2) Františkovy Lázně, une échappée belle dans le temps
Dans le deuxième épisode de notre série estivale dédiée aux plus belles villes thermales de République tchèque, direction Františkovy Lázně, une des trois villes du célèbre triangle thermal de Bohême de l’Ouest. Moins connue que les deux autres, Karlovy Vary et Mariánské Lázně, la cité aux couleurs vert et ocre vaut pourtant le détour et permet d’échapper aux foules de ses deux consœurs.
Si Karlovy Vary a des atours grandioses et majestueux et Mariánské Lázně inspire la délicatesse et l’élégance, Františkovy Lázně évoque irrésistiblement « luxe, calme et volupté » à l’instar du célèbre poème baudelairien. Car c’est bel et bien au voyage qu’invite la petite ville thermale située à moins de 20 km de la frontière allemande.
Confidentielle, elle n'a certes pas le charme sylvestre de Karlovy Vary et Mariánské Lázně, accrochées aux flancs des monts de la forêt Slavkovský, mais ce qu’elle perd en relief, elle gagne en harmonie d’une architecture unifiée entourée de verdure.
Quand on se rend à Františkovy Lázně, on ne va pas seulement prendre les eaux, on fait un bond dans le temps, et on est presque étonné de ne pas croiser des femmes en crinoline et des hommes en couvre-chef. Les façades ocre de ses bâtiments néo-classiques ou Empire rehaussées du vert de certaines toitures et des ferronneries lui confèrent une luminosité qui y rend chaque saison particulière.
Goethe, Strauss ou Kafka ont séjourné dans ce qui s’appelait encore Franzenbad. Le compositeur Ludwig van Beethoven également à la fin de l’été 1812, comme en témoignent plusieurs lettres.
A Františkovy Lázně, les 21 sources aux vertus curatives et les bains de boue sont recherchés pour traiter les maladies gynécologiques, mais aussi celles des appareils locomoteur, circulatoire et digestif. Eliška Vildová travaille pour l’établissement thermal Pavlík :
« Outre les problèmes d’ordre gynécologique, nous sommes spécialisés dans les maladies cardiaques et vasculaires, mais aussi celles de l’appareil locomoteur. Nous proposons aussi des séjours de soins après une maladie oncologique, mais également toute une série d’autres services. Outre des cures, nous accueillons aussi des familles avec enfants, nous avons aussi des séjours pour renforcer son système immunitaire ou des séjours de convalescence. »
Car en effet, pas besoin d’être curiste pour profiter de la douceur de vivre de Františkovy Lázně, comme le note Josef Ciglanský, directeur d’un des établissements thermaux de la ville :
« Františkovy Lázně, c’est une petit ville thermale typique. On compte 5 000 habitants et de nombreuses sources naturelles curatives à base de gaz, de tourbe et d’eau. Notre société thermale gère plusieurs établissements. Et nous administrons aussi une partie des sources curatives. »
L’histoire des thermes débute dès le Moyen Age avec la découverte de la première source. L'eau était acheminée jusqu'à Cheb par les femmes qui travaillaient dans les carrières voisines et servie aux hôtes de passage. A partir du XVIIe siècle, des médecins se rendent compte de ses propriétés médicinales dans le traitement de certains troubles et les curistes commencèrent à affluer. L'eau était même distribuée dans toute l'Europe dans des bouteilles en céramique.
A la fin de la Guerre de Trente Ans, le problème de la construction d'un véritable spa à proximité des sources commence à se poser, car jusqu'alors, les curistes logeaient à Cheb, à six kilomètres du site des sources. Un premier spa et une petite auberge sont construits sur le site des sources, mais ses promoteurs se heurtent à l'hostilité des hôteliers de Cheb qui voient alors leurs revenus décliner.
Finalement, il faut attendre 1793 pour que la ville soit officiellement fondée. C'est chose faite grâce au docteur Bernhard Adler, originaire de Cheb, qui avait décidé d'envoyer une requête à l'empereur Léopold Ier pour obtenir sa protection et l'établissement de thermes dignes de ce nom. La station prend le nom de Františkovy Lázně, ce qui signifie « les thermes de François », du nom de l'empereur autrichien François Ier, successeur de Léopold Ier et lui aussi favorable au développement des thermes.
La ville thermale a gardé le plan d’origine que lui ont donné ses premiers promoteurs à la fin du XVIIIe siècle, avec la rue principale où s'alignent les splendides façades couleur soleil des établissements de bains. C’est justement cette unicité architecturale et le fait que la ville soit littéralement sortie de terre en finalement très peu de temps qui lui confère cet aspect à nul autre pareil.
On y trouvera toutefois aussi quelques éléments typiques des villes thermales comme l’incontournable colonnade et bien sûr, les us et coutumes pratiqués par tout curiste digne de ce nom : on ne peut en effet déambuler dans la ville sans l'accessoire indispensable qu'est la tasse à bec en porcelaine. Cet instrument permet de goûter à toutes les sources qui font la réputation de la station.
Contrairement aux sources de Karlovy Vary qui sont chaudes, celles de Františkovy Lázně arrivent en surface à une température d'environ 10 à 12 degrés. Elles sont pétillantes et à forte teneur en fer et en soufre, d'où leur couleur qui peut aller jusqu'au marron. Les âmes sensibles prendront leur courage à deux mains car la combinaison odeur et couleur peut en rebuter plus d’un.
Quand on parle de couleur d’ailleurs, les bains à base de tourbe – noire donc – ont également fait la réputation de la station thermale comme le précise Jarmila Omáčková, employée des thermes spécialisée dans ce traitement :
« A deux kilomètres de Františkovy Lázně se trouvent des tourbières que nous exploitons. En termes d’exploitation et de distribution, nous avons donc notre propre source. Nous transportons cette tourbe grâce à une vieille locomotive qui tire un petit train. C’est toujours un plaisir pour les enfants, et même les plus grands ! Ensuite, nous stockons cette tourbe et nous procédons à son traitement, avant de la distribuer dans tous nos établissements thermaux. »
Les tourbières ont d’ailleurs véritablement formé les paysages alentour. Visiter Františkovy Lázně ne devait donc pas se faire sans une escapade totalement dépaysante dans la réserve naturelle de SOOS, à six kilomètres de là.
Ce paysage singulier, inscrit sur la liste des zones protégées de l’Union européenne Natura 2000, se trouve au fond d’un ancien lac préhistorique salé desséché et abrite des espèces rares de plantes et d’animaux. De vastes tourbières et des marécages, des ruisseaux d’eau minérale, ou des « mofettes », ces petites éruptions de gaz, parfois appelées volcans de boue, constituent l’attraction principale de ce site au caractère presque lunaire.
Visiter cette petite région frontalière peut être l’occasion d’un double voyage dans le temps, en passant de l’atmosphère feutrée et languissante de la ville thermale à la découverte d’un biotope né des vestiges d’une époque vieille de plusieurs millions d’années.