PETROF : des pianos qui jouent fortissimo depuis un siècle et demi
C’est en 1864 en Tchéquie qu’Antonín Petrof transforme l’atelier d’ébénisterie de son père en manufacture de pianos. Depuis, cinq générations de facteurs de pianos se sont succédées à sa direction, et la maison PETROF est devenue la référence européenne en la matière. C’est que ses élégants pianos à queue et droits se distinguent par la qualité de leur timbre doux, rond et romantique.
En 2018, à l’occasion du centième anniversaire de la fondation de la Première République tchécoslovaque, l’entreprise PETROF a présenté un instrument fabriqué spécialement pour célébrer ce double jubilé. Nommé Republika, ce piano droit de modèle 125 – le plus vendu par la marque – est orné du drapeau et des armoiries tchécoslovaques ainsi que des contours du territoire de la Tchécoslovaquie de l’entre-deux guerres. Il a été fabriqué avec du bois provenant de trois régions qui se trouvaient alors en territoire tchécoslovaque : de l’érable de Slovaquie, du noyer de l’ouest de l’Ukraine et de l’épicéa du massif des Beskides – la seule de ces trois régions à se trouver aujourd’hui en Tchéquie.
Si en 2018, PETROF a eu envie de célébrer le centenaire de la Première République tchécoslovaque, c’est peut-être aussi parce que cela a été une période d’essor dans l’histoire de l’entreprise. « A cette époque, ne pas avoir de piano à la maison, c’était comme ne pas exister », avait alors expliqué la présidente de PETROF, Zuzana Ceralová Petrofová.
Lors de la naissance de la Tchécoslovaquie indépendante, la manufacture de pianos était déjà arrivée à maturité. En effet, c’est 54 ans plus tôt, en 1864, qu’Antonín Petrof fabrique son premier piano à Hradec Králové. L’année suivante, il transforme l’atelier d’ébénisterie de son père, situé juste derrière la cathédrale du Saint-Esprit dans le centre de cette ville au nord-est de la Bohême : la manufacture de pianos PETROF est née.
De Hradec Králové au monde entier
Malgré une interruption de la production en 1866 à cause de la bataille austro-prussienne de Sadowa qui se déroule à un jet de baïonnette de l’atelier, la production va rapidement crescendo : dès 1880, le facteur de pianos ouvre une filiale à Timișoara, sur le territoire de l’actuelle Roumanie.
En 1895, l’entreprise à l’origine orientée sur le marché local s’ouvre à l’exportation. Un succès tel qu’en 1899, PETROF devient fournisseur exclusif de la Cour impériale de Vienne.
Dès les années 1920, Petrof exporte jusqu’au Japon, en Australie et en Amérique du Sud. A Londres, les héritiers d’Antonín Petrof s’associent avec Steinway pour ouvrir une nouvelle filiale. Couronnement du succès en 1934 à Bruxelles : une médaille d’or glanée à l’exposition universelle.
Comme celle de toutes les grandes entreprises familiales tchèques, la saga Petrof est dictée dès 1948 par le régime communiste. Sa nationalisation n’empêchera néanmoins pas certains de ses produits – dont les pianos à queue – de remporter d’autres prix internationaux.
En 1954, un département de recherches sur les pianos droits et à queue est ouvert à l’usine PETROF. Toujours en activité aujourd’hui, il s’intéresse non seulement à l’acoustique musicale des pianos, mais aussi aux vibrations, à l’analyse des signaux acoustiques et à la mesure des propriétés du bois et du métal, entre autres.
Après la révolution de Velours, la restitution est difficile à obtenir pour les héritiers Petrof, qui doivent d’abord beaucoup s’endetter pour racheter les parts du capital de la nouvelle société, puis tenter de se faire une place sur un marché en pleine transition et secoué par plusieurs crises.
Recherche et développement
En 1994, à des fins de mesure acoustique, PETROF se dote de la chambre insonorisée la plus grande à l’époque en République tchèque. En 2004, l’entreprise passe dans les mains de la cinquième génération de Petrof, Zuzana Ceralová Petrofová étant actuellement toujours à sa tête.
Particulièrement touchée par la crise financière des années 2000, la société PETROF avait été obligée de licencier environ la moitié de ses employés en 2009, et s’était mise à produire du mobilier de cuisine de luxe pour survivre à cette crise… Elle a néanmoins réussi à remonter la pente et réalisé, en 2018, un profit de 12,5 millions de couronnes (plus de 513 000 euros), soit une augmentation de 50 %.
PETROF au Sénégal
Quelque 90 % du chiffre d’affaires de la société Petrof provient de ventes à l’étranger. Petrof vend aujourd’hui ses pianos dans 65 pays partout dans le monde, les principaux marchés étant la Chine, la Russie, le Japon mais aussi l’Allemagne, la France et la Grande-Bretagne. Depuis quelques années, la marque est également représentée en Afrique, au Sénégal, où la pianiste et musicologue slovaque Livia Laifrová Gaye a ouvert en 2016 la Dakar Music School avec l’objectif d’offrir aux Sénégalais désireux de faire carrière dans la musique une formation sur place, au lieu de devoir sortir du pays. Un projet réalisé en collaboration avec l’entreprise PETROF, qui fournit les pianos sur lesquels s’exercent les élèves de l’école de musique. Des pianos que la fondatrice de l’école a elle-même commencé à toucher lorsqu’elle avait 5 ans et qui, comme elle a expliqué au micro de RPI, conviennent au climat sénégalais aussi :
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« Les pianos PETROF, par leur facture, sont bien préparés pour tous les climats du monde. La société PETROF exporte en effet ses pianos dans une soixantaine de pays dans le monde. J’ai la chance de travailler avec deux accordeurs sénégalais basés à Dakar qui vont bien s’occuper des pianos. Le climat est agréable toute l’année. C’est vrai qu’il y a une période des pluies mais les pianos sont bien préparés par leur facture traditionnelle et de bonne qualité. »
Fleuron de la facture de pianos
L’entreprise PETROF est actuellement le premier fabricant de pianos en Europe. La manufacture d’un piano y prend cinq à neuf mois. C’est que 80 % du travail est réalisé à la main, et qu’il faut les efforts conjoints non seulement des facteurs de pianos, mais aussi des harmonisateurs et des accordeurs pour obtenir ces instruments de renommée mondiale, qui se distinguent par leur timbre particulièrement doux, rond et romantique, mais aussi par l’élégance de leurs lignes. L’entreprise accorde une attention particulière à la sélection du bois ; de plus, elle fabrique elle-même 70 % des pièces et composants utilisés. En 2007, elle a obtenu la certification European Excellence, synonyme d’origine européenne et de qualité des matériaux utilisés.
