Benoît Duteurtre : « La présence de la musique dans l’œuvre de Kundera est très importante »
Benoît Duteurtre était l’un des nombreux auteurs français invités au Salon du Livre (Svět knihy) qui s’est déroulé à Prague du 23 au 26 septembre. Celui qui a l’habitude de voir ses ouvrages traduits en tchèque et dont la maison d’édition est basée à Brno est un grand ami de Milan Kundera. Au micro de Radio Prague Int., Benoît Duteurtre explique les raisons de sa venue à Prague, ville qu’il connaît désormais bien.
« Je ne suis pas venu spécialement pour mon dernier livre car il est paru seulement en français. J’ai en revanche plusieurs de mes livres qui ont déjà été traduits en tchèque. Puisque le Salon est l’occasion d’un hommage à Milan Kundera et que je suis assez proche de lui, les organisateurs m’ont proposé de venir à la fois pour parler de Kundera, mais aussi de mes livres et de mon travail d’écrivain, à travers toutes ses traductions parues chez ma maison d’édition Atlantis depuis maintenant pas mal d’années. Je continue évidemment à travailler avec eux. »
Est-ce prévu que votre dernier livre soit traduit en tchèque ?
« En 2023, ‘L’Ordinateur du paradis’ sera traduit, c’est le prochain sur la liste. J’ai écrit deux sortes de livres : d’un côté, des fictions, des fantasys, des romans d’imagination et de l’autre, des livres plus autobiographiques. Ce sont plutôt les fictions qui sont traduites à l’étranger, dont en République tchèque, alors que les romans autobiographiques sont peut-être plus destinés au seul public français. »Vous avez animé une discussion avec Jean-Dominique Brierre (auteur d’une biographie sur Milan Kundera, ndlr) sur ‘Milan Kundera et la musique’. Quels liens établissez-vous entre l’œuvre de Kundera et la musique, notamment celle de Beethoven et de Stravinsky ?
« La présence de la musique dans l’œuvre de Kundera est très importante. Elle est présente dans ses romans et dans ses essais. Il est lui-même le fils d’un musicien, Ludvík Kundera ayant étudié quelques années à Paris et proche de Leoš Janáček, compositeur préféré de Milan Kundera. Il a baigné dans ce monde musical, il a même pensé devenir musicien. La musique a toujours été au cœur de ces livres. J’ai donc parlé avec Jean-Dominique Brierre de cet aspect particulier de l’œuvre de Kundera. »
Vous êtes vous-même musicien…
« J’ai fait des études de musicologie, je joue du piano. Je suis plus écrivain que musicien mais j’ai une grande passion pour la musique et j’anime une émission sur France Musique depuis de nombreuses années tous les samedis matins. La musique est aussi au cœur de ma vie, c’est ce qui me rapproche aussi de Kundera. »
Comment la musique affecte-t-elle votre écriture ?
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« La musique est sans doute moins présente dans ce que j’écris qu’elle ne l’est par exemple dans l’œuvre de Kundera. J’ai beaucoup de romans où il n’est pas du tout question de musique. Je ne crois pas qu’il y ait une recherche directement musicale dans mes livres. J’aime bien qu’un texte soit rythmé, fluide : ce sont des notions musicales. Il y a un autre rapprochement que je peux faire entre la musique et mes livres : dans la musique, j’aime beaucoup les opérettes, les œuvres qui se moquent de la société, comme le faisait part exemple Jacques Offenbach. Mes romans ont un peu de cela, ce sont souvent des satires sociales, à l’instar de certaines formes de théâtre musical. »
Vos livres s’intéressent souvent aux thématiques actuelles, avec des personnages issus de la classe moyenne auxquels il arrive des choses imprévues racontées sous forme de comédie. Est-ce un besoin pour vous de raconter des histoires avec des personnages assez simples ?
« J’aime bien la figure du naïf qui n’a pas prévu ce qui allait lui arriver. Mon héros n’est pas rebelle, il est plein de bonnes volontés mais un accident lui tombe dessus. C’est le côté burlesque que j’aime bien dans ce personnage un peu anodin. Il y a une disproportion entre ce côté anodin et les catastrophes imprévues qui vont compliquer sa vie. »
Cela s’inscrit aussi en opposition aux romans actuels très tournés vers l’auteur.
« Oui, vers la vie intérieure, les angoisses, les souffrances… Ce n’est pas du tout mon domaine. Je préfère le roman social pour raconter les enjeux de la vie d’un personnage pris dans des situations contemporaines. J’adore Balzac car il a essayé de comprendre comment fonctionnent les relations sociales, ce qu’elles entraînent, comment une situation peut se dérégler ou s’arranger… Je ne veux pas étaler mon ‘moi’ sur la table. »
Y a-t-il une vraie inspiration balzacienne dans votre processus d’écriture ?
