Pandora Papers : l’ancien Premier ministre tchèque Andrej Babiš dans le viseur de la justice française
Le quotidien français Le Monde révélait ce vendredi que le Parquet national financier avait ouvert en France une enquête préliminaire pour des faits de blanchiment de fraude fiscale concernant les conditions d’acquisition de villas par l’ancien Premier ministre tchèque Andrej Babiš dans les Alpes-Maritimes, via une cascade de sociétés offshore. Radio Prague Int. revient sur cette nouvelle affaire judiciaire impliquant l’homme d’affaires tchèques actuellement en pleine campagne pré-électorale pour la présidentielle de 2023, alors même qu’il n’a pas déclaré sa candidature. Nous avons joint le journaliste Abdelhak El Idrissi qui suit de près ce dossier lié aux Pandora Papers pour Le Monde :
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« En octobre 2021, l’ICIJ dans le cadre des Pandora Papers, avec ses partenaires dont mon journal Le Monde, a révélé l’existence d’un montage qui impliquait des sociétés détenues par Andrej Babiš. On a découvert qu’il détenait des sociétés qui ont fait l’acquisition d’une villa et d’une autre maison sur un terrain de 30 000 m2 à Mougins dans les Alpes-Maritimes. Le prix d’achat était de 14 millions d’euros, c’était en 2009. L’acte de vente mentionne qu’il a été payé comptant par la société de Monaco détenue par Andrej Babiš. Ce qu’on a découvert dans le cadre des Pandora Papers, c’est qu’en réalité, l’argent, soit une somme de 15 millions d’euros, avait été préalablement prêté par une société qui est aux Iles vierges britanniques, à la société de Monaco. Ce qui est encore plus bizarre, c’est que la société qui a prêté l’argent est elle-même détenue par M. Babis. La question, c’est pourquoi M. Babiš, s’il avait cet argent dans une société des Iles vierges britanniques, n’a-t-il pas acheté directement la villa avec cette société-là et pourquoi être passé par un prêt entre des sociétés qu’il détient de toutes façons ? Tout ceci, sans aucune mention dans les documents français et dans l’acte de vente en France de l’existence et de l’implication d’une société aux Iles vierges britanniques qui, rappelons-le, est un paradis fiscal. »
Le PNF a ouvert une enquête préliminaire pour des faits de blanchiment d’argent en février 2022. Comment se fait-il qu’on ne l’apprenne qu’aujourd’hui ?
« C’est simple. Toutes les enquêtes judiciaires en France sont secrètes, et a fortiori les enquêtes du PNF qui sont encore plus sensibles et pour lesquelles la question du secret est encore plus importante. Il se trouve que j’ai mes sources qui m’ont informé de l’existence d’une enquête. J’ai naturellement appelé le PNF pour obtenir une confirmation très officielle, et il a confirmé mes informations à savoir qu’en effet il existait depuis février 2022 une enquête ouverte pour des soupçons de blanchiment de fraude fiscale en lien avec ce montage et l’achat de la villa et du terrain à Mougins par des sociétés d’Andrej Babiš. »
Une enquête confiée à l’Office central de lutte contre la corruption
En sait-on davantage sur cette enquête en cours ?
« On ne sait pas grand-chose de plus que l’enquête existe. On sait qu’elle a été ouverte en février 2022. L’autre information, c’est que l’enquête a été confiée à l’Office central de lutte contre la corruption et les infractions financières et fiscales. C’est le service de police en France chargé des enquêtes financières et fiscales les plus compliquées. C’est le même service qui enquête sur les Panama Papers et les Paradise Papers, celui qui est souvent chargé des enquêtes sensibles concernant des hommes politiques français. »
Quelle est la tâche actuelle des enquêteurs et dans quelle mesure peut-il y avoir une interaction avec leurs homologues tchèques ?
« Je n’ai absolument aucune information sur le contenu des investigations et la façon dont les policiers travaillent. On connaît plutôt les réponses que cherchent les enquêteurs : d’où proviennent les 15 millions d’euros que la société de M. Babiš dans les Iles vierges britanniques a prêtés pour financer l’achat d’une villa ? C’est une des questions les plus importantes pour savoir si des infractions ont été commises et pour essayer de répondre, les enquêteurs ont à leur disposition de nombreuses pistes : par exemple, les informations fiscales autour de la vente. Il y a ensuite l’aspect coopération internationale : je mentionnais des sociétés des sociétés à Monaco, aux Etats-Unis et aux Iles vierges britanniques ; cela implique potentiellement des demandes d’aide à l’étranger. La République tchèque peut-être aussi, mais je n’en sais rien. Vu la complexité qui s’annonce et le nombre de pays impliqués, si les enquêteurs estiment qu’il y a matière à poursuivre cette enquête-là, elle devrait prendre des mois voire des années. »
Des mois voire des années : n’y a-t-il pas un risque de prescription ?
« Il y a la question de la prescription qui n’est pas liée à la durée de l’enquête puisque la prescription s’arrête dès l’ouverture de l’enquête. Une fois que l’enquête est ouverte on regarde surtout la date de commission des faits. Le fait que l’achat de la villa date de septembre 2009 pose la question : est-ce que les faits sont prescrits ? Mais avant de se poser cette question, il faudra déjà découvrir si les faits sont avérés : y a-t-il une infraction ? Si oui, la seconde question sera : est-ce que les faits constitués sont prescrits ou non ? Ca s’annonce donc compliqué. Les enquêteurs pourraient aussi s’intéresser à d’autres actes en lien avec la gestion de la société aux Iles vierges britanniques et de la société à Monaco : on retrouve des actes enregistrés officiellement en lien avec la dissolution de la société de Monaco et du transfert des parts à Monika Babišová (l’épouse d’Andrej Babiš, ndlr) qui les a transférées le même jour à une holding connue de M. Babiš. Je parle d’actes qui datent de 2018. »
Ce n’est pas la seule affaire judiciaire impliquant Andrej Babiš qui, à ce jour, fait toujours l’objet de l’intérêt de la police tchèque dans le cadre de l’affaire dite du Nid de Cigognes. Vous avez essayé de contacter Andrej Babiš pour votre article. Quelle a été sa réaction ?
« Il n’y avait pas plus de questions aujourd’hui dans le cadre de la révélation de l’existence d’une enquête qu’en octobre lorsqu’on l’a questionné sur les 15 millions, la villa à Mougins, la société des Iles vierges britanniques. A l’époque la seule réponse qu’on avait eue, non de lui, mais de la porte-parole d’Agrofert, c’est que tout ce qui a été fait l’a été dans le respect des règles et de la législation. On l’a écrit. En France, comme dans toutes les enquêtes judiciaires, une personne est présumée innocente tant qu’un tribunal n’en a pas jugé autrement. Donc, aujourd’hui, même si une enquête est en cours, M. Babiš est toujours présumé innocent en France. »