Miloň Čepelka, la jeunesse du coeur d'un octogénaire
Poète, prosateur, scénariste, parolier, animateur de radio, Miloň Čepelka (1936) doit pourtant sa renommée surtout à une activité qui a tendance à éclipser toutes les autres. Il est membre du théâtre Jára Cimrman et l'immense popularité de cette troupe insolite retombe sur lui et lui permet de jouer depuis longtemps un rôle remarquable dans la vie culturelle tchèque. Miloň Čepelka a récemment fêté déjà son 85e anniversaire.
Le génie de Jára Cimrman
Qui est Jára Cimrman dont le nom est fièrement porté par un théâtre dont la première représentation a eu lieu à Prague déjà en 1967 et dont la popularité ne s'est pas démentie depuis ce moment-là ? C'est un génie qui aurait révolutionné les sciences, les arts, les lettres et pratiquement toutes les activités humaines et qui serait aussi auteur de toutes les pièces présentées par son théâtre pragois. Les sceptiques vous diront que ce n'est qu'une immense supercherie, que Jára Cimrman n'a jamais existé et que ces pièces ont été écrites par les membres du théâtre mais cela ne peut rien changer à la gloire de ce grand homme qu'il soit fictif ou non. Miloň Čepelka est donc un de ceux qui depuis des décennies entretiennent et développent le culte de Jára Cimrman. Il incarne des rôles importants dans ses pièces et s'est rendu inoubliable notamment dans des rôles de femmes.
Un enfant timide et pudibond
Pourtant, le chemin de Miloň Čepelka vers le théâtre n'a pas été facile. C'est ainsi qu'il se souvient de son enfance dans le village de Pohoří en Bohême de l'Est :
« J'étais un enfant très timide, évasif et pudibond. J'étais très sage et je craignais beaucoup la verge déposée dans le buffet de cuisine. Je n'étais indocile et récalcitrant que quand il fallait se mettre à table. Alors j'avais toujours à faire autre chose, quelque chose qui me semblait plus important que le manger. Mon père était strict, mais sa rigueur ne se manifestait que par les paroles, je ne me rappelle pas d'avoir reçu ce qu'on appelle une raclée. Mon père savait bien rire. Il riait aux éclats et j'ai hérité de cette façon de rire. »
Les comédiens qui ont de l'aversion pour le pathos
Le rire et l'humour spécial sont inséparables de la personnalité de Miloň Čepelka qui est attiré depuis son enfance par le théâtre et la littérature. Bien qu'il devienne instituteur, il n'exerce ce métier que pendant peu de temps. Bientôt ces premiers poèmes commencent à paraître dans des revues littéraires et cela lui permet de trouver un emploi dans la radio publique. Il renoue les contacts avec ses amis de jeunesse Zdeněk Svěrák et Ladislav Smoljak et fonde avec eux et avec Jiří Šebánek le théâtre Jára Cimrman.
Les spectacles de cette troupe exclusivement masculine trouvent rapidement un public enthousiaste qui partage le sens de l'humour des protagonistes et est prêt à jouer le jeu de la découverte sensationnelle d'un génie inconnu. Et le personnage de Jára Cimrman finit par devenir plus réel que la réalité. Les comédiens de la troupe refusent de plier aux exigences du théâtre professionnel et entretiennent soigneusement le caractère naïf et amateur de leurs spectacles. Miloň Čepelka souligne un aspect important de leurs activités :
« Nous n'aimions pas le pathos. Pour nous le pathos était inconcevable parce que nous avons appris dans la vie qu'on peut abuser de tous les grands mots et qu'on en abuse bien souvent. Et il faut dire qu'on n'abuse pas que de mots mais aussi de notions et d'idées et c'est pourquoi nous avons pris nos distances par rapport à toutes sortes de pathos. »
Très convaincant dans les rôles de femmes
Le public adore ce genre de théâtre naïf, théâtre sans pathos et demande toujours de nouvelles pièces qui illustreraient les interventions géniales de Jára Cimrman dans les domaines les plus divers. Dans ces pièces situées en grande partie au tournant du XIXe siècle, ce qui permet à leurs auteurs de les protéger contre la censure, Miloň Čepelka campe souvent des rôles de femmes. Avec des moyens minimalistes, il réussit à créer des personnages drôles et irrésistibles dont le public raffole. Interrogé sur sa manière de se glisser dans la peau et dans le caractère de ces femmes, il dit :
