Pleins feux sur la littérature tchèque des années soixante

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C'est un grand retour auquel on peut assister, cette année, au Centre Culturel Tchèque à Paris. Les visiteurs sont invités à retourner aux années soixante du XXe siècle en Tchécoslovaquie, période où le dégel politique a permis à la culture tchèque et slovaque de s'épanouir et de renouer avec l'essor culturel de l'entre-deux-guerres. Toute une pléiade d'excellents écrivains a vu le jour pendant ces années-là. Inutile de présenter Vaclav Havel, Bohumil Hrabal, Jaroslav Seifert et Milan Kundera, mais le public français ne connaît pratiquement pas de nombreux autres noms qui le méritent. Une série de soirées littéraires animées par Jean-Gaspard Palenicek au Centre Culturel Tchèque à Paris, tout au long de cette année, fait connaître au public parisien cette pléiade mal connue. Jean-Gaspard Palenicek a présenté cette série de soirées littéraires au micro de Radio Prague.

Quelles sont les spécificités de la littérature tchèque des années soixante ?

"Disons que la spécificité des années soixante est le fait que cette période voit le régime prendre un tournant moins draconien et de ce fait un certain nombre d'écrivains passé sous silence dans les années cinquante peut publier à nouveau. Cela influence beaucoup les générations plus jeunes où il y a un foisonnement, une espèce de sensation de la liberté qui est peut-être à portée de main. "

Quelles inspirations cette période a-t-elle apporté aux écrivains tchèques ?

"Disons que la plupart, ou au moins une partie des écrivains tchèques, essaient de se distancier de ce qu'a été la version stalinienne du régime communiste. Ils le font, soit en regardant les exemples qui viennent de l'étranger, soit tout simplement en essayant d'avoir une création sincère et personnelle par opposition à l'optimisme obligatoire jusque là. "

En préparant le programme pour le Centre tchèque, vous avez eu la possibilité de choisir. D'après quels critères avez-vous choisi les auteurs et les oeuvres que vous avez présentés au Centre?

"Oui, c'est toujours un peu difficile, on aimerait parler du nombre le plus important possible d'auteurs. Le critère était tout d'abord informatif, il s'agissait d'informer les gens, il y avait donc plusieurs soirées plutôt didactiques. Il s'agissait également de faire une espèce de passage en revue de l'ensemble de la création en passant très brièvement par les écrivains officiels du régime, puis par les écrivains communistes réformateurs, tels que Ludvik Vaculik, Milan Kundera, Pavel Kohout etc., et puis aussi, ce qui était peut-être le plus intéressant pour moi, en passant par les auteurs disons alternatifs. C'est-à-dire, soit les auteurs qui feignaient d'ignorer la situation politique, tels que ceux qui se sont réunis autour de la revue Tvar, Zbynek Hejda, par exemple, soit ceux qui sont, même pendant les années soixante, restés tabou et passés sous silence - les surréalistes, les catholiques etc."

Quelle place a été réservée à la poésie ?

"Une très grande place. Je pense qu'au moins la moitié des soirées a été consacrée à des poètes."

Quels sont les auteurs et les oeuvres qui vous sont les plus proches ?

"Je ne vous cacherai pas que mon auteur favori est probablement Zbynek Hejda, mais l'éventail est assez large. C'est toujours très subjectif. Mais, à partir du moment où je sens chez l'auteur quelques chose de vrai, je suis susceptible d'être fasciné et de prendre un vrai plaisir à le présenter au public."

Quels moyens avez-vous utilisés pour présenter ces écrivains, pour les rapprocher au public parisien ?

"J'ai été formé par un théâtre de Prague qui s'appelle Orfeus et qui était dirigé par un grand vétéran du théâtre alternatif tchèque, Radim Vasinka, qui laisse une grande part au théâtre de la poésie, genre qui est le pur produit des années soixante. Il s'agit donc, soit de mettre carrément en scène de la poésie ou au moins de la lire non seulement comme une reproduction phonique, donc comme une personne qui sait lire et qui le lit en public, ce qui n'a pas beaucoup d'intérêt, parce qu'une telle lecture doit être une appropriation personnelle du texte. Il s'agit de le vivre et de l'interpréter selon sa propre vision, pas d'inventer les choses qui ne sont pas dans le texte. Bref de le revivre en public."

Comment était votre public ? Qui étaient les gens qui ont assisté à ces soirées ?

