Artisan de la « normalisation » en Tchécoslovaquie et dernier leader communiste, Miloš Jakeš est mort
Il était le dernier leader communiste tchécoslovaque de l’époque précédant la révolution de Velours encore en vie : symbole de la « normalisation » de la Tchécoslovaquie après l’invasion soviétique de 1968 et de l’orthodoxie communiste, renversé par la révolution de Velours en 1989 alors qu’il avait accédé à la plus haute fonction de l’Etat, Miloš Jakeš est mort à l’âge de 97 ans, sans jamais avoir renié ses idéaux.
C’est finalement dans la tradition des régimes communistes du bloc de l’Est qui entretenaient le mystère autour de la santé et de la mort de ses dirigeants qu’est décédé Miloš Jakeš. Mardi, la chaîne privée CNN Prima a en effet annoncé qu’il avait été enterré le jour même, sans que l’on ait su auparavant qu’il était mort le 10 juillet.
Né le 12 août 1922 dans la région de Zlín, en Moravie du Sud, c’est dans les célèbres usines Baťa, symboles de l’entrepreunariat tchécoslovaque de l’entre-deux-guerres, qu’il commence en tant qu’ouvrier. En 1945, il devient membre du Parti communiste tchécoslovaque et en gravit peu à peu les échelons après l’accession du Parti au pouvoir en 1948.
Classiquement, comme pour tout fonctionnaire communiste ayant un tant soit peu d’ambition d’évolution interne, Moscou est le passage obligé pour des études et des formations au sein de l’école du parti. Il y croise d’ailleurs en 1955, Alexander Dubček, futur visage de la tentative avortée de réforme du parti et du Printemps de Prague en 1968, mais aussi Mikhaïl Gorbatchev, ce qui l’aidera bien plus tard dans sa carrière.
Après l’invasion de la Tchécoslovaquie par les troupes du Pacte de Varsovie en août 1968, il fait partie des dirigeants communistes emmenés manu militari à Moscou, où comme tous les autres à l’exception de František Kriegel, il signe le protocole entérinant « l’aide fraternelle » soviétique pour éviter ce que Moscou considère comme une tentative de renverser le régime dans le pays. S’il n’a jamais signé la lettre « invitant » les troupes soviétiques en Tchécoslovaquie, Miloš Jakeš s’est appliqué à mettre en œuvre la politique de « normalisation » incarnée par le nouveau dirigeant, Gustav Husák.
En 1987, Miloš Jakeš remplace ce dernier à la fonction de Secrétaire général du comité central du Parti communiste tchécoslovaque, en partie soutenu par Mikhaïl Gorbatchev, artisan de la perestroïka, qui voit en lui un candidat de compromis.
En novembre 1989, sans perspective d’évolution du régime à l’horizon et alors que l’ensemble du bloc de l’Est bouge, les Tchèques font leur révolution de Velours. Comme bien d’autres fonctionnaires communistes qui n’ont pas senti le vent tourner, Miloš Jakeš doit quitter ses fonctions. Le prolétaire devenu homme politique est pour les manifestants l’incarnation d’un régime figé dans le temps, qu’ils veulent « jeter à la poubelle » selon un célèbre slogan de l’époque (« Jakeše do koše). Petr Blažek, historien à l’Institut d’étude des régimes totalitaires :
« Il a été exclu en décembre 1989, et c’est un moment-clé. Jusqu’alors il n’avait jamais pris position contre les Soviétiques. Je pense qu’il considérait novembre 1989 comme une trahison personnelle. Il avait soutenu la perestroïka, au moins en apparence. Mais je pense que Gorbatchev a vite compris que ça avait été une erreur de le choisir, que Miloš Jakeš ne serait pas l’incarnation du changement. Miloš Jakeš est plutôt devenu un symbole de la continuité de la politique de normalisation. Et c’est ça qui, comme pour Erich Honecker en Allemagne, a fait qu’il a très vite perdu ses fonctions en 1989. »
Avec deux autres anciens dirigeants communistes, Miloš Jakeš était actuellement poursuivi par la justice, tous étant accusés d’abus de pouvoir en ayant autorisé avant 1989 l’usage d’armes à feu aux gardes-frontières, chargés d’empêcher les personnes de fuir la Tchécoslovaquie en franchissant le rideau de fer.
Une procédure judiciaire qui, évidemment, prend fin pour Miloš Jakeš avec sa disparition, mais qui se poursuit pour Lubomír Štrougal et Vratislav Vajnar. S’il y a peu de chance que les accusés se retrouvent réellement derrière les barreaux, notamment en raison de leur âge canonique, ces poursuites, même tardives, ont valeur de symbole pour ceux qui en Tchéquie estiment que les anciens dirigeants communistes n’ont pas rendu compte de leurs actes.