« J’ai toujours adoré Balzac. D’une part, son génie de la description me passionne. Même quand il décrit un personnage, ce n’est pas ennuyeux, c’est vivant. D’autre part, j’aime beaucoup sa façon d’essayer de comprendre comment les personnages sont pris dans des enjeux d’argent, de pouvoir, et comment la société interagit. La littérature moderne avait dédaigné cela au milieu du XXème siècle durant lequel les auteurs préféraient les recherches d’écriture et d’introspection. Je pense qu’il y a une réhabilitation du genre balzacien par les romanciers de ma génération, comme Houellebecq. Le monde se transforme, comme il se transformait à l’époque de Balzac, et cela crée des décors nouveaux qui sont une matière foisonnante. »
Que représentent Prague et la littérature tchèque pour vous ?
« J’ai maintenant un lien privilégié avec ce pays par rapport à d’autres car j’ai eu beaucoup de livres traduits en tchèque. J’ai un éditeur fidèle, Atlantis à Brno, qui est aussi l’éditeur de Kundera. J’ai donc eu l’occasion de venir assez souvent. J’ai aussi eu la grande joie d’avoir un de mes livres, ‘La petite fille et la cigarette’, adapté dans une version théâtrale par un comédien dans le cadre d’un projet intitulé ‘LiStOVáNí’. La pièce a été jouée dans tout le pays, j’avais accompagné la tournée. Elle a eu beaucoup de succès auprès d’un public nombreux. Je suis très heureux de cette aventure. Je suis donc venu à Prague quatre ou cinq fois déjà et je m’y sens bien accueilli et compris. Pour autant, je ne peux pas dire que je connaisse réellement la littérature tchèque, en dehors de Kafka, Kundera et Hrabal. Malheureusement, c’est trop restreint. »
Comment avez-vous rencontré Kundera et de quelle nature est votre relation ?
« J’avais beaucoup d’admiration pour lui et nous nous sommes rencontrés quand nous écrivions au même moment dans la revue littéraire à Paris ‘L’infini’, lui comme grand écrivain et moi comme jeune débutant. Je le lisais avec passion et je me suis permis de lui envoyer mon troisième roman. Il a eu la gentillesse de me répondre, nous nous sommes rencontrés puis nous sommes devenus amis. L’amour de la musique nous a par exemple rapprochés, avec sa femme aussi que j’aime beaucoup. »
La pandémie a-t-elle affecté votre processus d’écriture ?
« J’ai préféré éviter d’en faire une source d’inspiration pour l’instant car je me méfie toujours des sujets ‘à chaud’. Je pense que tout le monde a commencé à écrire sur la pandémie en 2020 mais moi, je préfère attendre 2025 pour avoir davantage de distance. La pandémie m’a surtout permis de ranger mes archives et de me remettre au piano. »
Pouvez-vous présenter votre dernier livre ‘Ma vie extraordinaire’ ?
« J’ai écrit plusieurs fictions sociales et d’autres livres autobiographiques, non pas pour parler de moi mais plutôt de mon histoire, du monde dans lequel j’ai grandi, des personnages que j’ai connus, que j’ai aimés… Mon dernier livre rentre dans cette série autobiographique. J’ai voulu revenir sur quelques épisodes importants de ma vie, comme cette découverte, quand j’étais enfant, de la montagne dans l’Est de la France. J’en parle souvent avec Věra Kundera car elle a des souvenirs dans la montagne tchèque qui ressemble beaucoup à la montagne vosgienne avec les grandes forêts de sapins et les petits lacs. C’est la première partie du livre. Puis j’ai voulu évoquer des personnages que j’ai aimés, dont des musiciens, qui ont guidé ma vie pendant des années. Je me livre donc de façon assez importante dans ce livre mais j’essaie que ce ne soit pas trop narcissique. J’en profite pour parler du monde qui m’entoure, de l’évolution de la musique et de ma carrière littéraire. C’est un autoportrait, je suis encore trop jeune pour faire une autobiographie ! »
Le titre est ‘Ma vie extraordinaire’, vous considérez avoir une vie extraordinaire ?
« Non, c’est évidemment un titre ironique. Il s’agit de trouver dans une simple vie somme toute ordinaire ce qu’il y a d’extraordinaire. C’est le sujet du livre : qu’est-ce que pouvoir passer toutes ses vacances enfant dans une jolie montagne française m’apporte comme sensation extraordinaire ? Quelles rencontres extraordinaires m’a permis ma passion de la musique ? C’est une réflexion pour saisir l’extraordinaire de toute existence, même quand elle a l’air ordinaire. »
Quels sont vos prochains projets ?
« Un petit roman satirique sortira cet hiver. Après Prague, je vais rentrer à Paris puis je vais partir dans ma campagne pour passer une partie de l’hiver dans la neige, à travailler sur de nouveaux projets et à faire de la musique. »