"C'est assez intéressant, en effet, parce que quand je suis arrivé au Centre tchèque je m'attendais à voir principalement des Tchèques et, finalement, il s'est avéré que s'il y a deux, trois, cinq Tchèques dans le public, la plupart sont des Français. Il s'agit de personnes très variées, il y a quelques étudiants, peut-être quelques personnes du quartier qui viennent par curiosité. Tous les âges sont représentés et toutes les classes sociales. C'est très agréable."

Comment ce public a réagi à ces soirées ?

"J'ai l'impression que le public réagit d'une façon spontanée, ce qui est toujours bien. Il y a un certain nombre de personnes qui sont devenue des habitués. C'est assez agréable dans l'ensemble."


Dans quelle mesure cette littérature des années soixante est accessible aujourd'hui au lecteur francophone ?

"Je pense que c'est une littérature qui, dans un grand ensemble, est assez accessible encore aujourd'hui, à part quelques auteurs. Curieusement, je pense que se sont les auteurs communistes réformateurs qui ont le moins bien vieillis. Je pense au roman "La Hache" de Vaculik et à certains textes de Pavel Kohout. Dans cet effort qui est très lié, dans le temps, à une volonté de nettoyer l'idée du communisme à travers cet idéal du socialisme à visage humain, il y a quelque chose qui est, à mon sens, un peu en dehors de notre temps. Par contre, ce n'est pas visible dans le reste des textes dans lesquels il s'agit, dans le contexte historique, de se libérer de cette gangue du régime totalitaire. Ce qu'on voit dans ces textes, c'est cet effort de liberté, cet effort d'expression personnelle. Et, en ce sens c'est tout à fait "parlant", en n'importe quel moment, je pense."

Parlons maintenant des choses un peu plus générales. Est-ce que la littérature tchèque de ces années-là, c'est-à-dire des années soixante, a joué un certain rôle aussi dans le contexte littéraire français ?

"Difficile à dire. Tout au long des années soixante, la littérature tchèque est presque totalement absente en France. Quelques films percent ici, mais la littérature ne commencera à être publiée et traduite de façon plus importante qu'après 1968. L'invasion des chars des armées du Pacte de Varsovie en Tchécoslovaquie, ce sera l'événement de publicité, si vous voulez, et l'on se mettra à publier certains textes tchèques des années soixante, après 1968 et au début des années soixante-dix. Mais, lorsque cet événement se sera tassé, lorsque la normalisation se sera installée, cet engouement cessera et il ne reprendra qu'après la Charte 77, dans le contexte de la dissidence. Donc en ce sens, je pense que hormis Kundera, il y a peu d'écrivains tchèques de cette période connus en France. Kundera est un cas spécifique, puisqu'il s'est installé ici, mais nous sommes là plus proches d'une thématique de l'exil. Et bien sûr, le grand écrivain tchèque présent en France est Bohumil Hrabal qui, lui, est entièrement traduit aussi. Petr Kral a fait une belle anthologie de la poésie tchèque ou les auteurs des années soixante sont bien représentés, une anthologie parue en livre de poche chez Gallimard. Hormis cela il y a un certain nombre d'oeuvres traduites mais il faudrait les chercher. Elles sont plus difficiles à trouver, je pense."

Cela veut dire qu'il reste encore beaucoup de travail, pour faire connaître la littérature tchèque au lecteur français.

"Oui, et comme d'habitude les grands auteurs du passé n'intéressent pas vraiment les éditeurs. Ce qui les intéresse, c'est de pouvoir faire venir l'auteur pour faire un certain nombre de trucs publicitaires. Lorsqu'il s'agit de se tourner vers les grandes personnalités de la littérature tchèque du passé, même s'il s'agit d'une période aussi proche de nous, en apparence, que les années soixante, c'est toujours un problème."

Né en 1978 à Prague, Jean-Gaspard Pálenicek est l'auteur de divers textes en vers, en prose et pour le théâtre. En 1998, il co-fonde, avec le compositeur Milos Bok et d'autres artistes tchèques, l'association artistique Elgar. Comédien et metteur en scène, il a fait partie de la troupe du théâtre praguois Orfeus où il a créé, entre autres, les rôles de Croniamantal (Le poète assassiné, Radim Vasinka, d'après Guillaume Apollinaire) et de Iago (Othello de Shakespeare).