Les Jawa fêtent leurs 90 ans
Avec ou sans side-car, les motos rouge foncé Jawa ont constitué un moyen de transport pour bon nombre de familles tchèques des années 1950 à 1980. Même si elle a eu à traverser plusieurs périodes difficiles, la légendaire marque Jawa fête cette année son 90e anniversaire. Le Musée technique national à Prague marque le coup avec une exposition récemment ouverte au public.
Jawa a produit bien d’autres modèles que les populaires Pérák, Pionýr, Kývačka et Panelka. Ce sont avant tout ces pièces moins connues du grand public que le Musée technique national met en avant. En entrant dans la salle de l’exposition « Fenomén Jawa » (Le phénomène Jawa), on est d’ailleurs surpris de découvrir… une voiture. En effet, le constructeur, créé en 1929, ne s’est pas intéressé uniquement à la production de motos. C’est ce qui justifie le sous-titre de l’exposition « Jawa comme vous ne la connaissez pas ».
Ça roule !
Directeur de la section transports au Musée technique national, Arnošt Nezmeškal considère que cette exposition a pour objectif « d’apporter un nouveau regard sur cette marque légendaire et d’enrichir les visiteurs d’informations qui leurs étaient inconnues. » Cela dit, outre des moteurs, quelques casques et une combinaison de compétition, l’exposition se compose avant tout de motos – une cinquantaine environ – dont la plupart ont été prêtées par des collectionneurs privés. Mais les modèles les plus classiques et populaires s’y voient voler la vedette par des pièces plus rares, telles que des motos sportives ou encore une Yezdi 250 datant de 1995.Fabriquée en Inde, cette dernière est probablement le seul exemplaire de ce genre sur le territoire tchèque. Arnošt Nezmeškal résume l’histoire de Jawa en Inde et les circonstances qui ont conduit à ce que les motos fabriquées là-bas soient rebaptisées :
« L’histoire de Jawa en Inde n’a rien de récent : la fabrication de motocyclettes, à l’origine des copies directes des motocyclettes Jawa 353, puis d’autres modèles, y a commencé en 1960. Puis, dans les années 1970, le gouvernement indien a décidé que les fabricants indiens n’auraient plus le droit d’utiliser des noms de marques étrangères et qu’ils devaient inventer leur propre marque. Donc les motocyclettes ont été renommées « Yezdi ». Personne ne sait très bien pourquoi, mais la petite histoire raconte que les nombreux techniciens tchèques qui travaillaient en Inde ne croyaient pas vraiment que cette motocyclette indienne puisse fonctionner. Et lorsqu’elle a été essayée, ils se sont exclamés : « Ono to jezdí! » (Ça roule ! ). »Si face à la concurrence chinoise, la production indienne a quasiment disparu dans la seconde moitié des années 1990, elle a repris du poil de la bête ces dernières années grâce à un accord entre le propriétaire actuel de Jawa et l’entreprise indienne Mahindra.
Sur le territoire tchèque, la production de Jawa a aussi manqué de s’arrêter à plusieurs reprises. En effet, dès les débuts de la marque, la toute première moto – produite à un millier d’exemplaires – s’est tellement mal vendue que Karel Janeček, le fils du propriétaire de l’entreprise, a fait venir de Belgique le constructeur anglais George Patchett. À partir de 1930, c’est lui qui a été chargé du développement des motos pour Jawa, le premier fruit de son travail étant la Jawa 175, une moto simple et bon marché qui a évité à l’entreprise d’être contrainte de mettre la clé sous la porte.Par la suite, dans les années 1960, le régime communiste a fait de l’entreprise une vache à lait, éloignant géographiquement la conception de la production et récupérant tous les bénéfices sans que l’entreprise ne bénéficie d’investissements. Avec leurs équipements devenus désuets et leurs motos très « Europe de l’Est », les dirigeants de Jawa se sont donc retrouvés bien désemparés sur le nouveau marché capitaliste après la révolution, et il a fallu que la SARL Jawa Moto spol. s.r.o. soit établie pour éviter l’arrêt définitif de la production.
Belles, bon marché et de bonne qualité
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Actuellement, alors qu’elle ne bénéficie plus du fructueux marché russe d’autrefois, la marque fabrique environ un millier de motos chaque année. Celles-ci sont exportées principalement vers l’Amérique du Sud, Cuba et l’Irak. Arnošt Nezmeškal revient sur le prestige de la marque, qu’il estime bien mérité :
« On dit que c’est une des marques tchèques les plus fortes, les plus connues. Notre pays a fabriqué beaucoup de choses, mais nous avons rarement été leaders dans ces productions. Pourtant, dans le domaine des motocyclettes, la Jawa était très bien placée à certaines périodes, par exemple après la Deuxième Guerre mondiale : on dit que la Jawa 250 était alors le modèle le plus moderne dans sa catégorie. Ces motos s’exportaient dans le monde entier, et les gens ne les achetaient pas seulement parce qu’elles étaient belles et bon marché, mais aussi parce qu’elles étaient de bonne qualité. »
C’était d’ailleurs le cas en France, où les motos Jawa étaient très populaires dans les années 1950, explique François-Marie Dumas, auteur de plusieurs ouvrages sur les motos ainsi que du blog www.moto-collection.org. À cette époque, en effet, non seulement la marque était importée sur le marché français par les Ets Poch et réputée pour son bon rapport qualité-prix, mais elle était également présente en compétition, en tout-terrain notamment, mais aussi sur les courses d’endurance.
À plusieurs reprises, des Tchèques, mais aussi des Français, ont ainsi concouru au Bol d’Or sur des Jawa, une équipe tchèque le remportant d’ailleurs en 1955. Pourtant, à l’heure actuelle, « la marque Jawa est bien oubliée [en France], sauf chez les passionnés de l’histoire de la moto », conclut François-Marie Dumas.