Le « maturitní ples » : un bal-rite de passage pour les bacheliers tchèques
De novembre à mars, la « saison des bals » bat son plein en République tchèque. Outre les traditionnels bals des chasseurs (« myslivecký ples ») ou des sapeurs-pompiers (« hasičský ples »), ainsi que les bals organisés par les communes ou encore le très select bal de l’Opéra à Prague (« ples v opeře »), les « maturitní plesy » constituent un rituel de passage à l’âge adulte pour les bacheliers tchèques. Larme à l’œil et main au portefeuille, les parents s’y font symboliquement à l’idée que leur petit va bientôt quitter le nid familial. Pour les principaux concernés, c’est surtout une occasion de se mettre sur leur trente-et-un… et de faire la fête !
« Maturita » : un mot tchèque dont les francophones n’ont sans doute pas trop de mal à deviner la racine : « maturitas » en latin, « maturité » en français. En tchèque, par extension, « maturita » désigne l’examen de fin d’enseignement secondaire, équivalent donc du baccalauréat en France. Un diplôme qui vient symboliquement attester – ou non, d’ailleurs – de la maturité du candidat et, ainsi, de son passage à l’âge adulte.
Mais avant les épreuves de la « maturita », en juin, et avant la fête souvent largement alcoolisée qui en célèbre la fin, les élèves de dernière année des « gymnázium » (lycées généraux) et « střední školy » (lycées professionnels) tchèques ont droit à un autre rite de passage : le « maturitní ples » (ou « maturák »). Sans équivalent en France, mais comparable au « prom » nord-américain (« bal des finissant.es » au Canada francophone), les « bals de baccalauréat » tchèques sont généralement organisés en janvier ou en février par les lycéens de dernière année.
Passe ta maturita, après on verra
D’après le site vysokeskoly.cz, la tradition du bal de baccalauréat en terres tchèques remonte à la deuxième moitié du XXe siècle. A cette époque, les bals –qui étaient jusque-là le privilège de la noblesse, puis des sociétés des villes – ont commencé à être également organisés pour marquer la fin des études. Evénements festifs et toujours formels, ils étaient l’occasion pour les étudiants de faire montre de leur maturité à leurs professeurs, auxquels ils exprimaient par ailleurs leurs remerciements.
Près de deux siècles plus tard, les remerciements au professeur principal et à l’équipe pédagogique sont toujours un moment inéluctable du bal du baccalauréat tchèque. En général, c’est un élève désigné par les futurs bacheliers qui est chargé de faire le discours au nom de tous les élèves de dernière année. Puis des cadeaux sont offerts aux professeurs principaux des différentes classes, comme l’explique Nelly Froňková, professeur d’anglais au lycée Gymnázium Kladno, en Bohême centrale :
« Le professeur principal reçoit un gros bouquet de fleurs ainsi qu’un cadeau de valeur. C’est quelque chose qui s’est développé ces vingt dernières années, je dirais. Mes collègues se sont vu offrir plusieurs billets pour aller au théâtre à Prague, ou bien un bon pour un week-end bien-être, ou encore des entrées de musée… L’une des professeurs a même reçu un bon pour un saut en parachute ! Dans tous les cas, ce sont des gros cadeaux, pour lesquels les élèves de chaque classe doivent se cotiser. »
En piste !
Si les détails varient selon les lycées et les années, la soirée du bal de baccalauréat se déroule généralement selon un protocole prédéfini, fait d’un enchaînement de moments forts. La cérémonie commence tout d’abord par l’entrée des lycéens dans la salle du bal. Une entrée dûment disciplinée, préalablement répétée, avec parfois une mise en scène originale autour d’un thème donné. Pour la classe 6.6, promotion 2015, du lycée Jindřich Šimon Baar de Domažlice, il s’agissait par exemple des années 1920 et de Gatsby le Magnifique. Dans d’autres cas, pour leur mise en scène, les lycéens font le lien avec l’actualité, comme par exemple la classe de Nelly Froňková, qui se souvient de son propre bal de baccalauréat, en 2002 :
« Vu que notre bal avait lieu l’année des Jeux olympiques, pour notre entrée, nous nous sommes placés en forme d’anneaux olympiques enlacés. Et je me souviens très bien de la chanson sur laquelle nous avons fait notre entrée : c’était Bitter Sweet Symphony, de The Verve.
