Cinéma : La Traversée, un film d’animation réalisé aux pinceaux entre la France et la Tchéquie
La peintre et réalisatrice Florence Miailhe a présenté cette semaine au Festival du film français à Prague son long métrage d’animation La Traversée (en tchèque Přes hranici), sorti en septembre dernier en France et qui a obtenu le prix du jury au dernier Festival d’Annecy. Pour son film, qui est le tout premier long métrage d’animation jamais réalisé en peinture à l’huile sur verre, Florence Miailhe s’est inspirée de l’histoire de sa famille qui trouve ses racines dans les colonies juives en Russie. Co-écrite par Marie Desplechin, la Traversée raconte l’histoire d’un frère et d’une sœur, Adriel et Kyona, qui ont fui un pays totalitaire et se retrouvent, séparés de leurs parents, sur les routes de l’exil. Près de la moitié du travail d’animation a été accompli à Prague par l’équipe des animatrices du studio tchèque MAUR Film. Au micro de Radio Prague International, Florence Miailhe parle de cette collaboration, de son style d’animation expérimental et de la mémoire familiale…
« La Traversée est mon premier long métrage mais j’avais déjà fait plusieurs courts métrages qui étaient tous fait directement sous la caméra c’est-à-dire que c’est le même système que les marionnettes. Les dessins ne sont pas réalisés à l’avance pour ensuite être filmés, mais ils sont dessinés, effacés, redessinés ou bien progressivement recouverts pour prendre des images de leur transformation. C’était donc une technique que je connaissais. Elle a évolué vers la peinture sur verre pour les besoins du long métrage. C’était très important pour moi que le film reste artisanal et artistique. »
Vous avez réalisé ce film en partie en France mais aussi en Allemagne et en République tchèque. Vous avez collaboré avec une équipe d’animatrices, une équipe féminine, comment s’est passée cette collaboration ?
« Cela a été un très belle expérience. Même si le travail n’a pas toujours été facile, il a fallu qu’on s’apprivoise les unes, les autres, qu’on voit comment travailler ensemble avec des méthodes qui n’étaient pas toujours les mêmes au départ. Je pense aussi que j’ai un peu formé certaines personnes à cette technique. Une des animatrices, Lucie Sunková, était la seule à avoir déjà réalisé un film en peinture animée et quelques étudiantes connaissaient aussi ou avaient abordé cette technique. Il y a donc eu une part de formation et nous avons travaillé 18 mois sur l’animation dont la plus grosse partie a effectivement été faite en République tchèque. »
Le film est votre signature, ce sont vos dessins, mais après comment travaille-t-on à distance quand quelqu’un d’autre fait l’animation de vos dessins ?
« Nous avons beaucoup préparé à l’avance c’est-à-dire que les décors étaient déjà faits et nous avions essayé de faire la première image de chaque plan de façon à ce que, quand les animatrices commençaient à travailler, elles avaient déjà des bases données. Nous avions aussi fait des modèles de personnages, une charte de couleurs pour indiquer le plan. Donc il y avait tout ce travail de préparation et après j’essayais d’être au maximum avec les animatrices. Au début j’étais tout le temps à Prague parce qu’il n’y avait pas d’autres animatrices qui travaillaient en même temps. Puis, quand les autres équipes se sont rajoutées en Allemagne puis à Toulouse, c’était assez difficile d’être dans trois pays en même temps parce que tout marchait mieux quand j’étais là. Je pouvais valider les plans au fur et à mesure, s’il y avait des erreurs je pouvais vite réagir alors que quand je n’étais pas là, il fallait attendre que je voie la progression, que je donne mon avis… Il y avait souvent des moments où elles attendaient car je n’étais pas forcément disponible. C’était donc plus compliqué mais il y avait aussi un chef animateur russe qui, quand je n’étais pas là, faisait le relai entre l’équipe et moi. »
Quelle est la particularité de la peinture animée ? Pourriez-vous décrire un peu plus en détails comment vous procédez ?
« C’est de l’animation directe sous la caméra c’est-à-dire que les dessins ne sont pas faits à l’avance, mais l’animatrice fait un premier dessin, prennd une photo, change un peu son dessin, efface, le refait, puis prend à nouveau une photo et ainsi de suite. Ce n’est pas une animation qu’on prévoit mais qui va se développer au fur et à mesure du mouvement. La particularité est que nous avons une matière très vivante et picturale en comparaison avec l’animation traditionnelle. Ici c’est vraiment toute la peinture qui bouge. »
Nous avons l’impression de faire parrie de l'histoire, puisque que le dessin se réalise en direct sous nos yeux…
« Voilà. On voit la peinture se faire, le mouvement se créer. C’est l’impression que donne cette méthode et cela accepte les accidents, les hasards des matières qui vont se mélanger et de la façon dont elles vont se mélanger. En même temps, il ne faut pas se tromper sinon il faut recommencer tout le plan. Par exemple à un moment du film il y a une vague qui est de la peinture bleue sur une vitre qu’on pousse sans savoir ce que cela va donner parce qu’il y a toute cette matière qui se met à bouger pas tout à fait comme de l’eau mais bien comme de la peinture qui représente de l’eau. »
Le personnage principal, Kyona, dessine tout au long du film. On peut même, en tant que spectateurs, feuilleter ses carnets de dessins. Ces carnets existent-ils en réalité ?
