« Sans quitter la Tchécoslovaquie, nous nous sommes retrouvés à vivre à l’étranger »
L’avant-dernier épisode de notre mini-série consacrée au 30e anniversaire de la partition de la Tchécoslovaquie nous emmène aujourd’hui dans la ville thermale slovaque de Piešťany, située à 80 km au nord de Bratislava. Comment y vivent aujourd’hui les couples mixtes tchéco-slovaques ? Nous écouterons aussi un témoignage d’un couple slovaque installé depuis plusieurs années à Prague.
« Avec ma femme tchèque, nous nous sommes rencontrés dans le train qui allait de Prague à Piešťany. Ma femme est descendue à Brno, où elle habitait. J’ai demandé son adresse et je lui ai écrit une carte postale, puis une lettre, puis je lui ai rendu visite à Brno. Je connaissais cette ville morave, car j’allais régulièrement aux foires de construction mécanique qui s’y tenaient régulièrement. »
Karla, l’épouse de Jaroslav, a suivi son mari et a déménagé à Piešťany :
« Nous nous sommes mariés en 1960, cela fait donc 62 ans que nous vivons ensemble ! Nous avons 4 enfants, 11 petits-enfants et plusieurs arrière-petits-enfants… Je ne sais même plus combien exactement, 7 je crois ! Attendez, il faut que le les compte… »
Karla ne voyage que rarement en Tchéquie, où elle n’a désormais qu’une sœur. Elle nous raconte, dans un mélange de tchèque et de slovaque :
« Je me sens vraiment chez moi à Piešťany. J’ai beaucoup d’amis ici. J’aime la langue slovaque, elle m’a toujours plu, mais en fait, je n’ai jamais appris à la maîtriser, même si je vis en Slovaquie depuis plus de soixante ans. »
« Je n’étais pas d’accord avec la séparation de nos deux pays. Nous avons toujours pensé qu’ils étaient comme frère et sœur, qu’il nous convenait d’être ensemble… Personnellement, je n’ai eu aucun problème après la partition de la Tchécoslovaquie. Mais j’ai mis longtemps à m’habituer aux monnaies différentes. Aujourd’hui encore, je convertis les euros en couronnes. »
Nous avons pleuré le jour de la séparation
Une autre Tchèque, Olga, vit à Piešťany avec son mari slovaque depuis la fin des années 1960. Elle dirige une association tchèque, fondée dans la ville d’eau slovaque suite à la partition de la Tchécoslovaquie :
« A l’origine, il y a eu l’idée que nous, les Tchèques de Slovaquie, nous n’avons jamais quitté notre pays et pourtant, nous nous sommes retrouvés à vivre à l’étranger. En 1994 a donc été fondée à Bratislava l’Association tchèque en Slovaquie. Ensuite, des branches de l’association ont été créées dans d’autres villes un peu partout en Slovaquie. Nous nous réunissons chaque premier jeudi du mois et nous avons un programme pour toute l’année, culturel, historique et touristique qui comprend par exemple aussi des excursions en Tchéquie. »
« Avec mon mari, nous avons pleuré le jour de la séparation de la Tchéquie et de la Slovaquie. C’était très, très dur, pour nous deux. Je vais à Prague une fois par mois et ce qui me dérange vraiment, c’est de devoir changer de l’argent. Depuis trente ans, on n’a pas la même monnaie… Avant, c’était la couronne slovaque et la couronne tchèque, maintenant c’est l’euro et la couronne tchèque qui s’est renforcée en plus récemment… J’ai l’impression de perdre de l’argent tout le temps ! »
Pour Helena et Roman, deux quadragénaires slovaques qui vivent depuis 2005 dans la région pragoise, la partition de la Tchécoslovaquie est presque tombée aux oubliettes.
H. : « Je ne m’en souviens pas trop… Je sais que mes parents et grands-parents avaient des opinions tranchées sur la question. Ma grand-mère par exemple n’aimait pas trop les Tchèques, alors elle était d’accord, les autres non. »
R. : « Nous étions trop jeunes à l’époque… Mais je me souviens surtout de cette opinion prédominante qu’il aurait fallu organiser un référendum sur le sujet plutôt que de laisser agir les Premiers ministres de l’époque, Klaus et Mečiar. »
Vous venez d’Ukraine ?
Helena et Roman se sont connus en tant qu’étudiants de l’Université technique de Bratislava. Une fois diplômés en informatique et en design industriel, ils se sont mariés et ont décidé d’aller vivre en République tchèque :
H. : « A l’époque, les salaires étaient plus bas et l’immobilier plus cher à Bratislava, donc il nous a paru plus pratique d’aller vivre à Prague, où nous avons vite trouvé du travail et un logement. Nous aimerions avoir la double nationalité, mais pour l’instant, c’est compliqué : la Slovaquie ne le permet pas. Et demander la nationalité tchèque signifierait perdre la nationalité slovaque. Nous avons trois enfants. Notre fils aîné, nous l’avons adopté en Tchéquie, donc lui, il a la double nationalité. L’adoption n’était pas compliquée, sauf qu’à la fin du processus, les juges ont un peu hésité, ils ne savaient pas si nous, les Slovaques, on pouvait adopter un enfant en Tchéquie sous les mêmes conditions que les Tchèques, mais finalement, ils ont accepté. »
Curieusement, ce qui a probablement posé le plus de problèmes à Helena et Roman, c’était la pratique du tchèque, cette langue pourtant très proche au slovaque :
H. : « Nous étions habitués à lire en tchèque, car de nombreux livres n’étaient même pas disponibles en slovaque. Pareil pour les films : le doublage tchèque était toujours de meilleure qualité. Mais commencer à utiliser la langue dans la vie quotidienne, c’est autre chose… Au début, cela nous mettait dans l’embarras. A l’école où je travaille comme assistante, les enfants me demandent parfois : ‘Vous venez d’où, d’Ukraine ?’ »
R. : « Il est intéressant que nos enfants parlent slovaque avec nous, mais quand ils jouent ensemble, ils parlent tchèque entre eux. Faire des devoirs en tchèque avec eux, c’est un défi pour nous ! »
Selon les récents sondages, la partition de la Tchécoslovaquie, effective le 1er janvier 1993, était « une bonne chose » pour quelque 46% des Slovaques, notamment pour ceux âgés entre 18 et 33 ans, et pour environ le même pourcentage de Tchèques. Toutefois, 86% des Slovaques et 76% des Tchèques estiment que les deux peuples auraient dû décider de leur cohabitation dans le cadre d’un référendum.
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