Adapté en bande-dessinée, L’étranger d’Albert Camus sort en traduction tchèque

'L’étranger', photo: Garamond

Fondées en 1997, les éditions Garamond sont connues en Tchéquie pour leur promotion de la littérature française, et notamment la publication de livres bilingues. C’est aussi chez Garamond que vient de sortir la bande-dessinée de Jacques Ferrandez, qui a adapté le célèbre roman d’Albert Camus L’étranger. Petr Himmel est l’éditeur et le traducteur de cette nouvelle version du récit sorti en 1942. Il explique ce qui l’a séduit dans cette bande-dessinée parue en 2015 chez Gallimard :

Petr Himmel,  photo: ČT24

« J’ai décidé de publier la version tchèque de la bande-dessinée parce que je trouve que c’est un bon moyen d’attirer les jeunes, les adolescents, pour découvrir Albert Camus. La lecture d’une BD est plus facile, même s’il s’agit d’un classique. C’était donc ma première motivation. »

Y avait-il d’autres raisons ? Le dessin vous a-t-il séduit aussi ?

'L’étranger',  photo: Garamond

« Bien sûr. J’ai aimé depuis le début les dessins, qui me paraissent assez classiques. C’est un style qu’on retrouve dans les adaptations françaises ou belges de titres classiques de la littérature mondiale. »

En plus d’être l’éditeur, vous êtes l’auteur de la traduction de cette bande-dessinée qui reprend le texte d’Albert Camus. Comment s’est déroulée la traduction ?

« Je connaissais déjà L’étranger en français. Nous avons même publié il y a quelques années, une version bilingue du roman d’Albert Camus, avec une page en français et une page en tchèque. Je connais le texte qui est assez spécifique : le langage d’Albert Camus est clair, pur, comme du cristal, et derrière un texte assez facile à lire se cachent des idées profondes.

'L’étranger',  photo: Garamond

C’est ce qui me fascine depuis longtemps. Cette fois-ci, nous avons décidé d’en profiter pour publier une nouvelle traduction du texte. La seule traduction tchèque de L’étranger remonte aux années 1960 et elle a vieilli. Au printemps dernier, pendant le confinement, j’ai décidé de faire une nouvelle traduction même si ce n’est qu’une partie du texte d’Albert Camus qui est utilisée dans la bande-dessinée. En tout cas, c’était un travail formidable, et je suis très heureux d’avoir pu le faire. »

Avez-vous rencontré des difficultés de traduction vers le tchèque ? Je lisais récemment un article dans la presse anglophone qui expliquait qu’il était difficile de traduire en anglais la phrase pourtant si simple de l’incipit du roman : « Aujourd’hui, maman est morte. » Différentes versions existent en anglais pour cette même phrase. Avez-vous eu des problèmes pour rendre en tchèque la langue de Camus ?

« A mon avis, l’incipit du livre est facile à traduire en langue tchèque et conserve le même sens où il y a un doute sur l’événement : Meursault ne sait pas si elle est morte aujourd’hui ou hier ? Je crois que cette phrase ne pose pas de difficulté, mais il y avait d’autres problèmes. Par exemple, dans ma nouvelle traduction, j’ai dû utiliser de nouveaux mots pour exprimer certaines institutions ou noms propres.  Par exemple, pour l’asile de vieillards à Marengo, la traduction des années 1960 utilise un terme qui a vieilli, qui est archaïque et qui ferait sourire aujourd’hui. J’ai donc dû changer certains mots et expressions pour les rendre plus contemporains. »

'L’étranger',  photo: Garamond

Vous disiez en guise d’introduction que la bande-dessinée était un bon moyen pour les jeunes Tchèques de découvrir des œuvres classiques, et notamment Albert Camus. Quelle est la place de cet auteur et de son œuvre en République tchèque ? Ce que j’entends dans ce que vous dites, c’est qu’il était peut-être plus connu auparavant, et moins des jeunes générations ?

Albert Camus,  photo: United Press International,  public domain

« Albert Camus est un classique du XXe siècle qu’on ne peut pas omettre dans la liste des œuvres classiques des lycées. Je pense que Camus est quand même assez connu ici. Mais les jeunes gens lisent moins. Même moi qui suis éditeur, je vois que mes deux fils ne lisent pas ! Je crois que faire d’un livre classique une BD est un bon moyen de le faire lire aux jeunes Tchèques. Sinon, en ce qui concerne Camus en général, et surtout L’étranger, il fait partie des lectures obligatoires pour le bac dans tous les lycées. Concernant d’autres textes d’Albert Camus, nous avons remarqué une hausse des ventes de La Peste pendant le confinement. »

'L’étranger',  photo: Garamond

Il existe un lien intéressant entre L’étranger et la Tchéquie. Dans le roman se trouve un passage où Meursault, dans sa cellule, n’a qu’une seule lecture. C’est l’extrait d’un journal qui relate un fait divers, celui d’un Tchèque qui, après des années d’exil, retourne en Tchécoslovaquie et est assassiné par sa propre mère et sa sœur, à qui il n’avait pas dévoilé son identité. Ce qui servira plus tard de base à la pièce de théâtre de Camus, Le Malentendu. Est-ce que cet épisode est reflété dans la bande-dessinée ?

'Le Malentendu',  photo: Folio Théâtre

« Le texte que Meursault trouve dans son matelas figure en effet dans la bande-dessinée. C’est un morceau de journal qu’il relit chaque jour cent fois et dont l’histoire se passe en effet en Tchécoslovaquie. Je sais d’ailleurs que la pièce Le Malentendu doit être jouée au théâtre Na zábradlí à Prague. Récemment, pendant la Nuit de la littérature qui s’est déroulée en octobre à Prague, un acteur qui lisait des extraits de la bande-dessinée, Vojtěch Vondráček, m’a rappelé que Le Malentendu était en train d’être monté. Prévue pour le mois de novembre, la première a été repoussée au printemps. Il est un des acteurs de la pièce, ce qui était un hasard formidable. »

'L’étranger',  photo: ČT24

Comment cela se passe-t-il pour vous en tant qu’éditeur en cette période compliquée due à la pandémie ? Est-ce que vous craignez pour les ventes de livres, ou avez-vous l’impression que les gens ont plus le temps et l’envie de lire ?

« C’est un peu les deux. Les éditeurs craignent en effet pour les ventes avant Noël. D’autre part, ils ont été assez heureux de voir que pendant le confinement puis l’été, les gens lisaient, grâce au fonctionnement des boutiques en ligne. Les ventes n’ont pas été aussi mauvaises qu’on pouvait s’y attendre grâce à ces ventes-là et au temps que les gens avaient pour lire. Mais aujourd’hui, c’est sûr qu’il y a des craintes pour les ventes d’avant Noël qui sont toujours les plus importantes de l’année. »