Avec la Becherovka, « le béton, c’est bon ! »
Ce n'est pas seulement la boisson préférée du président Zeman. Avec la bière, c'est probablement la boisson la plus connue de République tchèque. Produite avec diverses plantes, la Becherovka est un de ces produits traditionnels tchèques qui s'exportent particulièrement bien. Bien que nous soyons nous aussi dans l'impossibilité de vous en dévoiler la recette, secret jalousement gardé depuis la fin du XVIIIe siècle, cette liqueur au goût amer si apprécié (ou pas) est l'objet du nouvel épisode de notre série Czech Made, consacrée aux grandes (et petites) inventions et aux marques tchèques.
La Becherovka a été inventée il y a déjà plus de deux siècles à Karlovy Vary. On dit d’ailleurs parfois d’elle qu’elle est la treizième source de la célèbre station thermale de Bohême de l’Ouest. Et qui sait, c’est peut-être bien elle qui aide ses visiteurs à guérir de leurs maux, plus particulièrement d’estomac...
Mais cela a beau être une des boissons alccolisées tchèques qui s’exportent le mieux dans le monde, voilà bien une liqueur qui laisse rarement indifférents ceux qui la goûtent pour la première fois. Car la Becherovka, en régle générale, on aime ou on n’aime pas. Il y a rarement d’entre-deux et une bouteille est le type de cadeau fait par les Tchèques à leurs hôtes qui les acceuillent quand ils voyagent à l'étranger qui peut tout aussi bien plaire – et la bouteille sera alors rapidement vidée – que se retrouver oublié quelques années plus tard au fond d’une armoire ou de la cave, alors recouvert d’une épaisse couche de poussière. L’auteur de ce texte en a déjà fait l’expérience...
La recette de fabrication de la Becherovka est un secret bien gardé par la société Jan Becher. Il existe dans l’entreprise en interne toute une série de dispositifs de sécurité pour en assurer le respect. A la fin des années 1990, la Becherovka est entrée dans le giron du groupe français Pernod Ricard. Il y a quelques années, Ludmila Stephkov, qui était alors la directrice du marketing de Jan Becher, s’était confiée au micro de Radio Prague International :
« Becherovka est élaborée à partir d’un mélange d’herbes et d’épices, mais la formule secrète de ce mélange n’est connue que de deux personnes dans la société: le responsable de la production et le directeur des opérations. La Becherovka est élaborée uniquement à partir d’ingrédients naturels et ne fait pas l’objet d’ajouts d’additifs, ce qui lui confère son goût et sa qualité uniques. »
Le directeur des opérations en question s’appelle Tomáš Bryzgal. Conformément à la politique officielle de la maison Jan Becher, il est actuellement un des deux détenteurs vivants de la recette exacte :
« C’est vrai. Mon collègue Bohuslav Pich et moi sommes les deux seuls à connaître la recette. Ce n’est pas juste une promesse de discrétion mais aussi un contrat de confidentialité. Nous pouvons quand même révéler que la Becherovka est composée d’un mélange d’environ vingt herbes et épices différentes. Les herbes proviennent principalement de République tchèque et d’Europe centrale, tandis que les épices sont surtout issues de pays exotiques d’Asie et d’Afrique. »
Produite en Bohême, dans la région des Sudètes occupée autrefois par une population majoritairement allemande, la liqueur, qui titre à 38% et se caractérise par son goût amer et ses notes de cannelle et de gingembre, a d’abord été produite dans une famille allemande du nom de Becher. Mais c’est un médecin anglais, Christian Frobrig, de passage en 1805 dans la ville thermale de Karlovy Vary et ami de la famille Becher, qui en a inventé la recette. A l’origine, la boisson était d’ailleurs commercialisée sous le nom d’« Englisch Bitter ». Et plus de deux ans plus tard, la société qui continue de la produire appartient à un groupe français.
Indémodable, la Becherovka reste une liqueur très appréciée des Tchèques, toutes générations confondues. Rares sont les familles à ne pas en posséder au moins une bouteille, comme l’expliquait encore Ludmila Stephkov :
« Avec ses 200 ans d’histoire et sa position actuelle de leader sur le marché des amers, Becherovka est une marque éternelle et contemporaine. Elle accompagne les Tchèques dans leurs moments de convivialité depuis 1807 jusqu’à aujourd’hui. Elle ne doit donc pas son succès à un effet de nostalgie, mais plutôt à la permanence de sa qualité et à la grande diversité de ses modes de consommation. On peut la consommer pure, bien glacée, mais aussi en mélange. Il y a bien sûr le ‘beton’ (prononcez ‘bétonne’), mais il existe d’autres cocktails comme le ‘red moon’ avec du jus de groseille, le ‘B-Celebration’ avec du soda au gingembre et de la liqueur de pomme ou encore par exemple le ‘Fresh Smashin’ avec du jus de pamplemousse. »
Comme l’a posté un de nos fidèles auditeurs sur notre page Facebook, « le béton, c’est bon ». Par « béton », comprenez donc ce cocktail composé de Becherovka et de tonic, et accompagné d’une rondelle de citron, un grand classique des bars et cafés tchèques, présenté au reste du monde à l’Exposition universelle de Montréal en 1967. Mais en France, comme le regrettait un peu Ludmilla Stephkov, le succès de la liqueur tchèque est beaucoup moins évident qu’ailleurs :
« En France, le marché des amers est un petit peu différent, situé sur d’autres goûts, avec des amers plus typés gentiane. Donc c’est vrai que les zones de succès de Becherovka se situent plus en Europe centrale et orientale, et éventuellement Etats-Unis où on aime aussi ces goûts venus d’Europe centrale. »
Assez vite, la famille Becher, forte de son succès, s’est lancée dans l’export de la liqueur. Dès 1834, celle-ci se vend ainsi déjà en Pologne, un an plus tard à Vienne puis à Munich, et en 1838, on la trouve même à Paris. Boisson populaire, la Becherovka est rapidement devenue un des produits tchèques phares à l’étranger. Liqueur officielle livrée à la cour impériale austro-hongroise, Becherovka est devenue, avec sa bouteille verte à la forme caractéristique, une marque protégée en 1922. Et s’il en existe aujourd’hui plusieurs variantes, la liqueur peut s’enorgueillir d’un succès jamais démenti depuis, comme en témoignent les chiffres régulièrement en hausse des ventes dans plus de quarante pays du monde.
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