Rencontre avec Jarmila Buzkova, réalisatrice de documentaires entre Paris, Prague et ailleurs

Paris
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Jarmila Buzkova parle un français quasiment parfait. Installée à Paris depuis près de vingt ans, son parcours hors du commun n'est finalement pas si extraordinaire pour les gens de sa génération qui ont fait le choix de quitter un pays « normalisé ». Ancienne élève de la Famu, l'école de cinéma de Prague - qui restait une oasis de relative liberté même dans les années 70-, elle a quitté la Tchécoslovaquie communiste sur les conseils de son père, d'abord pour la Belgique, puis pour Venise via New-York, avant d'arriver dans la capitale française.

La Tour Eiffel à Paris
« J'ai pas mal galéré, je ne connaissais personne, pas même de Tchèques de la diaspora parce que s'il existe une communauté tchèque à Paris, elle s'est formée plutôt avec des gens qui sont partis après 1968, donc une autre génération. Peu à peu, j'ai essayé de trouver des contacts dans le milieu du cinéma, mais ça a été très long et très dur. »

En quelle année êtes-vous arrivée à Paris ?

« En 1986. »

Etes-vous retournée à Prague avant ou après la révolution de velours ?

« J'y suis retournée pendant la révolution, accompagnée par Nadine Trintignant et Alain Corneau. C'était vraiment formidable. Cela s'est fait par hasard. Alain et Nadine, que j'avais rencontrés par hasard, m'ont permis de débuter dans le métier et par la suite on est devenus amis. Par la suite, ils ont eu envie de venir voir ce qui se passait ici, et moi aussi, donc on est venus tous les trois. »

Comment avez-vous vécu ces journées historiques à Prague ?

« C'est un souvenir vraiment formidable. On était sur la place Venceslas au fameux moment, on était au Château de Prague, on a vu Vaclav Havel lire son discours. J'ai des miliers de photos qu'on a prises, et tous les trois on en garde un souvenir formidable. Ils étaient extrêmement curieux, ils tenaient à ce que je traduise tout et que je sois aux aguets: ils voulaient savoir ce que disait Havel, ce que disaient les gens autour de nous, ce que les gens scandaient, absolument tout... »

Le Château de Prague
Vous hésitiez à rentrer en France à ce moment-là ?

« J'ai hésité et j'hésite toujours. Comme tous les exilés qui restent jusqu'à la fin de leurs jours des errants, on ne sait pas très bien où est notre patrie. La France est le premier pays après la Tchéquie où je me sens chez moi. Donc, je ne me vois pas partir, mais quand je suis à Prague, je n'ai pas envie d'en partir. Je pense que c'est un éternel dilemme. »

Cela vous motive à travailler sur des projets franco-tchèques ?

« Oui, beaucoup. Au début, j'ai commencé, comme assistante-réalisatrice, à travailler sur des projets de long-métrages entre la République tchèque et la France, en particulier avec Benoît Jacquot. J'ai été son assistante sur deux films qui se sont tournés dans des châteaux tchèques (La vie de Marianne et Adolf). Par la suite, j'ai commencé à réaliser des documentaires. Evidemment je fais des sujets français mais de plus en plus, je m'oriente sur des sujets entre les deux pays. J'ai notamment pu proposer pour La saison tchèque en France un film sur l'interpénétration des cultures tchèque et française. Récemment, j'ai fait la saga des Bata, sur trois générations, depuis la création de l'entreprise jusqu'à aujourd'hui. »

La place Venceslas à Prague
Une quinzaine d'années après la révolution de velours, quel est le premier sentiment qui vous anime lorsque vous revenez à Prague ?

« Je suis très heureuse à chaque fois que je viens parce que la liberté se voit et se sent. Ayant vécu des années dures, à chaque fois j'éprouve une grande joie. Je vois aussi énormément de progrès, tout marche, tout fonctionne. Avant, c'était une perte de temps constante, rien ne marchait, on n'avançait pas. Maintenant, on a l'impression que les gens peuvent travailler et ont des perspectives. En revanche, j'ai des regrets ; je pense que beaucoup de choses auraient dû être faites différemment. Le fait que ceux qui ont le plus souffert sous l'ancien régime se retrouvent finalement pas très avantagés, toujours dans des conditions modestes, pas là où ils faudraient qu'ils soient... Et j'ai l'impression que le pays est souvent régi par ceux qui ont le plus de possibilités, c'est-à-dire par l'ancienne nomenklatura. »