« La seule chose qui manque à Prague, c’est un peu de multiculturalité »
Souffleur de verre de père français et de mère italienne, Giovanni Beruyer se spécialise dans la production d’accessoires pour fumeurs, qu’il signe Hashba_glass. Au micro de RPI, il a parlé de son métier dans un pays un peu incolore à son goût, et de ses rencontres souvent déconcertantes avec les policiers tchèques. Mais tout d’abord, il a expliqué ce qui l’avait amené à Prague il y a une dizaine d’années.
« J’ai grandi en Toscane, mais à 18 ans, j’ai eu envie de bouger. J’avais ma sœur en Belgique, des copains partout en Europe, mais j’avais envie de voir si je saurais gérer ma vie en partant de zéro, sans même parler anglais. J’ai donc pris un aller simple pour Prague… et j’y suis resté. »
Comment les débuts se sont-ils passés ?
« Ça a été l’aventure ! D’ailleurs, ça l’est toujours, car mon niveau de tchèque n’est toujours pas suffisant pour avoir une vie normale. Ça a donc été difficile, notamment pour les questions administratives, mais pour finir, j’ai trouvé un travail dans une grosse entreprise de logistique dans le quartier de Chodov. J’y ai travaillé un an et demi. Eux m’avaient embauché pour communiquer en français avec le Luxembourg, la Belgique et la France ; moi j’y ai appris l’anglais en quelques mois. »
Liberté, créativité, félicité
Après ces débuts dans cette grande entreprise internationale, vous avez radicalement changé d’activité professionnelle. Que faites-vous aujourd’hui ?
« Je suis souffleur de verre. Cela fait quatre ans que je m’y consacre au quotidien. Avant, dans cette entreprise, je passais toute la journée derrière l’ordinateur ; j’y travaillais bien et lorsque j’ai décidé de partir, ils m’ont proposé de continuer à travailler pour eux en faisant des déplacements à l’étranger, mais j’avais envie de faire quelque chose de complètement différent. Mon travail maintenant est entièrement manuel et créatif ; j’adore ce que je fais. Je m’amuse dans mon travail et avec mes clients ; je bouge beaucoup pour mon travail ; c’est la liberté. Pour moi, travailler 8 heures derrière un ordinateur était beaucoup plus fatiguant que faire des journées de 12 à 14 heures comme j’en fais parfois actuellement. Car la satisfaction est beaucoup plus importante ; ça vaut donc le coup de le faire. »
Apprendre sur YouTube et en faisant des erreurs
Comment avez-vous appris à souffler le verre ?
« J’avais suivi un cours à Venise lorsque j’avais 18 ans. La République tchèque étant un pays de verre, avec le cristal de Bohême, notamment, je suis revenu au verre ici, où j’ai commencé à me faire des contacts parmi les souffleurs de verre locaux. Je n’ai pas suivi de formation en République tchèque, mais j’ai suivi des petits cours en me rendant auprès des souffleurs de verre européens qui font le même genre de produits que moi. Pour le reste, ça a été YouTube et l’apprentissage par l’erreur. C’est en pratiquant que l’on apprend – surtout dans le travail manuel. »
Quels types de produits créez-vous ?
« Je souffle le verre et j’adore l’art, mais l’art fonctionnel. Je produis donc des pièces qui permettent de fumer le cannabis – pas la fleur, mais des extractions. Mon activité est entièrement légale. Je produits donc tous ces accessoires qui servent à fumer, ou à décorer aussi. Mais pour ma part, j’aime quand une pièce est fonctionnelle. »
« Je vends essentiellement par Instagram, qui permet de se faire connaître partout dans le monde. Je participe également en personne à différents événements en Europe, car les contacts personnels sont plus chaleureux, et c’est plus facile d’expliquer mon travail lors d’un contact humain direct plutôt qu’à travers l’écran d’un ordinateur ou d’un portable. »
Une légalisation « attendue avec impatience »
Est-ce que la possible légalisation de la consommation de cannabis, dont on entend régulièrement parler en République tchèque, pourrait avoir un impact sur votre activité ?
