Volé par les nazis, un bouclier de la Renaissance a été restitué à la Tchéquie
C’est une œuvre rare qui vient d’être restituée par le Musée d’art de Philadelphie à la Tchéquie, 80 ans après avoir été volée par les nazis : un bouclier d’apparat datant de la Renaissance qui faisait partie de l’ancienne collection de l’héritier du trône d’Autriche, l’archiduc François-Ferdinand, au château de Konopiště. C’est dans ce même lieu qu’il est désormais possible de l’admirer à partir de ce mardi.
Objet d’art raffiné, le bouclier d’apparat qui vient d’être restitué à la République tchèque a été réalisé aux alentours de 1535 en Italie. Attribué au peintre Girolamo da Trevisio (1508-1544), il s’inscrit dans la période du Cinquecento qui clôture la Renaissance italienne.
Outre son ancienneté, on mesure la rareté de cette œuvre tant aux motifs complexes – un entrelacs de soldats et de chevaux figurant une bataille antique – qu’à la technique utilisée par l’artiste. Naděžda Goryczková, directrice de l’Institut national du patrimoine :
« Le bouclier est intéressant car il figure une scène relativement peu représentée sur ce type de boucliers d’apparat de la Renaissance. Il s’agit d’une scène tirée de l'histoire de la Rome antique : plus précisément, la conquête de Carthage pendant la deuxième guerre punique. Le dessin a été réalisé en grattant la peinture grise jusqu'à ce qu’émerge la couche d’or sous-jacente. »
Le bouclier d’apparat a longtemps fait partie de la collection de la famille d’Este, et a été ainsi transmis à l’archiduc François-Ferdinand, dont l’assassinat à Sarajevo en 1914 a été le déclencheur de la Première Guerre mondiale. C’est dans une de ses résidences favorites, le château de Konopiště, situé à une heure de route au sud de Prague, qu’il était conservé jusqu’à ce qu’à la fin de la Deuxième Guerre mondiale, les nazis l’emmènent à Linz. Il était censé rejoindre la collection du futur Führermuseum, un projet de galerie d’art devant voir le jour non loin du lieu de naissance d’Hitler et censée accueillir ce patrimoine artistique spolié venu des quatre coins de l’Europe.
A partir de là, on perd sa trace, avant que l’œuvre ne refasse surface à Paris, où elle est achetée par le collectionneur américain Carl Otto Kretzschmar von Kienbusch. Le Musée de Philadelphie en a fait l’acquisition en 1976.
Mais 40 ans plus tard, son directeur Timothy Rub reçoit un message en provenance de la République tchèque :
« J'ai reçu un courriel d'un chercheur tchèque qui m'a informé de l’existence de nouvelles informations permettant de relier définitivement le bouclier à l'armurerie du château de Konopiště. Je lui ai demandé s'il avait de la documentation à ce sujet et nous avons travaillé très attentivement avec lui au cours de l'année suivante pour confirmer cette information. Finalement, cela nous a permis de conclure qu'il provenait effectivement de la collection de l'armurerie de François-Ferdinand au château de Konopiště. »
Selon l'ambassadeur tchèque aux Etats-Unis, Hynek Kmoníček, les historiens de l’art tchèques savaient depuis les années 1990 que le bouclier se trouvait aux Etats-Unis, mais il aura fallu de nombreuses années de recherche pour réussir à prouver son appartenance d’origine au château de Konopiště et entamer les démarches légales pour sa restitution :
« L'important était de venir avec des preuves tangibles à montrer à nos partenaires américains. Je pense que le plus gros du travail, on le doit à Ladislav Čepička, un historien de l'art qui a pu retrouver une photographie de l'emplacement original du bouclier au château de Konopiště. Vous savez comment ça marche : voir une chose une fois vaut mieux que de l'expliquer dix fois. C’est ainsi qu’il a été possible de convaincre le conseil d'administration du musée de Philadelphie qu'il s'agissait bien d'un objet spolié par les nazis pendant la Seconde Guerre mondiale. »
Si Timothy Rub concède un sentiment de tristesse de voir un si bel objet d’art quitter Philadelphie après près d’un demi-siècle, il se dit toutefois fier d’avoir permis le retour du bouclier en Tchéquie, « là où il appartient ».
Depuis ce mardi, les visiteurs peuvent donc découvrir le bouclier de plus d’un mètre de diamètre au château de Konopiště et se rendre compte par eux-mêmes de sa valeur. Naděžda Goryczková :
« Le bouclier est en très bon état. Je dois dire que nos collègues de Philadelphie s’en sont très bien occupés. Il a été restauré avec beaucoup de talent. J’aurais du mal à chiffrer sa valeur, mais elle doit être très importante. »
Le bouclier d’apparat n’est de loin pas la seule œuvre d’art spoliée par les nazis à Konopiště pendant la guerre, et Ladislav Čepička n’en a pas fini avec ses recherches d’objets perdus. Deux autres boucliers similaires sont d’ailleurs conservés à Prague à l’Institut d’histoire militaire, et l’historien de l’art espère les voir retourner bientôt dans leur lieu d’origine.
Pendant la Deuxième Guerre mondiale, et dans tous les pays occupés par le Troisième Reich, le régime nazi a organisé de manière systématique et planifiée la spoliation d’œuvres d’art, appartenant soit à des particuliers, Juifs essentiellement, soit de manière générale à des institutions telles que des musées ou des collections privées.
Ce mois de septembre, un rouleau de la Torah rédigé en 1890 à Brno, volé par les nazis pour leur projet de « musée » du judaïsme à Prague, avant d’être vendu par les autorités communistes dans les années 1960, doit rejoindre la collection d’Ec Chaim, une congrégation juive progressiste de la capitale tchèque, dans le cadre d’un prêt permanent du Memorial Scrolls Trust basé à Londres.