« Je ne sais pas. Je le faisais sans réfléchir. Je prenais tout simplement une robe, je m'habillais et je me sentais plus ou moins normalement. »
Homme tiraillé entre Thalie et Erato
Cependant, Thalie, muse du théâtre, se dispute les faveurs de Miloň Čepelka pendant toute sa vie avec Erato, muse de la poésie lyrique et érotique. Enfant, il commence déjà à écrire de petits contes et des vers, et à 13 ans il signe sa première pièce de théâtre radiophonique. Il ne prend cependant la décision d'écrire un roman qu'en 1969, au moment où il doit renoncer à son poste à la radio. Il refuse de mentir au micro sur les manifestations dans les rues contre le régime autoritaire et donne sa démission avant d'être renvoyé. Et c'est à ce moment qu'il se lance à écrire un roman :
« Il a été écrit dans les années soixante-dix. Nous avons été obligés de quitter la radio et nous savions que cette collaboration était terminée. Je ne veux pas dire que je m'ennuyais à la maison, mais j'avais besoin d'extérioriser ce que j'avais vécu. Alors je me suis imposé une discipline rigoureuse. Je me levais chaque matin à cinq heures et demi et j'écrivais jusqu'au petit déjeuner. J'étais fier d'être capable de tels exploits comme ce genre d'écrivains connus dont on disait qu'ils s'imposaient la corvée d'écrire chaque jour un certain nombre de pages. C'était ma première prose intitulée Snoubenka - La Fiancée et je l'ai écrite à la main et à la plume. »
Le haïku et le sonnet
Plus d'un quart de siècle s'écoulera entre la création et la publication de ce roman qui sortira finalement sous le titre Poklesky rozverné snoubenky - Les peccadilles d'une fiancée gaillarde. Entretemps Miloň Čepelka écrit de nombreux autres textes, des nouvelles, des contes pour enfant et des paroles des chansons. Il est auteur des paroles de quelque 1200 chansons de genres les plus divers ce qui lui assure sans doute la position du parolier tchèque le plus prolifique. Et il n'abandonne jamais non plus son ambition d'écrire la poésie et s'attaque entre autres aux genres difficiles du haïku et du sonnet classique :
« Les grands maîtres savaient écrire des sonnets et je me suis dit : vas-y, essaie de le faire, toi aussi. Ce ne sera pas la même chose, tu n'écriras pas comme les grands maîtres mais tu peux toujours essayer. Et cela a commencé à m'intriguer, à me passionner à cause de la rigueur de la forme parce que le sonnet doit être composé de 14 vers et il y a d'autres règles formelles qu'il faut respecter. La forme est donc fixe. Il me plaisait de me plier à cette forme et en plus exprimer quelque chose. Et c'est ce que je me suis fixé pour tâche. »
Les interrogations sur l'au-delà
A 85 ans, Miloň Čepelka continue infatigablement à écrire et à jouer du théâtre. Sa poésie est inspirée souvent par l'amour considérée comme la valeur suprème de la vie et un moyen efficace de résistence contre les stéréotypes dans lesquels nous vivons, contre l'angoisse dont nous souffrons et contre la résignation qui nous guette. Parvenu à l'âge vénérable, il évoque dans sa poésie aussi fréquemment et sans accents pathétiques les dernières choses de la vie et s'interroge avec une curiosité inassouvie sur ce qui nous attend au-delà du seuil fatal :
« Il y a tant de théories et tant de possibilités et pourtant nous ne pouvons être sûrs de rien. Alors on est curieux, on se demande si la conscience peut subsister d'une façon ou d'une autre. (...) Je m'efforce toujours, et je sais que c'est un vain effort, de parvenir sinon à une certitude au moins à une vision des possibilités. Je ne suis même pas contre la métempsycose, je ne suis contre rien de tout cela. Et je sais que je ne sais rien. »