La Tchéquie met un terme à sa coopération avec l’Institut unifié de recherches nucléaires en Russie
Après plus de 60 ans de coopération, les chercheurs en physique nucléaire tchèques quittent l’Institut unifié de recherches nucléaires situé à Doubna, en Russie. En cause, l’invasion russe de l’Ukraine.
Il y a quelques semaines, l’Académie des sciences de République tchèque avait déjà annoncé la suspension de coopérations scientifiques avec les institutions russes et biélorusses, en raison de l’invasion de l’Ukraine, en précisant que chaque institut pouvait décider s’il convient de mettre un terme définitif à la coopération ou seulement de geler ou de suspendre temporairement les activités menées avec ces institutions.
C’est désormais au tour des chercheurs en physique nucléaire tchèques de faire part de leur souhait de mettre fin à la coopération entreprise il y a désormais plus de six décennies avec la Russie dans le cadre de l’Institut unifié de recherches nucléaires.
Egalement connu sous l’acronyme JINR (Joint Institute for Nuclear Research), l’Institut situé à Doubna, dans l’oblast de Moscou, est un centre international de recherche en sciences nucléaires représenté par pas moins de 18 pays, dont la Tchéquie, la Slovaquie, l’Ukraine, la Biélorussie et la Russie.
L’Institut a été fondé en 1956 en réaction à la création de l’Organisation européenne pour la recherche nucléaire, le CERN, deux années plus tôt, en 1954, à Genève. La Tchécoslovaquie était l’un des membres fondateurs de cet institut. Depuis soixante ans, donc, les activités scientifiques tchèques dans le domaine du nucléaire sont étroitement liées au JINR.
Alors que le CERN de Genève abrite le plus grand laboratoire de physique des particules du monde, la recherche au sein du JINR se veut plus polyvalente. Elle est par exemple spécialisée dans la découverte des éléments super-lourds.
Comme son homologue européen, le JINR fonctionne sur un principe similaire à celui de l’Agence spatiale européenne, c’est-à-dire que chaque Etat membre paie une cotisation annuelle. L’argent collecté par l’Institut est ensuite reversé aux scientifiques et aux entreprises sous formes de subventions et de projets. La République tchèque envoyait jusque-là autour de 5,5 millions d’euros par an.
La République tchèque est devenue le premier des 19 pays membres à quitter l’Institut unifié de recherches nucléaires en raison de la guerre menée par la Russie en Ukraine. Pour le ministre de l’Education en République tchèque, Petr Gazdík, « il n'est plus possible de coopérer en matière de recherche dans le domaine de la technologie nucléaire avec un Etat qui a menacé militairement l’utilisation pacifique de l’énergie nucléaire ». Les quatre autres Etats membres de l’UE et de l’Institut russe, à savoir la Slovaquie, la Pologne, la Roumanie et la Bulgarie, envisagent eux aussi de se retirer de l’Institut et de mettre fin à cette coopération scientifique.
Jan Dobeš, président du Comité de coopération entre la République tchèque et le JINR, précise comment prendra fin cette coopération :
« Dans la pratique, des mesures sont prises pour suspendre les activités tchèques et aussi les droits versés. Actuellement, 25 experts de la République tchèque travaillent à l’Institut commun de recherche nucléaire. On leur a demandé de quitter Doubna immédiatement. »
C’est finalement toute la recherche nucléaire européenne qui s’en retrouve affectée. En effet, depuis la chute du rideau de fer, le JINR participe à de nombreux projets internationaux, dont certains avec le CERN. Le chercheur en physique nucléaire de l’Académie des sciences de Prague Vladimír Wagner nous en dit plus sur ces coopérations internationales :
« Nous travaillons avec des physiciens russes ou avec des institutions russes sur des projets basés dans d’autres pays. Certaines de ces coopérations internationales se font avec le CERN. Dans le cadre de l’expérience KATRIN [Karlsruhe Tritium Neutrino, ndlr] menée en Allemagne, nous venons de remporter une grande victoire dans la détermination de la masse d’un neutrino. Le projet a été réalisé en partie grâce à des travaux de recherche à Troitsk et à Doubna en Russie. Donc, avec le JINR , on fait surtout des projets d’envergure internationale. »
Parmi les projets directement affectés par le départ des chercheurs tchèques de l’Institut, Vladimír Wagner cite le projet ‘Fair’ :
« Le projet ‘Fair’, dans lequel nous sommes également impliqués, est directement affecté. Dans ce projet, on accélère des noyaux atomiques très lourds jusqu’à ce qu’ils atteignent quasiment la vitesse de la lumière et on les fait entrer en collision. Il s’agit d'une masse très dense et chaude comme au début de la formation de l’univers ou avec des supernovas. Jusqu’alors, l’Institut unifié de recherches nucléaires fournissait des aimants super puissants pour le projet. Mais désormais, cela pose des problèmes. »
En Tchéquie, l’arrêt de la coopération avec le JINR a des conséquences directes sur 40 institutions et entreprises. Les scientifiques tchèques en physique nucléaire recherchent maintenant des solutions alternatives pour leurs projets internationaux, mais il est probable que nombre d’entre eux restent inachevés.