100 jours de combats en Ukraine : témoignages de reporters de guerre et de réfugiés
L’invasion de l’Ukraine par la Russie atteint ce vendredi son 100e jour. Depuis le début de la guerre, la République tchèque a fourni à Kyiv près de 140 millions d’euros (3,5 milliards de couronnes) d’aide militaire et accueilli plus de 360 000 réfugiés ukrainiens. Le conflit a déclenché une vague de solidarité sans précédent : les Tchèques ont collecté une somme record de plus de 3,5 milliards de couronnes en faveur du pays agressé par Moscou. Ils continuent à apporter toute sorte d’aide aux personnes fuyant la guerre.
Alors que le conflit se poursuit notamment dans l’Est de l’Ukraine, où la guerre a commencé en 2014, et que plus de 6,4 millions d’Ukrainiens ont quitté leur pays, selon les derniers chiffres de l’ONU, certains réfugiés empruntent le chemin inverse du retour. Les autorités tchèques n’ont pas de statistique précise, mais les municipalités estiment qu’environ 25% des réfugiés qu’elles avaient accueillis et pris en charge depuis le 24 février dernier sont retournés au pays, malgré une situation dangereuse et imprévisible. Tel est le cas de Lidia qui vit, avec sa sœur, dans un hôtel près de Prague. Jardinière, elle a trouvé du travail en Tchéquie, mais elle préfère retourner à Odessa, pour revoir ses amis qui lui manquent trop.
« Cela peut paraître bizarre, ce qui me manque aussi, ce sont mes fleurs. Mais j’ai peur, bien sûr. »
La situation est tout autre pour Mykola Bordunov, cet apiculteur ukrainien originaire de Zaporijjia, dans le sud-est de l’Ukraine, où il a laissé 260 colonies d’abeilles. Il a fui la guerre avec sa femme et leurs enfants pour s’installer en République tchèque, pays qu’il connaissait déjà pour y avoir travaillé auparavant. Il s’occupe désormais des ruches de l’Académie des sciences de České Budějovice, en Bohême du Sud, sans pour l’instant songer au retour :
« Au début de la guerre, nous ne voulions pas partir. Mais notre fils est handicapé et comme il n’y avait plus de médicaments et que tous les hôpitaux ont fermé, nous étions obligés de nous en aller. J’ai un jeune ami qui s’occupe de mes ruches en Ukraine, je lui envoie des photos et des conseils. Pour l’instant, nous apprenons le tchèque, nous travaillons, nous voulons aussi aider les autres et c’est tout ce que nous pouvons faire. »
Mykola est une exception : en République tchèque comme ailleurs, les femmes et les enfants représentent 90% des nouveaux arrivants d’Ukraine. Sur environ 150 000 enfants réfugiés en Tchéquie, près 26 000 seulement sont actuellement scolarisés. En attendant l’amélioration de la situation en Ukraine et un possible retour, les enfants comme les adultes apprennent les bases du tchèque, la barrière de la langue étant le principal obstacle à l’accès à l’emploi.
« Vous buvez beaucoup de bière, c’est énorme, comparé à la consommation en Ukraine. Cela m’a beaucoup surpris ! », confie Nina, qui a trouvé rapidement du travail dans un bistro d’Ostrava, dans le nord-est de la République tchèque. La situation est plus compliquée dans le secteur de la santé, qui fait face, tout comme l’hôtellerie-restauration, à une pénurie de main d’œuvre : l’Etat tchèque peine à faciliter l’emploi des médecins professionnels ukrainiens, pour l’instant souvent relégués à des tâches administratives, en attendant une formation et la reconnaissance de leurs diplômes.
La guerre en Ukraine a en fait posé de nombreux défis au gouvernement tchèque : l’intégration des réfugiés et leur forte concentration à Prague, le manque de personnel et des capacités d’accueil dans les écoles, ou encore, tout récemment, l’accueil problématique des réfugiés roms, hébergés dans des camps provisoires.
Parallèlement, de lourds combats sont menés sur le front. La Russie s’est emparé de 20% du territoire ukrainien et son offensive se concentre actuellement sur le Donbass, dans l’est de l’Ukraine. C’est dans cette région que se trouvent deux reporters de la Télévision publique tchèque qui couvrent la guerre depuis son début. Václav Černohorský décrit la situation sur place, après 100 jours de conflit :
« Avec notre caméraman, nous nous trouvons à Kramatorsk, dans la région de Donetsk. Nous étions aussi à Slovjansk, une ville de 100 000 habitants, d’où 70 000 personnes sont parties. Ces deux grandes villes sont désertes, les magasins sont fermés. On a l’impression que la guerre arrive ici. La ligne de front se trouve à quelques dizaines de kilomètres d’ici, mais pour les civils, les armes déployées, c'est-à-dire l’artillerie, les lance-roquettes, les projectiles tirés à plusieurs dizaines de kilomètres, tout cela représente un danger permanent. Ces armes tuent des habitants et détruisent les infrastructures dans ces villes également. (…) Je pense que l’ambiance dans cette région est moins optimiste qu’à Kyiv et plus généralement dans l’ouest du pays. »
Outre son travail de journaliste, Martin Dorazín participe à l’aide apportée par des organisations humanitaires ukrainiennes. Il témoigne depuis la ville de Dnipro :
« Nous accompagnons nos amis bénévoles qui transportent et distribuent l’aide humanitaire. Nous montrons dans nos reportages que cette aide, organisée par exemple par l’ONG tchèque People in Need ou d'autres organisations, est effectivement acheminée sur place, qu’elle n’a pas été volée ou perdue en chemin. Nous montrons que cette aide est vraiment nécessaire et qu’il faut continuer à la fournir aux gens ici. Il est important d’aider l’Ukraine de façon permanente, pas seulement au début du conflit. »
« Tout le monde se pose la même question, à savoir quand-est-ce que cette guerre prendra fin. Sans avoir la réponse, nous voyons qu’elle a changé : elle n’est plus chaotique comme au début. L’agression russe est désormais bien réfléchie et planifiée. Moscou mise sur une guerre à long terme, une guerre de position, ce qui est dangereux, car à force, l’intérêt de la communauté internationale pour l’Ukraine risque de diminuer. Mais le pays aura toujours besoin d’une aide humanitaire et surtout d’une quantité encore plus importante d’armes. »
Le Premier ministre tchèque avait été l’un des trois premiers chefs de gouvernement à se rendre à Kyiv mi-mars.