« Pas de retour à la normale avant l’année prochaine »
Entretien avec Vassili Le Moigne, conseiller consulaire des Français en République tchèque. Il assure le rôle de support local, de connexion entre les Français et les services publics comme l’ambassade. Une mission d’autant plus importante en période de pandémie, où les problèmes pour lesquels il est sollicité sont nombreux. La question des voyages entre la République tchèque et la France, notamment, revient très souvent, comme il l’a expliqué à Radio Prague International.
« Cela arrive par vagues. Pendant le premier confinement, beaucoup de Français ont voulu rentrer en France alors que les frontières étaient fermées, ce qui a engendré des problèmes de rapatriement. Certaines personnes étaient en vacances à l’étranger à ce moment-là et essayaient de rentrer en République tchèque, où se trouve leur lieu de résidence. Ce n’était pas évident en raison de la fermeture des frontières, mais aussi des lois qui variaient selon chaque pays. Il fallait souvent contacter les ambassades. »
« Les gens étaient un peu perdus, surtout avec les langues étrangères. Une fois arrivés, s’en est suivie la période de compréhension des lois locales. Toutes les lois sont publiées, mais elles sont en tchèque. Sur les 10 000 Français qui vivent en République tchèque, beaucoup ne parlent pas la langue. Il y avait donc cette mission d’expliquer les mesures, ce qui était autorisé ou pas, ainsi que les conséquences en cas de non-respect des règles. »
« Depuis l’arrivée de la deuxième vague en septembre, c’est à nouveau la même chose, mais tout est encore plus confus, car les règles changent pratiquement chaque semaine, parfois du jour au lendemain. Elles ont parfois été annoncées au dernier moment. Il fallait non seulement aider les Français en Tchéquie à comprendre ce qu’il se passait, mais aussi les maintenir informés presque quotidiennement. C’est encore le cas aujourd’hui. A l’approche de Noël, ils aimeraient bien commencer à planifier leurs vacances. »
Comment se fait ce suivi ? Par les réseaux sociaux ? Comment restez-vous en contact avec la communauté des Français en République tchèque ?
« Dès le début de la pandémie, j’ai fait le choix de communiquer mon numéro de téléphone. Les gens m’appellent beaucoup, soit par téléphone ou par les réseaux sociaux. Dès qu’il y a de nouvelles règles, je les communique immédiatement sur Facebook. Ainsi, beaucoup de personnes sont informées très rapidement. C’est intense depuis mars. Certains jours, je suis contacté par une centaine de personnes, même si en général c’est plutôt une dizaine ou une vingtaine. »
Comment la communauté des Français en République tchèque vit-elle cette période ? Y a-t-il un profil particulier de personnes qui vous contactent ?
« Si l’on regarde la population des Français vivant en République tchèque, il y a quatre groupes différents. Le premier désigne les familles franco-tchèques qui ont quitté la Tchécoslovaquie au moment de l’invasion en 1968 et qui sont revenues après la révolution de Velours en 1989. Ce sont des résidents locaux qui habitent ici depuis un long moment. »
« Vient ensuite le groupe des expatriés, qui représente environ 20% du total. Beaucoup d’étudiants sont présents en République tchèque avec le programme Erasmus. Enfin, il y a tout un groupe composé de ceux que j’appelle les ‘émigrés économiques’. Ils viennent depuis quatre ou cinq ans en République tchèque en raison du faible taux de chômage. Ce sont généralement des jeunes très dynamiques qui viennent ici dans le cadre de leur premier emploi. Ils ne parlent pas tchèque et restent ici sur une période allant de six mois à trois ans. »
« Chaque groupe a réagi de façon très différente à la crise du Covid. Les étudiants Erasmus ont été complètement pris par surprise et ont dû rester enfermés dans leurs résidences. Certains d’entre eux sont rentrés en France, car ils savaient que cela allait durer le temps d’un trimestre. Le problème est surtout venu de ceux qui ont été contaminés par le virus et qui sont partis eux aussi. »
« Etant locaux, les expatriés et les Franco-Tchèques se sont vite pliés aux règles en vigueur et se sont adaptés. Ils ont rencontré les mêmes problèmes que les Français en France, c’est-à-dire des problèmes d’adaptation à l’enfermement, aux limitations… Le groupe le plus durement touché est celui des jeunes émigrés économiques, car ils ne parlent pas nécessairement la langue et travaillent dans des sociétés directement affectées par le Covid comme les restaurants et les magasins. Beaucoup ont été mis au chômage technique ou ont même perdu leur emploi. Certains ont été malades, car leur travail implique d’être au contact des gens. »
« D’autres ont tout perdu. Il se trouve que le travail au noir est assez répandu en République tchèque, et ceux qui ont été mis à la porte se sont alors retrouvés sans aucun support. Légalement, il n’y avait aucun moyen pour que l’Etat tchèque vienne les aider. Avec la durée du Covid, on trouve des choses similaires à la situation en France comme les gens qui ont besoin d’un support moral ou médical. Il y a eu des morts et plein d’autres questions arrivent avec la durée. »
Le fait de tout perdre a-t-il incité certains émigrés économiques à rentrer en France ?
