Serge Grimaux : « Il faut trouver une autre façon de divertir les gens car ils en ont besoin »
Organisateur de concerts et de spectacles ayant travaillé avec U2 et The Rolling Stones, Serge Grimaux nous parle de la situation actuelle dans son domaine. C'est également à lui que l’on doit la venue de Michael Jackson à Prague en 1996 à l'occasion de son HIStory Tour. Après 50 ans de carrière et après avoir fondé TicketPro en 1992, Serge Grimaux est aujourd’hui le copropriétaire du Forum Karlín, une salle polyvalente à Prague pouvant aussi bien accueillir des concerts que des expositions. Au micro de Radio Prague International, il a exprimé son point de vue sur les conséquences de la pandémie de coronavirus qui frappe durement le secteur de l’événementiel.
Serge Grimaux : « Une chose est certaine, personne n’a vu venir ce qui s’est produit jusque là et malheureusement personne ne voit comme nous allons nous en sortir. Les habitudes des gens sont la chose la plus difficile et la plus coûteuse à changer et ce dans n’importe quel secteur de l’économie. »
« Quand après six mois, des salles de spectacles sont fermées, des billets ne sont plus achetés pour toutes les raisons imaginables comme, par exemple, la hantise de ne jamais voir le spectacle. Les habitudes de consommation des gens changeant, les habitudes de mise en marché des organisateurs d’évènements doivent changer tout autant. L’industrie du divertissement n’est pas une science. Lorsque j’ai commencé il y a 50 ans, on faisait cela car c’était nouveau, c’était la contre-culture. »
« On a créé une industrie de plusieurs milliards de dollars. Tout ce qui existait va devoir être complètement repensé de par sa livraison. Je crois qu’un stigmate va demeurer et que les gens vont se rappeler qu’un virus peut être cyclique. Tout est en train de se transformer. »
Vous voyez des conséquences à long terme de la crise. Est-ce qu’elles seraient différentes en République tchèque en comparaison avec le reste du monde ?
« C’est la même chose partout. Les artistes internationaux ne tournent plus et ne pourront pas tourner avant au moins un an et demi. Les artistes locaux en bénéficient momentanément mais vont éventuellement s’épuiser. Il faut trouver une autre façon de divertir les gens car ils en ont besoin. L’industrie du spectacle n’est pas un luxe comme cela l’a été il y a un certain temps. C’est devenu une façon de vivre et une façon d’être. Elle influence de la peinture des voitures à la mode à beaucoup de choses dans notre société. L’industrie du spectacle fait tourner plusieurs secteurs d’activités, des festivals... Quand un festival arrive dans une ville, une activité économique incroyablement grande en résulte et génère des retombées. Le principal problème est universel mais il devra y avoir des solutions qui ne le seront pas, parce que chacun des marchés se comporte différemment. La situation en République tchèque n’est pas pire mais elle n’est également pas meilleure. C’est grave partout dans le monde. »
Pensez-vous que de nouvelles opportunités vont surgir dans le monde de l’après Covid ?
« Absolument ! Je ne crois pas que jamais la 2D, la 3D ou les hologrammes, si cela arrive un jour, retireront l’importance de la présence physique des gens. Par contre, le streaming existait déjà avant cette épidémie et il est devenu une nouvelle forme permettant d’établir un lien entre des créateurs et des gens avides de ces créations. Le streaming était jusqu’alors marginal, il était important pour une certaine forme d’art, pour les jeunes et je vois qu’il a pris beaucoup d’importance. On parle de streaming en 2D ou même en réalité virtuelle. A ce moment-là on va pouvoir entrer dans du streaming en 3D. Je crois que pour plusieurs prestations scéniques, que ce soit des concerts ou autres, il y aura une possibilité d’avoir des revenus parallèles. Autrement dit la possibilité de vendre des billets pour les gens qui seront présents physiquement et, de manière simultanée, pour les personnes qui seront présentes virtuellement. Elles auront acheté une forme de billet ou de droit d’entrée et auront une expérience complètement différente de celles présentes dans la salle. Cela va aboutir à la coexistence de ces deux expériences et c’est la première chose que je vois de positif à cette situation engendrée par l’épidémie. »
La présence physique des gens reste très importante pour autant et avec ces temps difficiles, ces derniers ont besoin de se distraire. Pensez-vous que la limitation des événements culturels afin d’endiguer la propagation du Covid est une bonne chose ? Les mesures du gouvernement sont-elles en adéquation avec le secteur de la culture ?
« Il y avait une urgence de réagir face à un phénomène inconnu auquel on était dans l’incapacité d’apporter une réponse. Ce serait malveillant de ma part de blâmer les dirigeants et les mesures mises en place. Ils ont réagi du mieux qu’ils le pouvaient. Il y a des exceptions... La grande majorité des responsables a pris des décisions sur le moment afin de contrer l’épidémie. Certains ont bien réussi et réagi et d’autres n’ont pas eu les résultats escomptés ce qui apparaît dans les chiffres et au sein de la population. A partir du mois d’avril, j’ai identifié cette épidémie comme la « Troisième Guerre Mondiale ». Dans une guerre, il y a un ennemi et des alliés qui essaient de le contrer. Cet ennemi sournois était inconnu et a attaqué simultanément les 193 pays du monde. Une guerre laisse des morts et détruit des économies. La société et la civilisation renaissent ensuite de leurs cendres telles un phénix et des choses vont ainsi avancer grâce à cela. Malheureusement les guerres font avancer les choses par le besoin. Une réponse positive sera donnée face à l’épidémie. Une deuxième vague se profile actuellement, on observe une recrudescence du nombre de cas. La première fois, cela a mis 3 mois afin de régler les choses allant même jusqu’à fermer des frontières. On a eu le temps d’accumuler une certaine intelligence de tout ça et normalement cette vague se doit d’avoir une gestion menant rapidement à des résultats probants. Au lieu de confiner un pays entier, on va le faire par sections et secteurs d’activités. C’est à ce moment que l’on pourra juger de la bonne gestion de l’épidémie par les dirigeants. »