Libéré du poids du Nid de cigogne, Andrej Babiš a été reçu à Paris par son « ami » Emmanuel Macron
Si le jugement a surpris jusqu’à son avocat, l’acquittement d’Andrej Babiš par le Tribunal municipal de Prague, lundi, a néanmoins été accueilli plutôt positivement par les experts en droit et beaucoup de ceux qui suivent le développement de l’affaire dite du Nid de cigogne depuis le début. Alors qu’Andrej Babiš, déjà loin de toutes ces préoccupations, était reçu par Emmanuel Macron à Paris mardi, la majorité estiment qu’il s’agit même d’une bonne nouvelle pour l’État de droit en République tchèque.
À quelques jours du premier tour de l’élection présidentielle, et même lorsqu’il brille par son absence comme dimanche soir lors du grand débat de la Télévision tchèque, auquel ont participé tous les autres candidats sauf lui, Andrej Babiš a l’art d’occuper mieux que quiconque le devant de la scène médiatique.
Vingt-quatre heures après avoir donc été acquitté dans une affaire où il était accusé de fraude aux fonds européens, c’est même le cœur léger, débarrassé de ce Nid de cigogne qu’il traînait comme un boulet depuis près de huit ans, que l’ancien Premier ministre s’est envolé pour Paris. Après avoir partagé un petit-déjeuner avec Bernard Arnault, un milliardaire à la fortune encore plus grande que la sienne, il y a été reçu par Emmanuel Macron.
Une rencontre « entre quatre yeux » avec « (son) ami » le président français d’une quarantaine de minutes, avec photo à l'appui sur son compte Twitter, au cours de laquelle Andrej Babiš s’est « intéressé à son opinion sur la fin de la guerre en Ukraine et, bien sûr, sur les solutions à la crise énergétique en Europe ».
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Son mouvement populiste ANO et le parti Renaissance d’Emmanuel Macron ont beau faire partie du même groupe centriste Renew Europe au Parlement européen, l’annonce surprise, lundi après-midi, de sa réception à l’Élysée a laissé presque pantoise la presse tchèque. Et ce, d’autant plus qu’Andrej Babiš fait toujours l’objet en France d’une enquête du Parquet national financier pour blanchiment de fraude fiscale suite à l’acquisition de différentes villas de luxe.
En République tchèque non plus, cependant, celui qui est un des trois favoris de l’élection présidentielle n’est pas encore tout à fait sorti d’affaire. Même si le Tribunal municipal de Prague a tranché en sa faveur, le procureur, qui avait requis trois ans de prison avec sursis contre lui, peut encore faire appel.
En attenant de voir ce qu’il en sera après ce jugement rendu en première instance, l’avocat Tomáš Sokol, ancien ministre de l’Intérieur, a expliqué pourquoi il s’attendait plutôt à ce qu’Andrej Babiš ne soit pas reconnu coupable :
« J’avoue que je ne suis pas spécialement surpris. Bien sûr, je ne connais pas tous les détails de cette affaire, mais il me semblait que la prudence devait être de mise. En voyant la description du fait reproché, je m’étais dit qu’il ne s’agissait pas nécessairement d’un délit. L’affaire jugée n’est pas courante, on ne parle pas là d’une procédure de divorce, et cela signifie que tout était possible. Il est clair que d’un point de vue juridique, il n’y avait pas de preuves suffisamment tangibles pour prétendre que c’est une affaire incontestable. »
Interrogé par la Radio tchèque, Jan Vučka, expert en criminalité économique et ancien procureur, a, lui, déclaré qu’il avait été agréablement surpris par l’argumentation du juge, par ailleurs félicité par le ministre de la Justice « pour son courage ». « Il était évident que s’il ne condamnait pas les accusés, il ferait l’objet de critiques médiatiques fondées sur les émotions », a expliqué Pavel Blažek, membre du parti conservateur ODS, principale formation d'une coalition gouvernementale qu’Andrej Babiš n’a pourtant de cesse de critiquer. Or, selon lui, il convient de respecter le principe de présomption d’innocence même lorsqu’il s’agit d’un homme politique.
Selon Jan Vučka, Jan Šott a expliqué en détail comment et pourquoi il était parvenu à la conclusion qu’Andrej Babiš ne voulait pas retirer artificiellement le Nid de cigogne de sa holding Agrofert et que les membres de famille étaient effectivement intéressés par l’exploitation du complexe:
« Je dois féliciter le juge Šott pour avoir vraiment procédé comme un juge en droit pénal est censé le faire. Il ne s'agit pas seulement de tenir compte de ce que dit l’accusé et de ce que disent les autres témoins. Le juge Šott a clairement expliqué que le témoignage des deux accusés à des endroits-clés était très peu véridique et même contraire à certaines preuves, mais que l’accusation n’avait pas présenté de preuves de culpabilité et que le tribunal pénal n’avait donc pas d’autre possibilité que de déclarer honnêtement : ‘non prouvé, il est acquitté’. »
Journaliste d’investigation à l’hebdomadaire libéral Respekt, Jaroslav Spurný suit lui aussi cette affaire de très près depuis le début. Et à ses yeux également, le jugement rendu par le juge Jan Šott apparaît plutôt juste et démontre finalement l'indépendance de la justice tchèque :
« Cette affaire est si compliquée que je n’ai pas trouvé l’argumentation de l’accusation très convaincante. Il aurait fallu des preuves concrètes. Le procureur a trop souvent utilisé des formules comme ‘je pense que’, et un procureur ne peut pas se permettre de procéder de la sorte... »
Bien donc qu’il n’ait pas dit la vérité, Andrej Babiš, qui se plaignait d'être la victime d'un procès politique, a obtenu gain de cause et peut donc se consacrer l’esprit libre aux derniers jours de la campagne présidentielle. Reste à savoir dans quelle mesure ce jugement influencera le choix des électeurs tchèques...