« Certains sont rentrés en France en espérant recevoir plus d’aides qu’en République tchèque ou dans l’espoir de trouver un travail. Une partie des émigrés économiques a quitté la République tchèque, mais ceux qui sont restés sont jeunes et très dynamiques et ils se sont adaptés. Ils ont recommencé à travailler pendant l’été, et là, ça recommence, donc ils se battent et espèrent que la vie va redémarrer de façon plus ou moins normale. »
Aux dernières nouvelles, l’Allemagne est dorénavant rouge sur la carte du Centre européen de prévention et de contrôle des maladies. Etant donné que c’est un point de passage entre la France et la République tchèque, cela complique-t-il les voyages entre ces deux pays pour les fêtes de Noël ?
« Il y a toujours la possibilité et le droit de retourner dans son pays d’origine. On peut toujours transiter par l’Allemagne pour rentrer en France. L’Allemagne est en effet passée en rouge, mais les frontières ne sont pas fermées pour autant. Cela signifie juste qu’après être resté en Allemagne plus de douze heures, on doit se mettre en quarantaine. Sinon, il est toujours possible de passer la frontière et de rentrer en France. »
« Il y a néanmoins des règles locales qui varient selon chaque Land. Pour simplifier, il est autorisé d’aller en voiture à la frontière tchèque, de faire le plein en République tchèque et de traverser l’Allemagne jusqu’en France d’un trait sans s’arrêter. En cas de non-respect de ces règles, c’est une amende de 5 000 euros. Pour l’instant, je n’ai eu aucun retour de personnes ayant rencontré des soucis avec la police allemande. »
Qu’en est-il de la situation dans les aéroports ?
« Déjà, le trafic aérien est beaucoup moins important, ce qui pose problème à de nombreuses personnes dont les billets d’avion ont été annuls sans proposition de changements. Il y a moins d’avions, donc il est difficile de prévoir un voyage en France. On ne sait pas s’il sera possible de partir. Il existe toujours la possibilité de s’y rendre en bus ou en voiture. »
« Quand on veut venir de France vers la République tchèque, il se passe deux choses. Premièrement, bien que le tourisme ne soit plus autorisé en République tchèque, des gens continuent d’essayer de venir à Prague. On ne peut venir de France que si on a de la famille en République tchèque ou pour aider un proche. On ne peut plus entrer en République tchèque pour des motifs relatifs aux affaires ou au tourisme. Il arrive donc qu’il y ait des contrôles aux aéroports de Roissy ou de Lyon que certaines personnes ne puissent pas embarquer. En revanche, ces contrôles ne sont pas réguliers. Les restrictions ne constituent pas le plus gros problème, contrairement à la prédictibilité. »
Pensez-vous que tout cela va encore durer longtemps ? Des tendances se profilent-elles ?
« Le gouvernement tchèque adapte les règles selon le taux de Covid. Ils viennent de sortir une nouvelle matrice de règles concernant l’ouverture des magasins. Ils essaient d’alléger les restrictions. Je vois deux problèmes liés à cela. Tout d’abord, c’est très difficile à comprendre. Il est autorisé de se rendre dans les magasins sous réserve d’avoir 15 m2 d’espace libre autour de soi. De plus, avec le rush de Noël, ça va être à nouveau la folie dans les magasins. Il y aura des excès, comme c’était déjà le cas pendant le confinement. Le risque est que les infections repartent à la hausse, alors que le nombre de cas positifs commence tout juste à diminuer en République tchèque. A mon avis, il n’y aura pas de retour à la normale avant l’année prochaine. Même avec l’arrivée des vaccins, il y a tellement peu de doses pour l’instant qu’il ne faut pas rêver. Il y en a encore pour quelques mois. »
« Le rôle des représentants des Français de l’étranger est nouveau. Nous sommes les premiers élus à faire ce travail. Même si le fait d’aider les Français de l’étranger pendant la pandémie de Covid ne fait pas du tout partie des définitions du rôle de ce qui était auparavant le conseiller consulaire, c’est un rôle de proximité et de contact avec les Français et les autorités. »
« Pendant le Covid, j’ai vraiment eu un rôle utile. Bien sûr que les bourses pour les lycées français et les aides sociales sont très importantes, mais pendant cette période un réseau de soutien s’est vraiment créé. Certains Français se portaient volontaires pour venir en aide en cas de besoin. Ce tissu d’entraide et de communication reste encore très important aujourd’hui, car c’est loin d’être terminé. Créer des liens, découvrir des gens nouveaux et les aider, tout cela est un aspect de mon rôle qui me plaît beaucoup. »