Aleš Kauer, un éditeur épris de liberté
Publier un livre est un processus compliqué. Les auteurs le confient en général aux maisons d’édition qui disposent de tout l’appareil technique et administratif nécessaire. L’auteur et éditeur Aleš Kauer fait exception à cette règle car il réalise et surveille tout le processus de la naissance d’un livre du début à la fin. C’est ainsi qu’il conserve la valeur qui lui est la plus chère – son indépendance.
Un éditeur qui ne peut compter que sur soi-même
Aleš Kauer (1974) possède une petite maison d’édition dans la ville de Jihlava située à peu près à mi-chemin entre les deux plus grandes villes tchèques Prague et Brno. Il publie surtout de la poésie, donc un genre minoritaire et peu lucratif et il ne reçoit pas de subventions. Il ne peut donc compter que sur lui-même et sur un cercle d’amis et de sympathisants :
« Comme je suis complètement indépendant, et que j’ai toujours tenu à conserver cette indépendance, je suis obligé de faire pratiquement tout moi-même. Depuis le choix des auteurs, en passant par la présentation graphique, jusqu’au choix du papier, tout cela ne dépend que de moi. A vrai dire, ce n’était pas comme ça tout au début. Pendant les cinq premières années de mes activités, je me suis cherché. Pour publier des livres, j’ai essayé de collaborer avec des bibliothèques publiques. En ce temps-là je vivais encore dans la ville de Šumperk. Et c’est à cette époque-là que j’ai compris que dépendre de quelqu’un était bien compliqué. »
Adolescent, une maison d’édition pas comme les autres
Bien que la maison d’édition d’Aleš Kauer travaille sans subventions et sans le soutien de grands réseaux de distribution, elle a déjà publié une quarantaine de titres. Elle s’appelle Adolescent – L’Adolescent. Aleš Kauer explique pourquoi il a choisi ce nom :
« C’est un mot qui exprime au fond la recherche. Pendant l’adolescence, les gens se cherchent et cela demande un certain courage de leur part. Si vous dirigez une si petite maison d’édition, si vous la financez à partir de vos propres ressources, et si, de surcroît, vous publiez de la poésie, c’est un peu fou. »
Aleš Kauer, un autodidacte qui sait tout faire
Il n’est pas donné à tout le monde de réussir une telle entreprise. C’est un projet exceptionnel qui exige aussi des qualités exceptionnelles, multiples et éclectiques. Aleš Kauer est donc obligé d’exercer pratiquement tous les métiers de l’édition. Poète, il est non seulement auteur d’une partie de la production de sa maison, mais il est également éditeur, lecteur, graphiste, illustrateur et même relieur et distributeur des livres qu’il publie. Et il y ajoute encore son talent pour la musique. Le livre devient pour cet homme-orchestre un média idéal, une espèce de Gesamtkunstwerk, c’est-à-dire une œuvre d’art total qui réunit tous les arts. Pourtant, il avoue :
« Je suis autodidacte dans toutes ces disciplines. Il y a une vingtaine d’années je montais des expositions avec quelques amis mais avec le temps cela a perdu son intérêt pour moi. La dimension de cette activité me semblait bien limitée. Et j’ai découvert petit à petit dans les livres cette dimension qui me manquait. Le livre est une œuvre accomplie qui réunit le contenu littéraire, les aspects d’une œuvre d’art, et à l’époque actuelle il peut être accompagné aussi de diverses bandes-son. C’est ce que j’ai fait par exemple en écrivant mon livre de poésies intitulé Happy-end pour lequel j’ai écrit aussi de la musique, une musique qui a inspiré aussi ma poésie. »
Un hommage rendu à Mirek Kovářík, ami de jeunes poètes
Il va de soi que le tirage des livres publiés de cette façon est relativement modeste. Il s’agit souvent d’ouvres de jeunes poètes qui ne sont pas encore connus et qui cherchent à se faire entendre par un public complice et sans idées préconçues. Dans le catalogue de la maison Adolescent on trouve cependant aussi un livre de correspondance entre le poète Mirek Kovářík (1934-2020) et la poétesse Svatava Antošová (1957). C’est un hommage rendu à Mirek Kovářík qui était un grand propagateur de la jeune poésie et qui a sacrifié une grande partie de sa vie à découvrir de nouveaux talents. Pendant de longues années, il a animé à la radio publique tchèque une émission intitulée Zelené peří – Le plumage vert dans laquelle il donnait l’occasion aux poètes et poétesses en herbe de sortir de l’anonymat et de réciter leurs vers. Plusieurs générations d’adeptes de la littérature lui sont donc redevables et nombreux de ces débutants se sont imposés depuis sur la scène littéraire. Parmi eux il y avait aussi Aleš Kauer :
« Je ne sais pas si nous publierons encore des lettres de quelqu’un d’autre mais la correspondance de Mirek Kovářík est exceptionnelle car il était intimement lié avec la poésie et aussi avec nous. Malgré la différence d’âge, il a toujours trouvé le moyen de se joindre à nous, et il a très bien su s’intégrer dans notre collectif. Et surtout il nous a tous aidés. Il y a quinze ans il m’a invité pour la première fois dans son émission de la jeune poésie Le plumage vert et il m’a réinvité encore à plusieurs reprises. Nous avons participé à des lectures publiques de poésie qu’il organisait. Il me recevait aussi chez lui et nous parlions des choses les plus diverses. C’était un excellent homme. »
Vivre et créer d’une façon communautaire
Avec le temps un cercle d’amis et de proches s’est formé autour de la maison Adolescent. Il s’agit en partie de membres de la communauté queer qui sont particulièrement sensibles à la production de la maison. C’est grâce à la complicité de ses soutiens que la maison peut subsister. Ils se transmettent des informations sur les titres récemment parus, ils achètent et lisent ces livres introuvables dans les librairies et ils font aussi tout naturellement la publicité de la maison Adolescent parmi leurs amis et leurs connaissances. Et bien sûr, ils participent volontiers à des manifestations littéraires que l’éditeur Aleš Kauer organise avec ses proches collaborateurs :
« Avec le poète Jan Spěváček nous organisons un festival que nous avons appelé Kvílení – Lamentations. Les différentes manifestations du festival sont présentées dans le parc Gustav Mahler au centre de la ville de Jihlava. Et tous les ans nous choisissons un patron du festival qui est, par exemple, un poète dont nous célébrons un anniversaire ou qui a tout simplement suscité notre intérêt. Nous y invitons les gens qui entretiennent des contacts avec la maison Adolescent, nous y vendons des livres, etc. Nous essayons donc toujours de vivre et de créer ensemble de cette façon communautaire. »