Best of 2021, garanti sans covid !
Tradition oblige, voici quelques extraits d'entretiens réalisés en 2021 et choisis par les membres de la rédaction francophone de Radio Prague International.
La première biographie de Charles IV en français
Directeur d’étude à l’EHESS et directeur de l’Institut franco-allemand de sciences historiques et sociales de Francfort sur le Main, Pierre Monnet est l’auteur de la première biographie en français consacrée au roi de Bohême et empereur Charles IV, parue chez Fayard. En février dernier, il était revenu avec Anna Kubišta sur le destin exceptionnel de ce personnage historique, à la fois lettré, grand voyageur, polyglotte, stratège des alliances matrimoniales destinées à consolider son pouvoir dynastique, mais aussi mécène et collectionneur de reliques, un personnage qui est aussi l’auteur d’une autobiographie unique en son genre en son temps :
« C’est un document exceptionnel, non pas qu’on ait une seule autobiographie royale au Moyen Age, car d’autres rois notamment en Aragon et en Suède, ont écrit sur eux-mêmes, mais pas sous une forme aussi aboutie, aussi structurée que le fait Charles IV dans cette Vita Caroli. C’est donc vraiment un document exceptionnel. Second élément qui peut éclairer aussi l’importance de ce texte, il décide vraiment dans toute une partie du texte d’employer la première personne du singulier, c’est-à-dire il parle en disant ‘je’, ce qui est quand même différent. Les rois de France, eux, sont tellement convaincus de la souveraineté et de l’excellence du titre de roi de France, qu’ils choisissent de laisser écrire les autres sur eux, donc le roi de France s’écrit à la troisième personne du singulier. »
« Le contenu aussi de cette Vita m’a paru absolument extraordinaire, dans la mesure où ce n’est pas un récit tout à la gloire de Charles IV puisqu’il dévoile des aspects que l’on ne trouve pas forcément ailleurs. Par exemple, les relations difficiles parfois avec son père, Jean l’aveugle, le roi de Bohême de la première moitié du XIVème siècle venu du Luxembourg. D’autre part, il évoque les difficultés qu’il a rencontrées dans les campagnes militaires en Italie, mais aussi les difficultés qu’il a eues à se réapproprier en quelque sorte un royaume de Bohême qu’il ne connaissait pas si bien que cela, et qu’il a trouvé dans un Etat pas forcément formidable lorsqu’il est revenu au début des années 1330. »
« Autre élément qui m’a semblé important, ce sont des passages dans lesquels il dévoile quelque chose de très moderne lorsqu’il parle de ses rêves, de ses peurs, de ses doutes, c’est quelque chose qui pour un roi est tout à fait singulier. La fonction de ce texte a toujours interrogé, je ne prétends pas non plus apporter une réponse définitive. Comme vous le savez, le texte s’arrête en 1346, c’est-à-dire au moment où il est élu pour la première fois roi des Romains, ou futur empereur de l’empire romain germanique. Donc à cette date il n’est pas encore roi de Bohême et ni empereur. On peut donc se demander : mais pourquoi écrire un texte comme ça à la première personne pour raconter son itinéraire et s’arrêter avant tous les évènements glorieux du règne ? Je crois qu’on a là une clé d’interprétation de ce texte qui est à la fois un texte de jeunesse, de position politique, d’étape et au fond qui annonce presque un programme qu’il va ensuite réaliser en tant que roi et empereur. C’est quelqu’un qui m’a toujours semblé jouer sur plusieurs palettes de documents. »
Y a t-il une forme de conscience de son destin, même s’il ne peut pas prédire l’avenir, une espèce de prescience où il sait qu’il a une destinée qui l’attend et il a besoin peut-être d’appuyer ce futur sur cette autobiographie, sur une réflexion sur soi-même ?
« Absolument, ce qui m’a beaucoup frappé en essayant d’approfondir ce personnage, c’est qu’il a une conscience précoce d’un destin royal qu’il va appuyer sur deux directions. La première pour son royaume de Bohême car il a aimé être le roi de ce royaume et il a aimé Prague. L’autre, c’est qu'ayant reçu le titre royal puis impérial du saint empire romain germanique, l’idée que cette couronne a quelque chose de particulier, c’est-à-dire un pouvoir universel à l’égal du Pape, qui le place au-dessus des autres rois, y compris en théorie du roi de France. »
« Je crois donc qu’il a voulu aussi appuyer cette souveraineté, ce caractère particulier de la couronne impériale. Et puis, cette conscience d’un destin précoce, il faut la rapporter à sa jeunesse. En effet, les sept années qu’il passe à Paris entre l’âge de 7 et 14 ans ont été fondamentales, car il est arrivé comme le fils d’un roi de Bohême à un moment où personne n’imagine que les Luxembourg puissent avoir un destin à travers lui, qui va durer à travers ses fils en particulier Sigismond au XVème siècle. J’essaye toujours de dire, imaginons Sigismond qui aurait eu des fils et qui auraient continué une grande politique dynastique, et donc imaginons ce qu’aurait été à l’époque moderne une Europe des Luxembourg et non pas une Europe des Habsbourg. Tout cela me semble être en germe dans la manière d’être roi pour Charles IV. »
« Avec les Tchèques, il suffit de briser la glace. Mais il faut faire le premier pas ! »
Courtier automobile originaire de Bretagne, David vit à Prague depuis le 16 janvier 2019. S’il n’a pas oublié la date précise de son arrivée en République tchèque, il ne semble pas prêt de décider de celle de son départ. Et pour raconter son histoire, David a tenu à rencontrer Anaïs Raimbault dans le bar U Sadu de Žižkov. Un lieu pour lui hautement « symbolique » puisque c’est ici même qu’il a pris, il y a quelques années, ce qu’il considère « l’une des meilleures décisions » de sa vie .
