Jawa, East Rider
Episode à deux roues de notre série Czech Made aujourd’hui avec Jawa, la marque de motos la plus ancienne sur le territoire tchèque.
Jawa tire son nom de son fondateur František Janeček, qui travaillait à l’origine à la fabrication d’armes pour Česká Zbrojovka (ČZ) et qui en 1929 a acheté la licence moto du constructeur allemand WAnderer.
Fondée à Prague, l’entreprise Jawa a déménagé à plusieurs reprises, de même qu’elle a évidemment changé de propriétaire pour être nationalisée après-guerre. Les réseaux de vente de la marque ČZ et de Jawa sont fusionnés.
Jawa a également sorti quelques beaux modèles d’automobiles, mais ce sont ses motos qui ont rendu la marque célèbre jusqu’en Inde et en Amérique latine.
Par la suite, dans les années 1960, le régime communiste a fait de l’entreprise une vache à lait, éloignant géographiquement la conception de la production et récupérant tous les bénéfices sans que l’entreprise ne bénéficie d’investissements. Avec leurs équipements devenus désuets et leurs motos très « Europe de l’Est », les dirigeants de Jawa se sont donc retrouvés bien désemparés sur le nouveau marché capitaliste après la révolution, et il a fallu que la SARL Jawa Moto spol. s.r.o. soit établie pour éviter l’arrêt définitif de la production.
Actuellement, alors qu’elle ne bénéficie plus du fructueux marché russe d’autrefois, la marque fabrique environ un millier de motos chaque année. Celles-ci sont exportées principalement vers l’Amérique du Sud, Cuba et l’Irak. Directeur de la section transports au Musée technique national, Arnošt Nezmeškal a organisé en 2019 une exposition pour les 90 ans de la marque Jawa:
« On dit que c’est une des marques tchèques les plus fortes, les plus connues. Notre pays a fabriqué beaucoup de choses, mais nous avons rarement été leaders dans ces productions. Pourtant, dans le domaine des motocyclettes, la Jawa était très bien placée à certaines périodes, par exemple après la Deuxième Guerre mondiale : on dit que la Jawa 250 était alors le modèle le plus moderne dans sa catégorie. Ces motos s’exportaient dans le monde entier, et les gens ne les achetaient pas seulement parce qu’elles étaient belles et bon marché, mais aussi parce qu’elles étaient de bonne qualité. »
Surtout ce sont ces motos qui sont devenues l’un des symboles de l’industrie tchécoslovaque avant et après-guerre et restent prisées par les collectionneurs.
Christian Boyer est un passionné de motos anciennes qui venait encore récemment en République tchèque chercher des pièces détachées de Jawa pour les revendre en France:
« Les motos Jawa font partie des motos qui représentent toute une génération des années 1950 aux années 1970, la moto populaire par excellence, importée à un prix défiant toute concurrence. C’était des motos très simples et performantes, comme d’autres moteurs 2 temps d’Europe de l’Est, par rapport à leur cylindrée. Des motos simples et basiques mais performantes en somme. »
Aujourd’hui la société Jawa appartient au groupe Jihostroj Velešín, est toujours basée à Týnec nad Sázavou et lutte pour sa survie face à la concurrence, venue notamment d’Asie.
En Inde, Jawa vit une deuxième vie, sous le nom Yezdi. Arnošt Nezmeškal résume l’histoire de Jawa en Inde et les circonstances qui ont conduit à ce que les motos fabriquées là-bas soient rebaptisées :
« L’histoire de Jawa en Inde n’a rien de récent : la fabrication de motocyclettes, à l’origine des copies directes des motocyclettes Jawa 353, puis d’autres modèles, y a commencé en 1960. Puis, dans les années 1970, le gouvernement indien a décidé que les fabricants indiens n’auraient plus le droit d’utiliser des noms de marques étrangères et qu’ils devaient inventer leur propre marque. Donc les motocyclettes ont été renommées « Yezdi ». Personne ne sait très bien pourquoi, mais la petite histoire raconte que les nombreux techniciens tchèques qui travaillaient en Inde ne croyaient pas vraiment que cette motocyclette indienne puisse fonctionner. Et lorsqu’elle a été essayée, ils se sont exclamés : « Ono to jezdí! » (Ça roule ! ). »
Si face à la concurrence chinoise, la production indienne a quasiment disparu dans la seconde moitié des années 1990, elle a repris du poil de la bête ces dernières années grâce à un accord entre le propriétaire actuel de Jawa et l’entreprise indienne Mahindra.
A Divišov, c’est la société JRM Jawa qui perpétue une tradition vieille de 75 ans et fabrique des motos Jawa de compétition pour les courses sur circuits, sur circuits de glace entre autres. Sur son site la marque indique exporter 90% de sa production dans 24 pays différents.
Mais pour les collectionneurs, les plus beaux deux-roues restent ceux construits dans les années 1930. Les motos les plus résistantes sont peut-être celles fabriquées dans les années 1970 et 1980.
La preuve : un Tchèque passionné, Pavel Suchý, a réussi à boucler en 2014 un tour du monde complet en huit mois avec une Jawa 350 construite en 1978 :
« Le modèle avait été précédemment défini, et ce après d’interminables discussions avec mes amis pendant plusieurs années. On discutait, par exemple du moyen de transport par lequel j’allais me rendre à Vladivostok, en Russie : si le moyen choisi avait été la voiture, cela aurait été une Lada, et si ça avait été en moto, alors cela aurait été uniquement une Jawa. Parce que ces deux marques sont considérées là-bas comme deux icônes. »
C’était d’ailleurs le cas en France, où les motos Jawa étaient très populaires dans les années 1950, explique François-Marie Dumas, auteur de plusieurs ouvrages sur les motos ainsi que du blog www.moto-collection.org. À cette époque, en effet, non seulement la marque était importée sur le marché français par les Ets Poch et réputée pour son bon rapport qualité-prix, mais elle était également présente en compétition, en tout-terrain notamment, mais aussi sur les courses d’endurance.
À plusieurs reprises, des Tchèques, mais aussi des Français, ont ainsi concouru au Bol d’Or sur des Jawa, une équipe tchèque le remportant d’ailleurs en 1955. Pourtant, à l’heure actuelle, « la marque Jawa est bien oubliée [en France], sauf chez les passionnés de l’histoire de la moto », conclut François-Marie Dumas.
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