Handicap : en pleine pandémie, un projet de réforme vu comme un « retour en arrière » par les ONG
Ce mardi matin, plusieurs ONG et associations qui défendent les droits des personnes handicapées ont manifesté devant le bâtiment du Parlement tchèque pour demander le retrait du projet de réforme des services sociaux qui doit être débattu par les députés. Elles étaient accompagnées par des personnes handicapées, des familles et des assistants de vie auprès de personnes souffrant d’un handicap. Camille Latimier est directrice de l'association tchèque SPMP qui apporte un soutien aux personnes handicapées mentales et à leurs familles. Parmi les différents points de la réforme dénoncés par le ONG le projet de fusion des services d’accueil tous types, qu’ils soient destinés à des seniors ou des personnes handicapées.
« Cette fusion des services est le problème sur lequel nous essayons d’attirer l’attention. D’abord, elle n’est pas justifiée. Nous n’avons eu aucune explication satisfaisante de la part du gouvernement, mis à part une sorte de rationalisation administrative comme si ces personnes étaient juste des numéros. Et bien entendu, nous sommes contre pour plusieurs raisons. Ces services différents existent parce que justement ils accompagnent des personnes différentes qui ont des besoins différents et dont l’originalité doit être respectée. On donne aussi l’impression de parquer les gens de la naissance à la mort : on peut entrer en institution comme enfant et on crée une vie institutionnalisée pour ces personnes, sans possibilité de s’épanouir dans la société, d’avoir un travail, de vivre une vie la plus normale possible. Il n’y a aucune justification à part peut-être une sorte de rationalité économique – et encore cela reste à prouver. »
Rationalité économique car l’argent est toujours le nerf de la guerre. On retrouve cette question dans un autre point dénoncé par les ONG qui est celui de l’augmentation des frais liés aux services sociaux, alors que parallèlement, aucune hausse de l’allocation destinée aux personnes handicapées n’est prévue…
« C’est le gros problème de cette réforme : elle place l’argent au mauvais endroit. Au lieu d’aider les personnes qui ont des besoins d’accompagnement plus élevés et de permettre une hausse de leur allocation, on va augmenter le coût des services, mettre l’argent dans ces services, dans l’administratif et dans leur gestion, au lieu de le mettre dans les mains des personnes concernées. Cela a des conséquences très importantes pour les personnes handicapées elles-mêmes et les autres utilisateurs de services. On a d’ailleurs fait un calcul très simple : pour un certain nombre d’heures d’assistant personnel à l’heure actuel, si l’heure augmente de 20% comme c’est prévu, la personne perd en pouvoir d’achat de services. Si elle peut se payer aujourd’hui 5h37 d’assistance, avec la nouvelle loi, elle ne pourra s’en payer que 4h41. Donc soit les personnes font appel à leurs familles pour les soutenir parce qu’elles ne peuvent pas se payer 24h d’assistance personnelle, soit elles doivent y aller de leur poche. On est donc déjà dans une situation où les personnes qui ont besoin d’une assistance élevée pour se lever le matin, aller au travail, pour prendre le tram, sont déjà à la marge de ce qu’elles peuvent soutenir financièrement. Avec cette réforme, on va donc complètement dans le mauvais sens. »
Comment cela se passe-t-il pour la mise en œuvre d’une telle réforme ? Les législateurs font-ils appel aux ONG pour préparer un tel projet de loi ?
« C’est exactement notre plus gros problème avec cette réforme. Si nous n’avions pas fait de veille législative, nous n’aurions même pas été informés de sa préparation. Le ministère des Affaires sociales a présenté une réforme fin 2019 qui a fait l’objet l’an dernier de discussions avec les ONG, les partenaires sociaux et qui ont abouti à un certain compromis. Nous ne sommes pas forcément d’accord dessus, mais il y a eu un travail de concertation. Mais le projet est toujours au niveau du ministère en train d’être retravaillé. Cette proposition actuelle émane en réalité de parlementaires : elle n’a fait l’objet d’aucune discussion, d’aucune consultation, elle reprend un certain nombre d’éléments du projet du ministère des Affaires sociales, mais certains oui, certains non sans jamais aucune justification… Ça a été un travail réalisé par-dessus la jambe parce qu’il n’y a jamais de justification correcte et surtout, sans aucune consultation avec personne. Donc on se retrouve avec des gens qui décident de la vie des personnes handicapées sans aucune participation des personnes concernées. »
Votre association défend l’inclusion des personnes handicapées à tous les niveaux de la société. Les deux questions que nous avons abordées, celle du financement et celle de la fusion potentielle des services, ne représenteraient-elles pas un retour en arrière et une perte d’indépendance pour les personnes handicapées ?
« Ce serait un recul pour les personnes qui vivent dans les institutions car on risque de perdre en qualité des foyers d’accueil et des différentes maisons de retraite et autres établissements. Et ce serait un gros recul pour les personnes qui vivent en famille ou de manière indépendante puisque l’assistance personnalisée sera réduite. On retombe donc sur une charge énorme sur les familles ou les personnes elles-mêmes qui peuvent ainsi perdre en qualité de vie et en autonomie. On les rend donc encore plus vulnérables qu’elles ne le sont par leur handicap. »
Puisqu’on parle de vulnérabilité, qu’en est-il des personnes handicapées dans la situation actuelle de pandémie ? On parle beaucoup des retombées sur les familles, les enfants, l’économie etc. Les personnes handicapées, touchées comme les autres, ne sont-elles pas les grandes oubliées de la société quant aux retombées de la crise sanitaire ?
« Tout à fait, il y a même des conséquences parfois tragiques. Beaucoup de thérapies, différents types d’accompagnement, de services d’aide aux familles qui ont été totalement arrêtés… Il y a un gros problème depuis un an même si c’est moins catastrophique à l’heure actuelle que ça ne l’a été au printemps dernier. Mais les familles qui s’occupent des personnes handicapées sont totalement à bout. On fait beaucoup de soutien psychologique pour les familles qui sont livrées à elles-mêmes. Il y a des services qui ont réussi à réorganiser leur aide aux familles, qui arrivent à les aider en emmenant ne serait-ce que de temps en temps la personne handicapée en balade, etc. Mais on reste dans des cas particuliers de gens qui ont de la bonne volonté plutôt que quelque chose qui serait organisé par l’Etat. De ce point de vue-là, la pandémie a rendu la situation des personnes handicapées encore plus fragile, encore plus précaire. C’est d’autant plus frustrant que cette loi arrive à ce moment-là, sans discussion : on n’aide pas et on ne respecte pas les droits fondamentaux des personnes handicapées. »