« Ce sont les dessins que ma mère a faits entre 1936 et 1944. Elle et son frère étaient obligés de quitter Paris, pour se réfugier en zone libre, parce qu’ils étaient juifs. Ila étaient un peu plus âgés que les personnages du film. Ma mère qui dessinait beaucoup avait des carnets qu’elle emmenait avec elle. On a pris dans ses carnets des dessins qui reconstituent l’histoire du personnage principal, Kyona. Son histoire est inventée, mais avec des bribes de la réalité. »
Ce film est donc dédié à votre mère, ainsi qu'à votre arrière-grand-mère qui a fui l’Ukraine en 1905 avec ses dix enfants, son histoire était aussi un point de départ pour ce film ?
« Oui complètement. Je ne connais pas vraiment l’histoire de mon arrière-grand-mère à part ce qu’on nous a raconté quand nous étions petits, cela fait un peu partie des légendes familiales, mais c’est vrai que c’était un point de départ. Au début, je voulais raconter l’histoire de cette femme qui partait avec son mari et ses dix enfants. Puis comme nous avons co-écrit avec l’écrivaine française Marie Desplechin, elle m’a dit que nous allions nous émanciper de la réalité historique et des dix enfants parce que c’est trop pour un film d’animation. Donc très vite, nous avons décidé qu’il y aurait moins d’enfants et que deux d’entre eux perdraient leurs parents. Ce sont ces deux enfants que nous suivons et en cela nous avons rejoint tous les destins des enfants mineurs isolés dans les mouvements de migrations actuels. »
L’histoire de votre film est donc effectivement l’histoire de deux adolescents, Kyona et son frère, qui partent d’un pays totalitaire assez imaginaire vers un pays libre. Ils rencontrent plusieurs personnages et vivent toutes sortes d’aventures pas toujours très agréables. Comment avez-vous construit cette histoire et ces personnages ?
« Quand nous avons commencé à travailler, nous avions envie d’évoquer les grandes migrations du XXe siècle, dont faisait partie mon arrière-grand-mère, qui regroupaient à la fois des juifs qui partaient à cause des pogroms antisémites en Russie ou en Ukraine, les Arméniens, les Italiens et les Grecs qui partaient souvent pour des raisons économiques… Donc j’avais envie de relier ces grandes migrations du XXe siècle avec celles du début du XXIe et la forme que nous avons trouvé pour ce faire était d’être dans quelque chose d’intemporel avec une géographie complètement inventée même si nous pouvons nous dire qu’au début du film nous sommes plutôt en 1905. C’est comme si le film évoluait aussi dans le temps. Au fur et à mesure du voyage, les choses changent et si on peut penser que nous sommes dans une ville de Russie au début du XXe siècle petit à petit on se rend compte que non, il y a un téléphone portable, ordinateur et nous arrivons dans des camps de réfugiés qui ressemblent aux camps qu’il risque d’y avoir bientôt aux frontières de l’Europe.
Marie Desplechin et moi avons toutes les deux le goût du conte donc c’est venu presque comme une évidence qu’on allait aller de conte en conte et que le film allait se construire en chapitre. Comme je viens du court métrage, j’avais l’impression que ce serait plus facile de concevoir le film avec à chaque fois des couleurs différentes, des personnages différents. Quand les personnages arrivent dans un endroit, les couleurs, les saisons changent, les deux personnages grandissent et changent de costumes.
Nous allions donc de conte en conte, le premier étant Le Petit Poucet et les époques historiques qui font que les parents sont obligés d’abandonner leurs enfants à un moment parce que c’est mieux pour leurs enfants de ne plus être avec eux. Puis nous nous sommes inspirées des contes comme Hansel et Gretel, on retrouve dans le film la maison des ogres, la sorcière de la forêt... »
Est-ce qu’on peut finalement dire que c’est un film assez triste avec toutefois de l’espoir à la fin ?
« C’est un film qui porte de l’espoir car il est raconté par une voix off qui est celle du personnage principal qui a vieilli. On comprend qu’elle a continué à peindre d’autant plus puisque la première image du plan est l’atelier d’une femme qui va raconter son histoire à travers le carnet qu’elle a dessiné quand elle était jeune. Donc nous savons que cette femme s’en est sortie et qu’elle a pu faire le métier dont elle rêvait. »
Vous êtes venue présenter votre film au Festival du film français, est-ce aussi une occasion de retrouver votre équipe d’animatrice ?
« Oui je n’aurais raté ça pour rien au monde, sauf s’ils avaient fermé les frontières, ce qui m’aurait désolée. Je sais qu’il y a une projection prévue pour l’équipe et je suis contente de les retrouver d’autant plus que c’était dur parce que j’ai fini le film en janvier 2020 et nous pensions nous retrouver dans la foulée à Annecy ou même peut-être à Cannes mais il y a eu le Covid. Donc on ne s’est pas revus et je suis contente de retrouver tout le monde, c’est un vrai plaisir. »
La Traversée sort en salles en République tchèque ce jeudi 25 novembre.