LIRE & ECOUTER
« Je m’appelle David, j’ai 36 ans et je suis originaire de Bretagne. Je suis passionné d’automobile. En France, j’ai fait une grande partie de ma carrière dans l’automobile ; j’y ai travaillé dans différentes entreprises. J’ai toujours travaillé dans ce milieu, qui m’intéresse. Je pratique également beaucoup, comme sport, le running. Ici, à Prague, j’ai recommencé récemment à courir. Et je prévois de participer au marathon de Prague l’an prochain. Sinon, j’aime la ville et la vie ici, c’est pour ça que je suis là. »
« L’endroit où nous nous trouvons maintenant, le bar U Sadu à Žížkov, n’est pas anodin : lorsque je suis revenu voir mon ami quelques mois avant de venir m’installer ici, on discutait dans ce bar et c’est ici que je lui ai dit ‘je vais revenir, mais pour m’installer, et pas seulement pour visiter’. C’était l’une des meilleures décisions que j’ai prises jusqu’à maintenant. »
« Beaucoup de mes amis expatriés disent beaucoup de choses sur les Tchèques, sur le côté social des Tchèques. Moi j’ai appris à connaître un peu plus la culture. Même s’il est vrai qu’au début, on a l’impression d’une certaine distance, une fois qu’on fait l’effort d’entrer dans la culture, cette distance est remplacée par une proximité très forte. Il suffit de passer de l’autre côté du cercle de confiance. Mon affaire professionnelle reflète aussi cela, car lorsque j’ai commencé à aller voir des Tchèques dans leurs garages, leurs concessions de voitures, j’étais confronté à la même chose. Mais au final, ces relations, une fois acquises, sont solides et durables. Il suffit de briser la glace, mais il faut faire le premier pas. »
« Il y a beaucoup d’endroits magnifiques en République tchèque. On peut citer de la Suisse bohémienne, Český Krumlov, la Moravie… Mais si je devais retenir un seul endroit, ça serait à Prague : Vyšehrad. L’histoire, le lieu et le point de vue qu’il offre sur la ville sont vraiment intéressants. J’y vais régulièrement car c’est un endroit très apaisant. On a l’impression d’être en retrait, alors que c’est en plein cœur de la ville. On y a l’impression d’être dans une bulle, c’est parfait pour penser et se relaxer. »
Florence Miailhe et La Traversée
La peintre et réalisatrice Florence Miailhe a présenté cette année au Festival du film français à Prague son long métrage d’animation La Traversée (en tchèque Přes hranici), sorti en septembre dernier en France et qui a obtenu le prix du jury au dernier Festival d’Annecy. Pour son film, qui est le tout premier long métrage d’animation jamais réalisé en peinture à l’huile sur verre, Florence Miailhe s’est inspirée de l’histoire de sa famille qui trouve ses racines dans les shtetls de Russie. Co-écrite par Marie Desplechin, la Traversée raconte l’histoire d’un frère et d’une sœur, Adriel et Kyona, qui ont fui un pays totalitaire et se retrouvent, séparés de leurs parents, sur les routes de l’exil. Près de la moitié du travail d’animation a été accompli à Prague par l’équipe des animatrices du studio tchèque MAUR Film. Au micro de Magdalena Hrozinková, Florence Miailhe a parlé de cette collaboration, de son style d’animation expérimental et de la mémoire familiale :
LIRE & ECOUTER
« Cela a été un très belle expérience. Même si le travail n’a pas toujours été facile, il a fallu qu’on s’apprivoise les unes, les autres, qu’on voit comment travailler ensemble avec des méthodes qui n’étaient pas toujours les mêmes au départ. Je pense aussi que j’ai un peu formé certaines personnes à cette technique. Une des animatrices, Lucie Sunková, était la seule à avoir déjà réalisé un film en peinture animée et quelques étudiantes connaissaient aussi ou avaient abordé cette technique. Il y a donc eu une part de formation et nous avons travaillé 18 mois sur l’animation dont la plus grosse partie a effectivement été faite en République tchèque. »
Helena Krulichová, appelée aussi Nasrine par les Kurdes
Helena Krulichová s’était mariée à Prague en 1953 avec le futur leader kurde Abdul Rahman Ghassemlou, venu y faire ses études. Elle a épousé la cause kurde en même temps que son mari et a vécu par la suite dans la clandestinité avec lui et leurs deux filles en Iran et en Irak, avant de revenir à Prague puis finalement de se faire expulser et de s’installer en France, où elle réside encore aujourd’hui. C’est de Paris en juillet 1989 qu’elle a appris que le Docteur Ghassemlou, chef du Parti démocratique du Kurdistan d’Iran (PDKI), figurait parmi les victimes des assassinats ciblés dans la capitale autrichienne, où il était venu pour des soi-disant négociations initiées par Téhéran. De Vienne, les principaux suspects ont pu regagner l’Iran.
« La dernière fois que je l’ai vu, un jour avant son départ à Vienne, il m’a dit pour quelle raison il y allait. Moi qui ai été élevée dans un pays où la religion était strictement séparée de l’Etat, je savais que les représentants de la religion avaient une pensée tordue. La façon de penser d’une ancienne Tchèque et d’un leader était bien différente. Lui était convaincu qu’après la mort de Khomeini, les Iraniens voulaient régler le problème kurde. Je lui ai répondu : ‘Ils ne veulent pas résoudre le problème kurde, ils veulent ta tête !’. Comme toujours il a estimé que j’exagérais et que j’étais trop sensible. Il m’a fait bye bye, et c’était fini. »