Une société chinoise a collecté les données de 700 personnalités influentes tchèques
Un nouveau scandale impliquant la Chine et mettant en lumière ses stratégies de guerre hybride en Tchéquie – et ailleurs dans le monde – a été révélé par le site d’actualité Aktualne.cz. Selon un reportage publié mercredi, une société chinoise a collecté ces dernières années les données de quelque 700 personnalités influentes de la société tchèque.
Depuis 2017, une petite société chinoise appelée Shenzhen Zhenhua Data Technology a ainsi constitué, selon le site Aktualne.cz, une base de données comprenant les profils de politiques, de diplomates, de membres de la police, d'entrepreneurs et de membres du monde universitaire, ainsi que de leurs familles.
Pendant trois ans, cette société chinoise, qui a des liens directs avec l’armée chinoise, a compilé essentiellement des données publiques concernant les personnes en question, comme des photographies, les profils de réseaux sociaux et leurs référencements dans les médias.
Lukáš Valášek est un des journalistes en charge du dossier « chinois » pour Aktualne.cz :
« Nous ne pouvons nous baser que sur ce que cette société annonce sur son site web, qui est désormais inaccessible. Elle se vante de travailler avec l’armée chinoise et d’autres secteurs de l’appareil sécuritaire de la Chine. Selon cette société, les données collectées doivent servir aux services de sécurité chinois afin de mener une guerre hybride contre les pays occidentaux, et donc, contre la République tchèque. »
Car la société incriminée n’a pas seulement amassé les données de personnalités influentes tchèques. Ce sont plus de 2 millions de personnes de par le monde qui ont vu leurs profils compilés, notamment des membres de la famille royale d’Angleterre, selon l’analyse menée par un consortium de médias internationaux, dont le Washington Post.
C’est un lanceur d’alerte chinois, autrefois proche de Zhenhua, qui, à l’origine, a mis en lumière l’existence de ce site. Lukáš Valášek détaille le profil de certaines des personnalités concernées dont le nom a été retrouvé sur la liste :
« La liste contient les profils de différents ministres, comme par exemple le ministre de la Défense Lubomír Metnar ou l’ancien ministre de la Justice Robert Pelikán. On trouve aussi le numéro 2 du parti gouvernemental ANO, Jaroslav Faltýnek. Je dois préciser que nous disposons de 700 noms en tout, mais ce n’est clairement pas le nombre total de personnalités tchèques. Des experts n’ont réussi à récupérer qu’une partie de la base de données qui a fuité, donc il est fort probable qu’il y ait d’autres personnes dont on ignore le nom. Précisons encore que cette liste comprend également des données sur les proches des personnalités en question : enfants, parents, partenaires etc. »
Ce n’est pas la première fois que ce journaliste d’investigation est à l’origine de révélations sur les stratégies d'incursion de la Chine en Tchéquie. A la fin de l’année dernière, dans un dossier conséquent et fruit de plusieurs mois de travail, Lukáš Valášek et ses collègues avaient dévoilé les dessous d’une campagne d'influence pro-Pékin financée par le groupe PPF de Petr Kellner, l'homme le plus riche de République tchèque et le financement par l'ambassade de Chine de conférences à la prestigieuse Université Charles. Ces enquêtes détaillées avaient entraîné à l'époque le limogeage de plusieurs personnes impliquées.
Les tactiques de Pékin, entre soft power et interventions affichées, sont dans le collimateur des services de renseignement tchèques depuis quelques temps déjà. En octobre 2019, le chef des services de renseignements tchèques (BIS) Michal Koudelka avait mis en garde contre les activités de la Chine, qu'il considère comme une des principales menaces pour le pays. Campagnes d’influences, tentatives de recrutement d’agents tchèques, mais aussi de personnalités issues du monde scientifique ou universitaire : autant de pratiques hostiles mises en œuvre par Pékin selon le BIS.
D’ailleurs, les services tchèques ont déjà ouvert une enquête sur cette affaire de collecte de données, qui, selon les experts en sécurité, ne représente fort probablement que « la partie émergée de l’iceberg » de toutes les activités menées par la Chine.
« Les services de renseignement nous ont fait savoir, via un communiqué, qu’ils analysaient déjà les données et qu’ils ne voulaient pas tirer des conclusions hâtives. Néanmoins, si la situation est telle que celle que nous avons décrite, cela ne fait que confirmer les mises en garde qu’ils ont eux-mêmes émises contre l’influence de la Chine en République tchèque. D’ailleurs, le chef du BIS, Michal Koudelka, fait partie des personnalités qu’on retrouve sur cette fameuse liste. »
Côté officiel tchèque, les réactions ont été diverses : le ministre des Affaires étrangères Tomáš Petříček s’est dit conscient de la menace et a affirmé qu’il entendait évoquer le sujet avec les alliés du pays. Le Premier ministre Andrej Babiš a pour sa part botté en touche, refusant de s’exprimer sur la question. Enfin, du côté du Château de Prague, la nouvelle n’a pas suscité plus d’inquiétude que cela, malgré la présence sur la liste du président Miloš Zeman qui n’a jamais fait mystère de ses sympathies pro-chinoises.