Klavír, piano ou pianino ?
Petite parenthèse terminologique, car attention aux confusions ! En tchèque, bien qu’il existe le terme technique « klavír » pour désigner toute forme d’instrument de musique polyphonique à clavier et à cordes frappées, dans le langage courant, c’est en général le terme « piáno » ou – comme en français – « piano » qui est utilisé. Et ce, qu’il s’agisse d’un piano à queue (à cordes verticales) – « křídlo » en tchèque, à savoir littéralement « aile » – ou d’un piano droit (à cordes horizontales) – le terme correct (mais quasiment inusité) pour désigner ce dernier étant « pianino ».
Quoi qu’il en soit, l’entreprise PETROF fabrique les deux et décline sa production en trois gammes : les pianos à queue haut de gamme ANT PETROF, le cœur de gamme avec une grande variété de pianos droits (P118, P122, P125, P131 et P135) et pianos à queue (P159, P173, P194, etc.) 100 % européens, et enfin plusieurs sous-marques, telles que Weinbach, Akord, Fibich, Scholze ou encore Rösler, de fabrication asiatique. Ou plutôt de pré-fabrication asiatique : la manufacture PETROF située à Jiříkov, au nord de la Bohême, assemble des pianos de marque Weinbach préfabriqués en Chine.
Musique, politique et diplomatie
Co-fabricant de ces pianos, la Chine est aussi le principal client de PETROF : ces dernières années, 35 % de la clientèle était chinoise. Ce qui peut s’avérer compliqué lorsque la géopolitique entre dans la danse : en 2020, une grosse commande d’un client chinois avait été annulée, les médias tchèques y voyant des représailles à la récente visite du président du Sénat tchèque Miloš Vystrčil à Taïwan. A l’époque, la présidente de la société PETROF Zuzana Ceralová Petrofová avait estimé que c’était la menace d’une sanction financière par les autorités chinoises qui aurait poussé son client à annuler sa commande de onze pianos pour un montant total d’environ 200 000 euros. Finalement, la fondation du milliardaire tchèque Karel Komárek avait racheté les pianos pour les distribuer dans des écoles. Et il avait fallu quelques mois pour que les relations commerciales de PETROF avec la Chine soient rétablies…
S’il ne joue pas uniquement sur des pianos de facture PETROF, le pianiste et compositeur français aux origines australiennes, canadiennes et tchèques Thomas Zaruba explique comment il est devenu ambassadeur de la marque :
« C’est une histoire géniale ! Au moment de ma reconversion professionnelle [du marketing à la musique], j’ai été invité à l’émission télévisée française Mille et une vies. Le distributeur des pianos PETROF en Alsace a vu l’émission et m’a contacté en me disant : ‘Je vends des pianos de marque tchèque et j’ai cru comprendre que vous aviez des origines tchèques ; il faut que l’on discute.’ C’est allé très vite : trois semaines plus tard, j’étais à l’usine PETROF de Hradec Králové avec madame Petrofová, sa fille et son gendre Adam Brousek, qui est directeur marketing. Ils m’ont fait visiter l’usine, raconté l’histoire de PETROF et demandé si je leur ferais l’honneur de devenir membre de la famille d’artistes PETROF, qui compte quinze personnes dans le monde, et ambassadeur de la société pour la France. J’ai tout de suite accepté ! Néanmoins, dès le début, nous avons convenu qu’il ne s’agirait pas d’une exclusivité. Je ne suis donc pas interdit de jouer sur une marque allemande, autrichienne, française ou autre ; néanmoins, je fais tout mon possible pour faire rayonner la marque avec eux. Dès qu’il y a des événements – en Asie, notamment, car nombre des pianos PETROF y sont vendus –, j’y suis présent. »
PETROF Museum & Gallery
En plus de 150 ans d’existence, PETROF a fabriqué plus de 630 000 instruments de musique. Depuis une dizaine d’années, à quelques pas de la manufacture de Hradec Králové, un musée présente la marque et son histoire aux curieux, tandis que le complexe culturel et commercial PETROF Gallery ouvert en 2017 contient un salon de vente ainsi qu’une salle polyvalente pouvant accueillir 500 personnes pour des concerts, conférences et autres événements. Des musiciens tchèques tels que Chinaski, Kateřina Marie Tichá ou encore Michal Hrůza sont régulièrement invités pour des sessions acoustiques qu’elle présente sur YouTube et dont vous avez pu entendre quelques morceaux choisis dans ce reportage… Et l’établissement comporte également un café, où les clients qui auraient des fourmis dans les doigts peuvent s’installer sur le tabouret pour jouer piano – ou fortissimo.
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