Kundera : à peine sortie, une biographie déjà très controversée

'Kundera - une vie tchèque en son temps', photo: Argo/Paseka

L’écrivain Jan Novák publie cette semaine une biographie de 900 pages de Milan Kundera. Intitulé Kundera Český život a doba (une vie tchèque en son temps), le livre concerne la première partie de la vie d’un des plus célèbres écrivains contemporains, sa vie en Tchécoslovaquie jusqu’à son exil en France. Et l’auteur n’est pas tendre avec Kundera, qu’il accuse tout simplement d’avoir mystifié sa vie.

'Kundera - une vie tchèque en son temps',  photo: Argo/Paseka

« J’ai constaté que Kundera a tellement mystifié qu’il s’est conçu une biographie alternative mythologique dans laquelle il raconte n’importe quoi, ce qui est assez typique pour un émigré. J’ai trouvé cela intéressant et cela m’a motivé à chercher et à écrire », explique l'auteur de ce livre dont la date de publication est vendredi 26 juin.

Jan Novák s’appuie notamment sur le témoignage d’Ivo Pondělíček, psychanalyste décédé l’année dernière et désigné par l’auteur comme « le complice des escapades sexuelles » de Kundera, qui lui a servi d’objet d’étude avant son émigration pour des publications dont une intitulée Sexualité et vieillissement.

L’auteur de cette nouvelle biographie mêle la vie à l’œuvre du romancier, car il affirme que Kundera a sans arrêt glissé des éléments autobiographiques dans son œuvre, notamment cette affaire de délation à Prague au début des années 1950, qui avait ressurgi avec fracas dans les pages de l’hebdomadaire Respekt il y a une douzaine d’années.

« Certaines scènes dans son œuvre reflètent selon moi sa vie. Par exemple dans La vie est ailleurs, il y a ce personnage – sans conteste autobiographique – de Jaromil, un poète qui écrit des vers que Kundera a lui-même publié sous son nom. Et ce Jaromil va dénoncer un ‘ennemi de classe’ dans une scène qui me semble tellement vraie que selon moi l’écrivain Kundera a pris le dessus sur le citoyen Kundera et qu’il n’a pas pu s’empêcher de décrire la scène dont il a lui-même été l’acteur. »

Jan Novák,  photo: David Vaughan

Evidemment, ce genre d’arguments est déjà très contesté à Prague, notamment par la critique Jana Machalická, selon laquelle « cette logique signifierait que pour bien décrire un meurtre il faudrait être un assassin ». La journaliste du quotidien Lidové noviny affirme également que les preuves manquent sur la prétendue délation de Kundera.

Pour l’écrivain Pavel Kosatík, « Milan Kundera n’est pas incritiquable, mais il ne mérite pas de se prendre ce tas de fumier sur la tête ». Selon le journaliste de Respekt Jan Vitvar en revanche, ce « nouveau livre va sans doute changer notre regard sur Milan Kundera mais aussi sur toute la période de la fin de la guerre à 1975, car nous sommes habitués à idéaliser notre histoire, également concernant Milan Kundera. Novák a démontré que tout était loin d’être idéal ».

Milan Kundera en 1967 | Photo: Gisèle Freund,  IMEC/Fonds MCC,  Galerie de la ville de Prague

A l’heure où la mode est au déboulonnage de statues, la controverse qui s’amorce avec la sortie de cette biographie est une nouvelle fois à l’image du débat sur le rapport de la société tchèque à son passé communiste.

Jan Vitvar : « Ce livre qui décrit sa vie, son comportement, ses discours moins connus lors de colloques d’écrivains montre que Kundera a crû à cette idéologie perverse jusqu’au dernier moment avant son départ. (…) Le livre explique également ses motivations pour rester aussi longtemps dans le pays, les raisons pour lesquelles il ne s’est pas rapproché de la dissidence et est resté à distance des réformateurs qui demandaient non seulement la fin de la censure mais aussi le pluralisme politique. Il est resté très en retrait jusqu’à la fin des années 1970 et ce livre peut surprendre dans ce qu’il décrit à ce propos. »

Âgé aujourd’hui de 91 ans, Milan Kundera est officiellement devenu un citoyen tchèque il y a quelques mois seulement, mais il est fort probable que la sortie de ce livre marque une nouvelle étape dans la longue histoire de désamour entre l’auteur et son pays natal.

Jan Novák a déjà prévenu qu’il planchait déjà sur un deuxième chapitre concernant cette fois la vie en France de l’écrivain exilé.