Par la suite, à chaque fois que j’entendais cette chanson, je repensais au bal… Et d’ailleurs, aujourd’hui encore, à chaque fois que j’entends cette chanson, cette soirée me revient en mémoire… Oui, c’était une soirée importante. Ça fait toujours revenir en moi la nervosité, les attentes d’alors… »
Echarpes & roses
Cette entrée réglée comme du papier à musique est suivie d’un autre moment formel : celui du « šerpování », à savoir le passage par le professeur principal d’une écharpe (« šerpa ») sur l’épaule de chacun des élèves. Cette écharpe qui s’enfile en diagonale, de l’épaule à la hanche opposée, porte l’inscription ‘Maturant’ (bachelier) et l’année, ainsi que le numéro de la classe et/ou le nom du lycée. « Et s’il s’agit d’une classe un peu créative, l’écharpe peut également être personnalisée », précise Nelly Froňková avant de fournir un exemple :
« Il peut y figurer un mot d’ordre, une phrase drôle, ou du moins censée l’être, revisitant par exemple l’expression ‘Veni, vidi, vici’ sous la forme ‘Je suis venu, j’ai entendu, je ne comprends pas, je m’en vais’… Il s’agit en général d’une plaisanterie à usage interne ; une phrase faisant référence à un moment partagé par toute la classe. »
Certaines classes prennent néanmoins la chose plus au sérieux, comme celle de Franta Opršálek, élève du Lycée technique de Smíchov, interrogé le soir de son bal de baccalauréat, devant la grande salle du palais de Lucerna, sur la place Venceslas, à Prague :
« Le mot d’ordre de notre classe, c’est ‘prestiž’ (‘prestige’). Pour nous, c’est assez sérieux, car c’est le mot d’ordre de notre lycée, dans les relations publiques, met en avant son prestige. Et je pense que nous pouvons être fiers de faire nos études dans un établissement de prestige tel que le nôtre. »
Tenues de soirée et autres codes
A l’image des bals de promo souvent mis en scène notamment dans les teen movies américains, le « maturitní ples » est un événement formel qui suppose une tenue adéquate. Jan Froněk a passé sa « maturita » en 2003. Avec Nelly Froňková, il se souvient du code vestimentaire :
« Les filles portaient des robes de soirée ; elles avaient des coiffures sophistiquées et étaient très maquillées, avec du fond de teint et tout cela. Personnellement, je déteste ces apprêts ! Quant aux garçons, ils portaient un costume, avec une cravate ou un nœud papillon, je ne me souviens plus. Bref, une tenue de soirée décente et formelle. »
« Certaines filles louent leur robe pour l’occasion ; cela coûte plusieurs milliers de couronnes. Je pense que certaines lycéennes y prennent beaucoup de plaisir. Ma collègue m’a par exemple raconté que sa fille, qui a passé sa ‘maturita’ il y a six ans, portait une robe à crinoline, ce genre de robe dont la jupe contient des cerceaux ! A l’époque, c’était la mode, pour les bals de ‘maturita’. Certaines tenues sont vraiment exagérées au point que c’en est risible ; on ne peut pas le dire autrement. Néanmoins, certaines filles sont vraiment très élégantes. Et pour ce qui est des garçons, qui ne s’habillent en général pas d’une façon particulièrement intéressante dans la vie de tous les jours, il faut dire que le costume leur va très bien. »
A vot’ bon cœur m’sieurs dames !
Outre l’investissement préalable que constitue l’achat ou la location de la tenue de leur enfant futur bachelier, les parents sont invités à mettre la main au portefeuille pendant la soirée aussi. Jan Froněk :
« Ensuite il y a le moment où les élèves font le tour de la salle, et les parents et autres personnes présentes leur jettent de l’argent. Certains prévoient des parapluies qu’ils retournent pour attraper un maximum de pièces ! Avec ma classe, nous nous étions biens préparés pour ce moment-là : nous avions constitué des équipes munies de draps pour récupérer les pièces – et parfois même les billets – jetés depuis les galeries qui surplombaient la salle, et puis nous avions également fabriqué un genre de grand entonnoir attaché à un rouleau en carton… Oui, on a récolté pas mal d’argent. Et l’argent collecté par les lycéens leur sert ensuite à se soûler à la ‘soirée du bac’. Car comme partout, j’imagine, une fois passées les épreuves du baccalauréat, les bacheliers fêtent cela ! »
Une salle, deux ambiances
Mais pour cela, il faudra attendre juin… Revenons-en plutôt au bal de baccalauréat. Avant que la musique ne commence, le moment du « předtančení » permet aux élèves qui le souhaitent de présenter un numéro artistique individuel. Un club ou groupe de danse extérieur à l’école peut également être invité à monter sur scène pour l’occasion. La promotion 2015 du lycée de Domažlice, que nous avons déjà citée, avait pour sa part préparé une chorégraphie irréprochable pour ouvrir la soirée. Sur des morceaux de charleston et des chansons contemporaines de la bande originale du film Gatsby le Magnifique, bien entendu !
