav Vasku, l'auteur de la photo de l'affiche, est écologiste et ancien porte-parole de Greenpeace en République tchèque. Sa série de photographies de Tchernobyl a remporté le deuxième prix dans la compétition Czech Press Photo 2005. Antonin Kratochvil, installé à New York, se classe parmi les photographes tchèques les plus connus dans le monde. Enfin, Martin Wagner, le plus jeune de ce trio, âgé de 25 ans, est photographe et voyageur. Sa spécialité, c'est la découverte des pays de l'ex-URSS, notamment des parties difficilement accessibles et peu visitées de ce territoire. Il y a un certain temps, les trois photographes se sont rencontrés en Ukraine, presque au pied de l'ancienne centrale de Tchernobyl, où ils ont concocté ce projet d'exposition. A l'occasion du 20e anniversaire du drame, ils nous présentent trois regards différents sur la zone interdite, morte, mais pas tout à fait. Martin Wagner explique :
« Antonin Kratochvil a cherché une certaine beauté dans toute cette apocalypse, où la nature se montre plus forte que l'homme. Il a photographié, par exemple, des cités HLM abandonnées et envahies par la verdure. Vaclav Vasku, lui, s'intéresse plutôt aux gens. A chaque fois, il choisit une personne et raconte l'histoire de sa vie. Quant à moi, j'ai fait une série de portraits de gens qui vivent dans la zone radioactive, mais ne peuvent pas ou ne veulent pas partir. Soit ils attendent encore qu'on les évacue, soit ils ont refusé de s'en aller. Il y en a aussi qui sont revenus et qui disent : nous sommes nés ici, nous aimons ce coin du pays et nous ne partirons pas. »
Quels risques pour un jeune homme en pleine forme de passer plusieurs semaines à Tchernobyl ? Martin Wagner :
« Quand vous vous promenez dans les endroits touchés par la radiation, vous ne ressentez rien de spécial. Ce n'est qu'en regardant autour de vous que vous vous rendez compte de ce qui s'est passé. Pripiat, par exemple, qui est une ville morte, m'est apparue comme une décharge. Ses habitants ont dû quitter leurs domiciles en l'espace d'une journée et n'y sont jamais revenus. J'ai trouvé difficile d'y prendre des photos qui seraient spécifiques pour cette ville. C'est vraiment étrange de traverser des régions au paysage presque tchèque, mais qui sont désertes, avec juste quelques îlots de vie - quelques petites maisons habitées par des vieillards et éparpillées çà et là. Evidemment, c'est assez déprimant. »
« Il y a un tas de gens qui m'ont touché... Tous, je dirais. J'imagine que les visiteurs de cette exposition éprouvent une sorte d'humilité et de tristesse... Mais vous savez, les gens en Ukraine ne peuvent pas être dépressifs pendant vingt ans. Ils vivent comme nous. Evidemment, il y en a qui resteront gravés dans ma mémoire plus que d'autres. Vous pouvez voir ici le portrait d'un caméraman, M. Chapochnikov, de Kiev. Après l'accident, il a fait des reportages pour la télévision nationale, mais les informations qu'il diffusait étaient fausses. Il a été exposé à de fortes doses de radiations et quand je l'ai photographié, il était, pour ainsi dire, sur son lit de mort. Il pense qu'il a été puni pour avoir menti aux gens. Moi, je ne suis pas d'accord, j'accuse de tout cela le régime d'alors et le parti. Mais en tout cas, ce n'est pas évident de se retrouver face à un homme qui se croit, à lui seul, responsable d'un tel malheur... »
... Le témoignage de Martin Wagner, photographe et voyageur, qui rêve de se rendre, la prochaine fois, sur les îles Kouriles.