Restitutions : nouveau round judiciaire entre la Tchéquie et les Liechtenstein
Ce dossier revient à intervalles réguliers dans l’actualité judiciaire tchèque : le litige entre l’Etat et la famille Liechtenstein porte sur un immense patrimoine.
Le tribunal de commerce de Břeclav en Moravie a commencé ce mercredi à traiter la plainte de la Fondation du Prince du Liechtenstein contre l'État tchèque, dans laquelle elle demande la restitution de biens qui, selon elle, sont utilisés illégalement par l'État tchèque.
Cette plainte porte notamment sur le domaine de Lednice-Valtice, mais aussi les châteaux de Lednice et Valtice. La famille princière du Liechtenstein affirme que l'État tchèque a illégalement confisqué ses biens sur la base des décrets de Beneš après 1945. L’administration tchèque concernée estime la plainte infondée.
Jan Županič est historien :
« Les Liechtenstein n’ont pas fait de problèmes aux employés tchèques qui travaillaient sur leurs terres en pays tchèques. C’est même le contraire, ils les ont soutenus financièrement et protégé de la pression des autorités d’occupation. Pour autant, le prince souverain à cette époque, François-Joseph II, a profité de la coopération avec les institutions nazies pour tenter notamment de revoir la précédente réforme territoriale ou bien pour acheter des biens confisqués. Il est intéressant de voir que ces données n’ont pas été prises en compte après 1945. Les biens des Liechtenstein ont été confisqués sur la base des décrets Beneš, donc sur la base du fait qu’ils étaient reconnus comme des Allemands. »
La Fondation a intenté des poursuites auprès de 26 tribunaux de district tchèques fin 2018, le tribunal de Břeclav étant l'un d'entre eux. Dans les procès, la Fondation souligne surtout que le dernier détenteur d'une vaste propriété familiale dans les pays tchèques, François-Joseph II n'était pas citoyen de l'Allemagne, mais du Liechtenstein neutre, de surcroît chef d'un État souverain.
Cependant, le Prince François-Joseph II de Liechtenstein, selon l'organe administratif de l'époque, a déclaré sa nationalité allemande dans les années 1930 et, par conséquent, sa propriété a été confisquée après la Deuxième Guerre mondiale sur la base des fameux décrets du président tchécoslovaque Edvard Beneš.
« Il s'agit d'une correction de l'injustice qui s'est produite ici et qui a été entretenue par l'État pendant plusieurs décennies. Si nous voulons être un État régi par l'État de droit, nous devons éliminer l'injustice », a déclaré l'avocat de la Fondation. Il a décrit la situation actuelle comme une occupation de propriété et a ajouté que les poursuites ne concernaient que les biens immobiliers dont l'Etat est inscrit comme propriétaire au cadastre immobilier. Ne sont donc pas concernés les terrains appartenant à des régions, des municipalités ou des particuliers, ni de terrains sur lesquels ont été construite une infrastructure autoroutière.
Parmi les 14 institutions publiques faisant l'objet de poursuites devant le tribunal de Břeclav figurent, par exemple, l'Institut des monuments nationaux et l'Agence pour la protection de la nature et du paysage de la République tchèque. Selon leurs avocats, les prétentions du plaignant ne sont pas fondées.
Dans le passé, la Fondation a échoué devant la Cour constitutionnelle dans un différend avec la République tchèque concernant une forêt près de Říčany en Bohême centrale. Elle a ensuite déposé une plainte auprès de la Cour européenne des droits de l'homme à Strasbourg.
La famille Liechtenstein (épelée Lichtenštejn en tchèque) appartenait à la noblesse la plus riche des pays tchèques, en particulier de Moravie. Ils possédaient de vastes propriétés, y compris la région actuelle de Lednice-Valtice, un site du patrimoine mondial de l'UNESCO depuis déjà plusieurs années.
Les Liechtenstein ont perdu une grande partie de leurs biens sur le territoire de l'ancienne Tchécoslovaquie à la suite des réformes agraires après la Première Guerre mondiale, et l'État leur a confisqué les biens restants après 1945 sur la base donc des décrets Beneš.
Le long feuilleton judiciaire qui divise Prague et Vaduz a longtemps mis un frein à l’établissement de relations diplomatiques et ce n’est qu’en 2009 que la Tchéquie et la Principauté du Liechtenstein ont franchi le pas. Le chef de la diplomatie tchèque de l’époque était Jan Kohout :
« La déclaration sur l’établissement de relations diplomatiques est accompagnée d’un mémorandum par lequel les deux pays s’engagent à mettre en place une commission d’historiens destinée à contribuer à la connaissance de l’histoire commune et à orienter les relations entre les deux pays vers l’avenir. »
Visiblement, 13 ans après, les déclarations d’intention n’ont pas permis de trouver une solution amiable à cet important litige patrimonial qui devra être tranché par le juge.