« Bien évidemment ! Et on attend tous cela avec impatience. Nous sommes une trentaine de souffleurs de verre [à produire des accessoires pour fumer le cannabis] en Europe, l’Allemagne prévoit de légaliser à l’avenir, et de l’avis général, une fois que l’Allemagne aura légalisé, toute l’Europe va suivre, même la République tchèque. »
« A partir de ce moment-là, les clients qui peuvent éventuellement avoir un peu peur de me contacter seront plus tranquilles. Car certains craignent que les pièces n’arrivent pas chez eux… Moi, cela arrive que la police m’arrête en voiture. Lorsqu’ils y trouvent une cinquantaine de bangs, et que je leur explique que cela sert à fumer, ils me font faire tous les tests, ce n’est pas très agréable… Mais à la fin, en général, ils rient, car ils comprennent que c’est mon travail : je suis autoentrepreneur ici, j’ai une entreprise avec un numéro IČO [numéro d’immatriculation des sociétés], un comptable et un avocat, tout ce qu’il faut du point de vue de l’administration… Donc dans ce genre de situations, cela fait rire beaucoup de monde, même si certains sont plus fermés d’esprit et me regardent comme un toxicomane. »
Pour en revenir à votre expérience d’étranger vivant en République tchèque : avez-vous pris des cours pour apprendre le tchèque ?
« Au moment où je me suis inscrit à un cours de tchèque pour les Italiens – car moi j’ai besoin qu’on m’explique la grammaire pour apprendre – le Covid-19 est arrivé. Je me suis donc dit que c’était le destin ! Et j’ai remis ça à plus tard. Après, il faut aussi prendre en compte le fait que je ne travaille pas en tchèque, car la plupart de mes clients sont hors de République tchèque. Je parle donc l’anglais du matin au soir. Ou l’italien ou le français, mais quasiment jamais le tchèque. Et dans ce dernier cas, si le client a vraiment des difficultés à me répondre, j’utilise le traducteur pour communiquer sur Instagram. Je n’ai donc pas besoin du tchèque. »
« Pour l’administration, je demande à mon comptable ou à mon avocat de gérer lorsque je ne comprends pas quelque chose. Mais pour le reste, les choses sont très faciles ici : les impôts sont très clairs, très bien expliqués, donc impossible de faire des erreurs. Cela peut faire un peu peur au début, mais une fois que l’on s’y met, ça va. Et pour les livraisons, les coursiers parlent tous anglais, donc ça va. Il ne faut pas oublier que Prague est une ville internationale. »
Prague, une ville qui manque de couleurs
« La seule chose qui manque à Prague, c’est un peu de multiculturalité. Prague, ce n’est pas Amsterdam, Londres, Bruxelles ni Paris. Ce n’est pas l’Italie non plus, et on ne voit pas beaucoup de couleurs dans la rue. Mon ex-copine était indienne ; quand elle est venue à Prague, elle a dit ‘Qu’est-ce que c’est que ça ? C’est un peu fermé, ici, non ?’ » (rire)
Les personnes que vous côtoyez aux quotidien, les artistes qui ont comme vous leur atelier à proximité du marché aux puces de Prague, dans le quartier de Hloubětín, sont-ils plutôt des Tchèques ou des étrangers ?
« Des Tchèques. Au début, ils avaient un peu peur, mais voilà maintenant deux ans que je suis ici et ils parlent désormais tous très bien anglais, et ils adorent ça ! »
Ecoutez-vous de la musique tchèque ?
« J’écoute beaucoup de rap et de hip-hop, mais surtout français, italien ou anglais. En tchèque, comme je ne comprends pas, c’est seulement lorsque des copains m’envoient quelque chose à écouter. Si j’adore le morceau, alors je lis les paroles. Ecouter du rap, c’est comme de la poésie : il faut en comprendre les paroles. Prago Union, Gleb, il y a beaucoup de mecs bien, des filles aussi… A Prague, j’ai beaucoup de copains slovaques qui font du rap, mais avant de pouvoir dire si j’aime ou pas ce qu’ils font, je dois lire les paroles. Je ne voudrais pas faire de faute ! »
Republika Žižkov
Quel est votre endroit préféré à Prague ?
« Žižkov ! ‘Žižkov Republika’, comme on dit. C’est le quartier des bars, des pubs, c’est très sympa. Ça l’était plus avant, mais la ville se développe… Mais Žižkov et Vinohrady restent quand même le cœur de Prague pour moi, l’endroit où on rencontre principalement des Tchèques. »
Avez-vous voyagé ailleurs en République tchèque ?
« Un peu, dans le passé… Je connais Olomouc. Mais au niveau paysages, je préfère la Slovaquie. Je faisais du parapente, mais ici il n’y a pas vraiment de montagnes. Du coup, j’ai abandonné, parce que je devais aller en Slovaquie pour avoir des belles montagnes. Mais au niveau nature, la République tchèque, c’est pas mal. »
Extraits musicaux entendus dans cet entretien :
« Po poslechu smažte » de Prago Union
« BOO » de Gleb