Présidentielle : Andrej Babiš, candidat avec quelles chances de victoire ?
Le puzzle de la présidentielle s’est précisé un peu plus concrètement encore en Tchéquie après qu’Andrej Babiš a annoncé, dimanche, son intention de se présenter à l’élection, dont le premier tour se tiendra les 13 et 14 janvier. Dans quelle mesure la candidature de l’ancien Premier ministre, désormais leader du principal parti d’opposition, le mouvement populiste ANO, peut-elle rebattre les cartes à moins de trois mois du scrutin ?
Sa décision était attendue depuis plusieurs mois. Elle est donc enfin tombée. Peu avant son annonce faite dans la soirée sur la chaîne de télévision privée Nova, Andrej Babiš avait été reçu au château de Lány par le président sortant, Miloš Zeman, dont le second quinquennat s’achèvera en mars prochain. Et compte tenu des relations entre les deux hommes, il est fort probable que le chef de l’État l’ait encouragé à s’engager dans la course à sa succession, dont le vainqueur occupera ensuite le Château de Prague jusqu’en 2028.
Pour pouvoir se présenter, l’ancien Premier ministre tchèque (2017-2021) né en Slovaquie sollicitera dans les prochains jours le soutien des députés d’ANO, un mouvement qu’il a lui-même fondé au début des années 2010. Vingt signatures lui seront nécessaires pour pouvoir déposer sa candidature avant la date limite du 8 novembre, mais il ne s’agira là que d’une simple formalité administrative. En effet, avec soixante-douze de ses membres y siégeant, ANO, arrivé en tête des élections législatives en 2021, est le parti politique le mieux représenté à la Chambre des députés.
Dans le camp opposé, celui du gouvernement, le Premier ministre conservateur Petr Fiala a eu besoin de mettre les intérêts de cinq formations en commun pour parvenir à former une coalition. Cette répartition des forces est d’ailleurs une des raisons pour lesquelles Andrej Babiš, qui a longtemps laissé planer le doute sur ses ambitions présidentielles, a finalement décidé de se présenter :
« Quand je vois comment fonctionne ou plutôt comment ne fonctionne pas le gouvernement de la République tchèque, la manière dont il n’aide pas les gens, son inaction, je me suis finalement décidé à me lancer. »
S’il s’est auto-proclamé « grand combattant » dimanche, Andrej Babiš n’en est pas moins conscient qu’il part de loin. Personnage clivant, dont les affaires de corruption et la politique à la tête de l’ancien gouvernement avaient fait se rassembler jusqu’à 250 000 Tchèques à Prague en 2019 pour réclamer sa démission, ses chances de victoire finale en janvier apparaissent réduites.
Parmi la grosse dizaine d’autres candidats, le général et ancien chef d’état-major de l’Armée tchèque Petr Pavel, l’ancienne rectrice de l’Université Masaryk de Brno Danuše Nerudová ou encore le sénateur et ancien ambassadeur en France Pavel Fischer bénéficient, selon les enquêtes d’opinion, les politologues et les médias tchèques, d’estimations plus favorables, et ce, plus encore dans l’optique du deuxième tour.
Homme d’affaires milliardaire qui a fait sa fortune dans l’agroalimentaire après la révolution, celui qui dément avoir été agent de la police secrète communiste StB, Andrej Babiš (68 ans), souvent été présenté comme le « Berlusconi tchèque » ou le « Trump tchèque » avant les élections législatives remportées par ANO en 2017, est sans aucun doute le personnage qui incarne le mieux l’évolution de la scène politique tchèque de ces dix à quinze dernières années.
Une transformation du système marquée par la perte de terrain des partis traditionnels, et notamment de gauche (pas plus les sociaux-démocrates que les communistes ne sont représentés à la Chambre des députés), au profit de groupements et mouvements créés de toutes pièces par des hommes d’affaires influents ; des leaders forts qui prétendent représenter le peuple, et dont l’absence de programme clairement défini ne les empêche pas d’obtenir des résultats aux élections suffisamment bons pour accéder, sinon au gouvernement, du moins au Parlement.
Dans un entretien qu’il avait accordé à Radio Prague International en 2017, peu avant donc ce qui reste jusqu’à présent son plus grand succès politique, le politologue Jacques Rupnik avait parlé de « populisme entrepreneurial » pour définir ce phénomène Babiš :
Le populisme entrepreneurial, c’est l’idée d’un entrepreneur qui a réussi dans les affaires et qui, en quelque sorte, veut prolonger son succès ou transformer l’essai en entrant dans le jeu politique. Et donc, d’une certaine façon, il achète son ticket d’entrée sur la scène politique et il le fait en brisant la structure partisane existante. Généralement il a un grand thème : la lutte contre la corruption mais aussi l’efficacité. ‘Le Parlement, c’est du bavardage’, ‘Les institutions sont beaucoup trop lentes.’ ‘Moi, je sais faire, je sais prendre les décisions’ et, c’est une citation d’Andrej Babiš, ‘On doit gérer l’État comme on gère une entreprise’, c’est-à-dire efficacité et chaîne de commandement claire. Ça, c’est le message populiste et cette idée de l’efficacité est quelque chose qui a un certain écho. »
Un certain écho qui risque toutefois de s’avérer insuffisant en janvier. En instance de jugement pour son implication présumée dans une fraude aux subventions européennes, Andrej Babiš semble aujourd’hui trop diviser les Tchèques pour pouvoir prétendre au soutien d’une majorité d’électeurs. Pour autant, il n’en démord pas :
« Si je bénéficie de suffisamment de soutien et suis élu président de la République tchèque, j’appellerai le gouvernement et tous les politiciens à faire en sorte que l’intérêt des citoyens tchèques devienne leur priorité et de les aider encore plus. »
De son côté, Petr Fiala, qui a succédé à Andrej Babiš à la tête du gouvernement, a réagi à l’annonce de ce dernier sur son compte Twitter, dimanche, en affirmant que « la République tchèque ne [méritait] pas cela ». Toujours selon lui, alors que « dans les pays démocratiques, un politicien inculpé s’en va, Andrej Babiš recherche [lui] l’immunité au Château (de Prague) ». Et même si celui-ci s’en défend, cette affaire, avec un procès ouvert en septembre et qui se poursuivra en décembre, pourrait bien être la casserole de trop qu’il aura à traîner.