En ce qui concerne la musique du bal en elle-même, il peut s’agir d’un groupe de musique ou bien d’un DJ, selon le choix des élèves organisateurs. Dans les deux cas, on danse aussi bien sur des tubes à la mode que sur de la musique plus classique – et ce notamment pour l’incontournable danse avec les professeurs.
Danse avec les profs
Chaque classe a préalablement désigné des élèves qui invitent à danser leur professeur principal ainsi que les autres professeurs présents. Un rôle qui incombe a priori plutôt à ceux des élèves qui ont suivi les traditionnels cours de danse de salon (« taneční ») pendant l’année de leurs 15 ans. Nelly Froňková :
« Les cours de danse de salon que suivent les lycéens l’année de leurs 15 ans ne sont pas en soi une préparation au bal du baccalauréat, mais plutôt une préparation à la vie en société. Mais bien sûr, lorsque vient le bal du baccalauréat et que vous vous retrouvez à devoir danser une polka avec votre professeur principal, c’est un avantage d’avoir suivi des cours de danse de salon ! »
Certains lycées profitent également du bal de baccalauréat pour procéder à l’« imatrikulace », à savoir une cérémonie d’accueil formel des lycéens de première année. Mais l’un des moments les plus préparés de la soirée est l’immanquable « půlnoční překvapení » (« surprise de minuit »). Jan Froněk :
« Nous, nous avions préparé une parodie de comédie musicale. C’était une danse très travaillée, car l’une des élèves de notre classe était instructrice d’aérobic et de danse, et donc elle avait fait répéter toute la classe. »
Une occasion de faire la fête… ou un passage obligatoire
Jan Froněk se souvient que pour lui, le bal de baccalauréat était avant tout une occasion de faire la fête. Et vingt ans plus tard, les élèves du Lycée technique de Smíchov semblent tous du même avis. Néanmoins, cette soirée formelle est également source de stress, notamment pour les lycéens introvertis. Nelly Froňková tempère, tout en précisant que selon elle, cette belle tradition – en laquelle elle voit « une initiation » – mérite d’être préservée :
« Ce n’était certainement pas quelque chose que j’attendais avec impatience, car je ne me trouvais pas particulièrement belle, et à cette époque, j’étais loin de prendre du plaisir à porter des robes de soirée. Pour moi, le bal de baccalauréat, c’était quelque chose qu’il fallait faire, mais je n’étais pas particulièrement enthousiaste à cette idée. C’était plutôt source de stress et de gêne, liée au fait que toute l’attention est fixée sur toi. Mais bien sûr, c’est très individuel. »
« L’aspect organisationnel de l’événement est important : les élèves sont aidés par un professeur déjà rodé, mais l’essentiel de l’organisation repose sur eux. Il leur faut par exemple préparer des invitations et vendre les tickets ; ils doivent se mettre d’accord sur le cadeau du professeur, préparer le discours, coordonner la surprise de minuit, répéter l’entrée du bal… Selon moi, le fait d’avoir la responsabilité de l’organisation d’un grand événement et de devoir se mettre d’accord, c’est un grand apport. Même si bien sûr, tous ne s’impliquent pas, et au final, cela retombe bien évidemment sur les élèves les plus actifs et les plus débrouillards. »
« Par ailleurs, je pense que cette tradition est importante pour les parents, car elle leur permet de voir leur enfant à une cérémonie formelle, de le voir avant qu’il ne quitte le nid familial, en quelque sorte. C’est le seul événement de ce genre où les parents et les grands-parents ont la possibilité de se féliciter de leur enfant devenu adulte. »
Quand le chat n’est pas là, les souris dansent
Et une fois accomplies toutes les formalités du bal de baccalauréat, les parents peuvent rentrer à la maison, laissant leur « petit » avec ses pairs pour la dernière partie du programme – qui est d’ailleurs celle dont se réjouit le plus Filip Sklenář, élève en dernière année au Lycée technique de Smíchov :
« Vivement l’after-party ! On se réjouit tous de pouvoir se retrouver entre nous, et d’arroser ces quatre années d’études passées ensemble. Parce que pendant le bal, bien sûr, on doit se tenir un minimum. Mais à l’after-party, il n’y aura plus personne pour nous contrôler, alors on pourra enfin se lâcher comme il se doit et fêter ça avec de la bière, à la tchèque. »