Fumer en tchèque et en slovaque
Ca y est ! A compter du 1er janvier prochain, la République tchèque ne comptera très probablement plus parmi les derniers pays européens où fumer dans les bars, restaurants et autres lieux publics n’était pas encore interdit. Certes, le projet de loi va encore faire l’objet de longs débats et obstructions au Parlement, mais son approbation, mercredi, par le gouvernement laisse à penser que c’est désormais sans cigarette – cigareta, que les Tchèques devront apprécier leur bière dans les « hospody » - brasseries, et autres « kavárny » - cafés. Pour nous, cette information est l’occasion de nous intéresser au mot « kouření », un substantif qui désigne l’action de fumer et dont l’équivalent en français est le verbe « fumer ».
Soixante-quinze ans plus tard, le tableau n’a guère changé. Certes, on trouve aujourd’hui partout en République tchèque des bars et cafés où fumer n’est déjà plus autorisé, mais dans les brasseries traditionnelles – les fameuses « hospody » (cf. l’émission sur le sujet du 12/04/2008 : http://www.radio.cz/fr/rubrique/tcheque/lhospoda-un-mot-et-une-facon-de-vivre-typiquement-tcheques), c’est comme si le temps s’était arrêté : bière et tabac font toujours aussi bon ménage et restent indissociables.
Même si l’idée a fait son chemin depuis un certain temps et qu’une très grande majorité de Tchèques y sont favorables, admettons que, comme pour les pubs irlandais et britanniques il y a quelques années de cela, même les non-fumeurs ont du mal (un peu, hein, rien d’insurmontable) à imaginer les brasseries, symbole de leur identité culturelle au même titre que les « kavárny », sans fumée.A titre de comparaison, en Slovaquie, il est interdit, depuis 2009, de fumer dans les restaurants, mais pas dans les bars et cafés. Mais si nous nous intéressons aux voisins, c’est bien plus pour faire un parallèle linguistique que législatif. Vous le savez, le tchèque et le slovaque sont deux langues slaves très ressemblantes. Néanmoins, il existe parfois quelques nuances plus marquantes que d’autres, et c’est précisément le cas pour ce qui est de « fumer ». Ce qui se dit « kouřit » en tchèque devient « fajčiť » en slovaque, un fumeur tchèque – « kuřák », étant alors un « fajčiar » en slovaque. Et alors, nous direz-vous ? Qu’y a-t-il de si particulier à ce que deux langues possèdent deux mots différents pour désigner une même chose ?
Ce verbe slovaque « fajčiť » et ses différents dérivés sont formés à partir de la racine du nom « fajka », qui désigne une pipe. En effet, nous ne vous apprenons rien, avant l’apparition de la cigarette en Europe dans la première moitié du XIXe siècle, on fumait essentiellement à la pipe, un objet que l’on désigne sous le nom de « dýmka » en tchèque. Néanmoins, le tchèque aussi possède le mot « fajfka » sans que celui-ci cependant n’appartienne à la langue littéraire – spisovná čeština. Et les Tchèques peuvent également « fajčit » lorsqu’ils fument, et pas uniquement une « fajfka » ou une « dýmka », mais aussi donc une « cigareta ». Notons ici aussi l’existence de l’expression « nestojí to ani za fajfku tabáku » - littéralement « ça ne vaut même pas une pipe de tabac », que l’on trouve également en slovaque « nestojí to ani za fajfku močky », et dont l’équivalent en français serait « ça ne vaut pas un pet de lapin », c’est-à-dire que cela n’a aucune valeur, tout comme d’ailleurs le pet de n'importe quel autre animal ou même de l’homme qui, même lorsqu’il fume la pipe avec élégance, reste un animal.Enfin, pour être tout à fait complet sur les nuances qui existent entre une pipe tchèque - « dýmka », et une pipe slovaque - « fajfka », précisons encore que si « fajfka » en tchèque n’appartient donc pas à la langue littéraire ou au langage soutenu sans pour autant être rangé dans la catégorie de l’argot, en revanche, en slovaque, « dymka » est plus ressenti comme étant vieilli, désuet et même littéraire. Comme quoi, parfois, le tchèque et le slovaque, même lorsqu’ils ne se ressemblent pas de prime abord, se ressemblent quand même bien finalement…
Concernant les autres produits du tabac, les analogies lexicales sont très nombreuses entre le tchèque et le slovaque, seules quelques variantes morphologiques et dans la formation des mots sans grande importance et découlant des règles de fonctionnement et du caractère de chaque langue pouvant être relevées. C’est là un constat très compréhensible dans la mesure où la majorité de ces mots désignant ces produits du tabac proviennent de l’espagnol, et même de l’amérindien. On pense ici bien entendu d’abord au mot « cigare », qui était « cigarro » à l’origine. Attention toutefois, un cigare en tchèque se dit « doutník », alors qu’il reste bien « cigara » en slovaque. Et si un Tchèque vous invite à fumer ou vous demande dans la rue si vous n’avez pas une une « cígo », il ne s’agit pas d’un cigare mais d’une cigarette, le mot « cígo »étant un diminutif appartenant au langage familier et populaire.Mais que ce soit en tchèque ou en slovaque, n’oubliez pas : même en dehors des bars et restaurants, « kouření škodí zdraví » - « fumer nuit à la santé ». On se retrouve dans quinze jours pour d’autres excellents conseils de ce type. D’ici-là, portez-vous du mieux possible - mějte se co nejlíp !, même ceux qui fument, portez le soleil en vous - slunce v duši, et que ceux qui apprécient les brasseries tchèques enfumées en profitent tant que cela est encore possible. Salut et à bientôt - zatím ahoj !